19 | 'JULIE'
La fraîcheur du matin me faisant créer de la fumée à chaque expiration, mon écharpe bien enveloppée tout autour de moi, je suis entré dans la boulangerie, tête basse.
Il n'était que sept heures, et pour tout admettre, je n'ai vraiment pas bien dormi. Avec ce qu'il s'était passé la veille avec Lucas, et comment il a fait comme si de rien n'était, je n'ai pas réussi à dormir, me triturant trop l'esprit. En conséquence, je n'ai dormi que quatre heures, et comme j'étais debout, je me suis dit qu'aller chercher du pain me changerait peut être les idées.
Pour l'instant, ce n'était pas le cas, et je suis resté à regarder le sol rouge en silence, attendant que la personne devant moi passe sa commande.
— Trois pains au chocolat s'il vous plaît ! s'exclama-t-elle.
J'ai froncé les sourcils, cette voix si enthousiaste à l'idée d'acheter des pains au chocolat me paraissant étrangement familière, bien que je n'arrive pas à mettre le doigt sur d'où je la reconnaissais. J'ai relevé la tête pour la voir. Elle. Ses cheveux roux toujours attachés en queue de cheval, bien que maintenant, ce soit un noeud rouge qui les tienne et non un banal élastique. Elle avait grandi, moins que moi, mais c'était logique, et même de dos, je pouvais voir qu'elle avait pris quelques formes.
— Julie ?! j'ai fini par m'exclamer.
Attrapant sa monnaie et ses pains au chocolat, elle s'est retournée vers moi. Quand je l'ai vue, mes yeux se sont écarquillés. Elle avait tellement changé, tellement muri. En me voyant, il ne lui fallut même pas un instant avant de rester béate en réalisant qui j'étais, et elle me sauta pratiquement dessus en criant mon nom.
| Mini Ellipse |
Assis sur le trottoir en face de la boulangerie, Julie et moi nous sommes fixés pendant une bonne vingtaine de secondes.
— T'as tellement grandi, c'est pas juste ! finit-elle par se plaindre, J'ai gagné que trois centimètres moi depuis la quatrième !
— Problème de fille, me suis-je esclaffé, Mais qu'est-ce que tu fais là ? Je croyais que t'étais partie à Toulouse ?
— Si, mais je suis revenue.
— Oh wow, merci Captain Obvious, j'avais pas remarqué.
— Tais toi ! Idiot ! Je ne sais pas pour combien de temps, je suis avec ma mère. C'est peut être définitif, ou peut être pour quelques mois, ça dépend de son travail.
— Et ton père ?
— Il est à Bordeaux.
— Ta famille part dans tous les sens. Littéralement. Ça m'hallucine.
— Mais ta gueule, rigola-t-elle en me tapant l'épaule, et finit par soupirer, Mais plus sérieusement, ça me fait plaisir de tomber sur toi en premier quand je reviens ici. Raconte moi ce qu'il s'est passé.
— Rien n'a changé chez Alex, Ambre déteste toujours autant les maths, Clara déteste toujours autant les insectes et puis Gontran et Louise sont toujours à se lécher la face, mais c'est rien c'est la rue.
— Comment ça Gontran et Louise se lèchent la face ?
— Ah mais oui ! Ils sont en couple depuis la fin de quatrième !
— TU TE FICHES DE MOI ?!
— Non !!
Elle hoqueta de surprise, puis fronça les sourcils et secoua la tête.
— Incroyable. Et toi, dans ta vie, à part le physique qui a changé, il s'est passé quoi ?
— Oh, bah pas grand chose, ai-je soufflé.
Je ne voulais pas vraiment lui parler du fait que je m'étais déjà fait lyncher deux fois à cause de mon homosexualité, et tout ce qui arrivait avec Lucas.
— Et donc ... T'as une copine ? hésita-t-elle.
— Hein ?
Je me suis retourné pour la regarder, éberlué. Elle avait les joues rouges, regardait ailleurs et avait replié ses jambes contre elle-même. J'ai cligné des yeux, confus.
