17 | 'RETOUR À LA CASE DÉPART'

Un écouteur vissé dans mon oreille droite, la musique me parvenant à peine en tête, j'observais Lucas jouer au foot, le regard malgré tout quand même un peu dans le vide. Et si je lui avais dit que j'étais d'accord, la veille, pour qu'il m'embrasse, il se serait passé quoi ensuite ? Est-ce que j'aurais simplement été comme le reste des filles ? Une simple distraction ? Ou est-ce que je serais plus que ça ?

Qu'est-ce que ça fait, d'abord, d'embrasser quelqu'un avec un piercing à la langue ? ai-je fini par me demander à voix haute.

Brigitte retira l'écouteur qui était enfoncé dans son oreille gauche, appuya sur le bouton pause de la musique qui passait et me regarda, interloquée.

Quoi ? finit-elle par lâcher, totalement effarée.

Les joues rouges, un sourire nerveux sur le visage, j'ai tourné la tête vers elle.

Ah ... Euh ...

— Tu parles de Lucas ?

— Non je–

— Enfin je sais pas moi, je l'ai jamais embrassé, t'as qu'à demander à Luna, ou même à Sarah, tu sais, en première D.

— Sarah a embrassé Lucas aussi ? ai-je seulement balbutié, assez désarçonné.

Mon amie se contenta d'hocher la tête en silence.

Pourquoi ? T'es jaloux ?

— Pas vraiment non. Mais ... C'est compliqué ...

Le regard sceptique que j'ai reçu comme réponse ne me mit pas plus à l'aise, et j'ai fini par secouer la tête.

Laisse tomber.

J'ai remis la musique en route et ai reporté mon attention sur le terrain de sport en face de moi. J'ai senti le regard de Brigitte sur moi encore quelques instants avant que finalement, elle détourne le regard elle aussi.

Je pense que ça doit être pour le mieux, le piercing, vu toutes les filles qu'il arrive à avoir sans même trop avoir de mauvaise réputation.

— En même temps sa réputation pour l'instant, c'est qu'il en couple avec moi, ai-je marmonné, ennuyé.

En plus ! Faut se rendre compte que les filles continuent quand même à aller vers lui alors qu'elles le pensent en couple ! C'est que ça doit valoir le coup !

— Une belle bande de salopes donc, ai-je conclu, reposant ma tête sur ma paume de main.

Brigitte resta assez surprise à cette insulte, mais finit par rire un peu.

Ouais, c'est ça.

| Ellipse |

Le visage caché entre mes mains, penché au dessus du lavabo, je ne pus m'empêcher de soupirer. Plus le temps passe, plus je me dis que j'ai vraiment envie d'embrasser Lucas. J'ai conscience de devenir complètement désespérant, mais quel idiot refuserait de faire un pas en avant dans la relation avec celui qu'il aime ?

Seulement, si cette proposition est toujours d'actualité (il faudrait déjà qu'elle le soit), je ne sais pas si ce qu'il se passera après sera pour le meilleur ou pour le pire. C'est vrai, et si après ça, on réussissait à perdre ce qu'on avait déjà eu pas mal de mal à construire ? C'est à dire une relation stable sans se taper sur la gueule à longueur de journée.

Je réfléchis trop, ai-je soupiré en passant une main nerveuse dans mes cheveux.

Réfléchir trop à quoi ? la voix familière de Lucas me parvint aux oreilles.

Me figeant totalement, je n'ai pas répondu. Il arrivait vraiment au pire moment possible. Je me suis retourné, me collant toujours aux lavabos, pour l'observer, une moue ennuyée sur le visage.

Rien qui te regarde.

Vu son regard, j'ai bien compris qu'il ne gobait absolument pas ce que je venais d'affirmer.

Clairement, tu ne sais pas mentir mon lapin, s'esclaffa-t-il, Pourquoi tu ne veux pas me dire ?

— Écoute, Lucas–

— J'ai pas envie d'entendre des excuses à la noix. Dis moi et c'est tout.

— Pas envie.

— Donc au moins, tu admets que ça avait rapport avec moi.

Pestant sous mon souffle, j'ai baissé les yeux, gêné.

