26 | 'PSYCHOLOGIQUEMENT'
Assis dans l'herbe, une barrette pincée entre mes lèvres, je me suis attaché les cheveux, essayant d'ignorer le flot de paroles continu qui émanait de la bouche de Julie. Pour une raison étrange, au lieu de traîner avec ses amis qu'elle avait du collège et Camille, elle s'était décidée à me coller aux miches, et le temps seul que j'avais quand Joaquim était avec Joëlle était maintenant intouchable.
— Ça fait quoi d'avoir un piercing sur la langue ? C'est agréable ou quoi ? On dirait que c'est bizarre. Ça fait pas bizarre ? Est-ce que y'a des risques d'infection, t'as eu mal ou pas quand tu te l'es fait ? Dans le lycée où j'étais à Toulouse, il y avait un garçon avec un piercing à la langue aussi, une amie disait que c'était agréable pendant les baisers. C'est vrai ou pas ? C'est grâce à ça que t'es tout le temps avec une fille différente le midi ?
Je n'ai rien répondu, les sourcils froncés, le regard rivé devant moi. J'ai attrapé la barrette qui était coincée entre mes lèvres, et par la même occasion, ai fait rouler mon piercing contre mon palet. J'ai fini par hausser les épaules, ennuyé.
— C'est juste un truc sur la langue, rien de plus.
Elle prit une grande inspiration, comme émerveillée, puis un sourire mesquin prit place sur son visage. Du coin de l'œil, j'ai pu voir son air malicieux qu'elle essayait de cacher derrière sa main. J'ai tourné la tête vers elle, peu serein.
— Quoi ? ai-je sifflé.
— C'est quoi ton type de filles ?
— Pas des filles comme toi en tous cas.
Hoquet dramatique. Elle fronça les sourcils et me poussa sur le côté.
— Sérieusement !
— Je ne sais pas. Les brunes, petites, assez indifférentes, je m'en fous, j'ai juste pas envie qu'elles me prennent la tête pour des trucs cons. Quelqu'un d'indépendant, qui peut avoir du caractère.
— Ah oui ? retour du sourire narquois, Vraiment ? Ces temps-ci j'ai plutôt l'impression que tu passes ton temps à t'occuper de filles blondes qui sourient tout le temps.
— Hah ?
— Quoi, me dis pas que tu ne l'as pas remarqué ! s'offusqua-t-elle, C'est ton subconscient qui a fait ce virement de bord ? Depuis que je suis arrivée en tout cas, je ne t'ai vu qu'avec des blondes !
Au fond, j'avais comme un mauvais pressentiment sur ce qui allait suivre, mais je l'ai laissé de côté.
— Et ben écoute, les goûts et les couleurs, c'est comme tout. Ça change.
— Hmhm. Et tes goûts et tes couleurs, ces temps-ci, ils ont l'air assez bloqués sur ce type de personne.
Je suis resté silencieux, les sourcils froncés. Je n'aimais pas vraiment cette manière qu'elle avait de m'exposer au grand jour, même à moi-même.
— Oh ! Mais en plus ! elle faisait comme si elle venait de réaliser quelque chose d'important, seulement j'en étais sûr, elle avait déjà tout analysé depuis un petit bout de temps, Ce type de personnes, c'est pas comme Camille ?
Mes poings se sont serrés contre l'herbe, et je l'ai foudroyée du regard.
— Tu sais que j'ai aucun scrupule à frapper des filles, pas vrai ?
— Ça je sais, tu t'es déjà bastonné avec Camille un grand nombre de fois, la vanne était gratuite et bien placée, et je n'ai pas pu empêcher un rire assez déplacé, Mais n'empêche que même inconsciemment tu te retrouves attiré par lui. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi tu ne veux pas l'admettre. Il t'aime, tu l'aimes, je ne vois pas pourquoi ça devrait être plus compliqué que ça.
— C'est pour essayer de me faire réaliser que j'aime Camille que tu fais ça ?! Désolé de te décevoir, mais je refuse de sortir avec lui !
— Oh tu me fais chier ! T'es toujours comme ça ou toi aussi t'as tes règles pour être autant tête à claques ?!