— Parceque moi ... J'ai eu personne ... Et te revoir ça me ... Enfin ... Je ne sais pas trop, bredouilla-t-elle.
C'est là que j'ai finalement réalisé que Julie n'était pas au courant de mon homosexualité. Je l'avais découvert en quatrième et avait toujours été à l'aise avec, depuis le temps, j'en avais même oublié que ma sexualité, je ne l'avais découvert qu'après son départ.
Plaquant mes mains l'une contre l'autre devant mon visage et soupirant fortement, j'ai fini par répondre.
— Julie.
— Hm ?
Au moment où j'ai voulu lui dire, aucun son ne sortit de ma bouche. Je ne savais pas comment le lui dire. Je me suis mordillé la lèvre et j'ai repris, moins confiant.
— Je suis gay.
Pendant un instant, j'ai cru que ses yeux allaient sortir de sa tête. Elle resta muette, probablement à peine capable d'analyser les informations qu'elle venait de recevoir et finit par cligner des yeux une fois.
— Pardon ?
— De nous deux, tu es loin d'être la seule à n'aimer que les garçons.
Je crois que je l'ai cassée. Fronçant les sourcils, elle eut l'air de réfléchir.
— Mais et moi ?
— Je n'avais pas encore réalisé.
— Gay, genre ... Vraiment gay ?
— Au point où si je regardais du porno hétéro je banderais pas juste à cause de la fille.
— Attends attends ... Quoi–
— Et je suis amoureux d'un idiot.
— De quoi ?!
— C'est un connard, hier on s'est roulé une pelle et il m'a ignoré soit disant, et je cite, c'est rien c'est la rue.
Je pense qu'à ce moment là, je l'ai perdue, et moi-même par la même occasion. J'avais sûrement juste besoin d'extérioriser ce qui m'arrivait à quelqu'un qui ne faisait pas partie de toute cette histoire.
— Camille attends je te dis je comprends rien–
— Mais pour moi c'est pas rien, et puis il dit que je pue ! Pourquoi tu m'embrasses dans ce cas là espèce de con ?!
— Ca–
— Enfoiré de Lucas ! Putain j'en ai marre ! Je suis censé faire comme si de rien n'était aussi ?! Je te parie que lundi je vais le voir avec une autre poufiasse alors que toute notre classe est persuadée qu'on est en couple à cause de Joëlle ! J'en ai marre !
— C'est qui Joëlle ?
— On me dit qu'il faut saisir une opportunité quand j'en vois une, que j'ai de la chance, soit disant ce que je ressens ça se voit que c'est réciproque !
— Hein–
— Les gens sont tous des hypocrites, il ne m'aime pas je ne suis pas stupide non plus ! j'en peux plus de devoir juste aider et supporter tout le monde pour qu'en retour tout ce que j'ai c'est ... Cette situation !
— CAMILLE CALME TOI !
Je me suis tu pour regarder Julie, interloqué. Elle avait l'air inquiète, et moi, j'ai à peine réalisé que je m'étais mis à pleurer. Ça ne me ressemblait tellement pas de craquer comme ça, mais je pense qu'au fond, quoi qu'on puisse dire, tout le monde à son niveau d'acceptation, et à un moment, c'est juste trop.
— Je comprends rien à ce que tu me racontes, calme toi, tu parles trop vite. Arrête de pleurer s'il te plaît, j'aime pas te voir comme ça.
Elle posa ses mains sur mes joues et essuya mes larmes en silence, l'air concernée.
— T'as l'air brisé Cam ... Je te connais pas comme ça.
— Je sais bien ... Et je sais pas ce qui m'arrive.
— Les chagrins d'amour, ça arrive, eh. Je ne pensais juste pas personnellement que ça t'arriverait à toi, mais je sais que tu es suffisamment fort pour passer outre.
J'ai hoché la tête, reniflant en silence. J'étais content de l'avoir retrouvée, parceque même si je ne ressentais aucune attirance pour elle, elle restera toujours une de mes personnes préférées, et dans mon cas, on peut dire, aussi la femme de ma vie.
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