— Pardon ?!!
— Tu m'as très bien compris, enfoiré !
Elle m'a tiré les cheveux assez brutalement, et il ne me fallut pas longtemps pour abattre mon poing sur le haut de son crâne.
— Dis-donc pétasse ! Si t'es pas contente, j'ai rien demandé ! Retourne à Toulouse, tu me casses les couilles !
— Toi tu me casses les couilles ! rétorqua-t-elle, criant peut-être un peu trop fort, en essayant de me frapper, mais je maintenais ses deux mains assez facilement, Admets-le putain, ça te coûte quoi ! Pourquoi tu veux pas arrêter de faire ta tête de con trente secondes !!?
— J'ai toujours été comme ça, connasse ! je lui ai tiré les cheveux eux à son tour. Œil pour œil, dent pour dent, J'aime pas Camille ! Il pue la noix de coco, il rayonne beaucoup trop, c'est juste chiant de rester à côté de lui trop longtemps ! Il me tape constamment sur les nerfs, ça me soule qu'il ne sache pas fermer sa gueule trente secondes, il est aussi chiant que toi !!
— Retire ce que tu viens de dire !
— Nan ! Y'a que la vérité qui blesse, on te l'a jamais dit !
— Quel dicton de merde !!
On a continué de se disputer, mais en moins de deux secondes, je me suis figé, observant le visage d'Alexandre sortir de derrière le coin du mur. Au premier abord, il paraissait impassible, presque sans émotions, ce qui était déjà rare venant de lui qui paraissait tout le temps si anxieux, mais en regardant mieux, j'ai remarqué qu'il m'observait de manière glaciale. Je ne sais pas si c'est ça, ou juste tout ce que j'avais dit sur Camille l'instant précédent, mais je me suis senti soudainement assez mal.
— Lucas, tu aurais dû t'estimer juste heureux que Camille te porte ne serait-ce qu'un minimum d'attention. Je lui avais dit depuis le début que tu n'étais qu'un connard.
Julie a arrêté d'essayer de me frapper, et je l'ai libérée de mon emprise. Tous deux complètement ahuris, on a regardé Alexandre se lever et entraîner par la même occasion Camille. Malgré le fait que sa tête soit baissée, j'ai clairement vu les larmes rouler sur ses joues, continuellement, comme s'il était incapable de les arrêter malgré sa volonté – et putain de la volonté, il en avait pas mal.
J'ai compris qu'il m'avait entendu, et à cet instant, j'ai eu l'impression de décrépir de l'intérieur. Je me suis senti vide, avec seulement mon cœur qui me faisait mal. J'avais réussi à blesser Camille psychologiquement. J'avais réussi à faire cette horreur, et je n'en étais pas fier. Au fond, je savais que ce n'était pas la première fois que je le faisais pleurer : quand je l'ai repoussé, je sais qu'il avait pleuré aussi, et ça ne m'avait pas mis à l'aise. Le voir pleurer devant moi, par contre, c'était tout autre chose, et je crois qu'à ce moment-là, j'ai craqué.
J'ai enfoui ma tête contre mes jambes, me recroquevillant contre le mur pour ne pas subir le regard de mépris de Julie. Je savais qu'elle me jugeait, et je la comprenais. Je me suis agrippé les cheveux, l'image des larmes que j'avais causé ne quittant pas mon esprit.
J'ai senti un sanglot se blottir dans le fond de ma gorge. Un sentiment horrible, se réprimer de pleurer, c'était quelque chose que je ne vivais presque pas, et je détestais ça. Je n'aimais pas pleurer, pas parceque ça faisait faible, mais surtout parceque ça faisait mal. Par ma faute, c'était Camille qui se sentait comme ça aussi.
Je ne pleurais pas, je ne ressentais pas énormément d'émotions tristes et je n'allais pas les chercher non plus. Je tenais à mon bien-être mental, et si je n'étais pas malheureux, c'était pour le mieux.
Ça fait longtemps que j'ai dû réprimer mes larmes. La dernière fois, je devais peut-être avoir dix ans.
En même temps ... Ça doit être la première fois que je me suis dit que je me détestais.
À cette pensée, j'ai senti l'humidité commencer à toucher mes joues, et mes lèvres se sont pincées. Mes mains se sont un peu plus crispées dans mes cheveux, jusqu'à ce que je commence à les tirer. Je sentais le regard de Julie sur moi, je savais qu'elle était toujours là, mais je n'osais pas bouger. Je me sentais assez pathétique, pour être honnête. Pour avoir fait pleurer Camille, ou tout simplement pour réagir de la sorte alors que je l'avais quand même bien cherché.
En soi, je n'avais pas de raison de pleurer. J'avais laissé ma bouche s'exprimer, comme je l'avais toujours fait. Seulement voilà, cette fois, j'ai réussi à briser Camille.
— Arrête.
J'ai senti les mains de Julie sur mes poignets. Elle a doucement baissé mes bras pour m'empêcher de continuer à me tirailler les cheveux. Elle m'a regardé dans les yeux, silencieuse, avant de soupirer doucement.
— Tu l'as voulu. Tu n'es qu'un con Lucas.
Ça j'étais au courant. Ma voix a craqué, et j'ai eu du mal à parler. Je détestais pleurer.
Camille ne devait pas aimer ça non plus, pourtant il se retrouvait là aussi.
— Je me déteste.
— Sur le coup moi aussi je te déteste chéri, Alexandre aussi, et probablement Camille tant qu'à faire. T'a tout ce que tu mérites, t'es au courant ? Tu sais pourquoi tu pleures au moins, hein chiffe molle ?
Malgré ça, elle m'a pris dans ses bras, et j'ai pleuré encore plus.
— Je veux pas qu'il pleure.
— Hmhm. Je sais.
— Je voulais pas lui faire de mal, ma voix était atroce, je n'arrivais presque pas à former mes mots à cause des sanglots qui étaient coincés dans le fond de ma gorge. On aurait dit un crapaud qui essayait d'imiter un corbeau, c'était vraiment pas beau.
— Et tu penses que c'est normal que tu te mettes à pleurer en voyant la personne que tu as repoussé ?
— Non !
— Voilà. C'est ce que je disais. Tu peux pleurer, tu sais, ça fait du bien de pleurer quand on a mal.
J'ai toujours cru que c'était pleurer qui faisait mal. Je n'ai jamais vraiment pensé qu'on pleurait quand on avait mal.
J'ai fini par arrêter d'essayer de me retenir, parceque de toute façon, au point où j'en étais, je ne pouvais pas être plus pitoyable. Enfouissant mon visage contre son épaule, je me suis laissé aller à mes sanglots, plus bruyants, ne sentant presque pas les caresses rassurantes qu'elle faisaient sur mon dos.
— Je- Je veux pas ! Je veux pas qu'il ait mal à cause de moi, je voulais jamais qu'il m'entende, je veux pas qu'il pense que je le déteste, je veux pas qu'il me laisse tomber ! Je voulais pas être la cause de ses larmes !
— Vas-y, tu peux tout me dire. C'est normal de se sentir comme ça, ce n'est pas être faible. Tout le monde passe par là à un moment où à un autre.
Incapable de continuer, j'ai hoqueté et ai essayé de reprendre mon souffle, rien que pour recommencer à pleurer l'instant d'après. Je n'arrivais pas à arrêter les larmes sur mes joues, mais je pense que maintenant, essayer de les bloquer, je ne voulais plus le faire.
— Dis-le. Ça va te faire du bien. Je sais que tu veux le dire. Tu dois l'admettre chouchou.
Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, et je pense que je ne remercierai jamais assez Julie pour ça – quoique je ne le lui dirais probablement pas, ayant quand même gardé au fond comme un semblable de fierté nulle. Je ne voulais pas non plus qu'elle se la pète, ce qu'elle ferait déjà bien suffisamment une fois que je me serais calmé– mais elle m'a vraiment poussé au déclic ce jour-là.
En un murmure, qu'elle n'aurait probablement pas entendu si je n'étais pas si proche de son oreille, j'ai soufflé.
— Je l'aime.
NDA : bonne journée ᕕ(ᐛ)ᕗ
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