Ça va bientôt sonner on devrait y aller.

— Il est treize heures trente, on reprend à quatorze.

Là, je passais juste pour un débile. J'ai relevé le regard, anxieux, pour le voir me fixer avec attention.

Tu sais, continua-t-il, Ce que je t'ai dit hier, c'était pas du flan.

J'ai haussé un sourcil devant cette expression plus que douteuse, mais suis resté silencieux et l'ai écouté.

J'ai vraiment envie de t'embrasser, lapin.

Incapable de faire le moindre mouvement, même un simple clignement d'yeux, je suis resté bouche bée.

Hein ? ai-je fini par craquer.

Tu m'as compris.

Mes yeux de plus en plus écarquillés, le visage vif de couleur rouge, je n'arrivais toujours pas à croire qu'il ait dit ça comme ça. Je ne le connaissais sûrement encore pas assez bien.

Ça sert à rien de tourner autour du pot pour te dire ça, j'ai juste réellement envie de t'embrasser.

Je suis resté aussi muet qu'une tombe. J'étais censé dire quoi au juste ? D'accord ? Oui ? Non ? J'avais juste l'impression que mon cerveau allait exploser. C'était pas comme ça qu'on demandait ce genre de choses à quelqu'un ! Ou peut être que si ? La seule personne que j'ai embrassé, c'était Julie, c'était sans la langue ni rien, et c'était en cinquième, je suis loin d'être à jour sur ce genre de choses, je suis même juste un brêle !

Prenant mon visage entre mes mains, je me suis frotté les yeux. À quoi bon me voiler la face, je sais très bien que moi aussi j'ai vraiment envie de l'embrasser. Pour les mêmes raisons, je n'en ai aucune idée, mais c'est comme ça, et c'est tout.

Euh ... D'accord ?

Il me regarda en haussant un sourcil.

D'accord quoi ?

— Tu ... Tu peux me ... Enfin ... Voilà.

Je serais vraiment parti en courant comme un lâche après me ridiculiser comme ça, mais je n'arrivais même pas à bien bouger. Ça fait longtemps que je n'ai pas été aussi embarrassé. J'ai gardé mon regard rivé vers le sol, trop gêné par cette discussion bien trop étrange. Après un silence de marbre, j'ai quand même fini par relever les yeux. Il était silencieux, les joues assez rouges.

Quoi encore ? ai-je marmonné, embarrassé par ce type de réaction.

Lapin, tu pues, j'ai pas envie de t'embrasser.

Pour la deuxième fois en moins de dix minutes, je suis resté complètement bouche bée et à court de mots, quoique cette fois, j'étais pas qu'un peu blessé. Mon cerveau avait un peu court-circuité sur le coup, et ce qu'il m'a dit m'a fait beuguer. Je n'arrivais pas à le croire. Mes yeux s'humidifiant légèrement après cette humiliation, je me suis approché, le bruit de mes pas résonnant sur le carrelage, et je l'ai giflé. Le son cassa le silence des toilettes totalement vides, et il est resté figé quelques instants, la tête sur le côté, ne me regardant même pas.

Espèce de connard, tu m'as pris pour quoi au juste, ai-je sifflé, l'amertume clairement présente dans ma voix, Viens pas te foutre de ma gueule, j'ai déjà du mal à te saquer et c'est pas ça qui va aider.

Un sourire agacé parcourut ses lèvres, et il s'est retourné pour plonger ses iris bleutées dans les miennes. Et je me suis pris un énorme coup de boule.

Retour à la case départ.

Mes dents se serrant, je lui ai donné un coup de béquille dans le tibia.

Me frappe pas avec tes béquilles espèce de lâche ! s'énerva-t-il en me tirant les cheveux.

C'est toi qui t'en prends à un handicapé bâtard !

— Enfoiré, t'as rien d'un handicapé ta jambe va presque mieux !

— Presque c'est pas complétement rétabli ducon !

Je n'ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit d'autre que je me suis fait plaquer contre le mur du fond des toilettes, me coupant la respiration net. J'ai suffoqué quelques instants, l'insultant mentalement, avant de lever la tête d'un mouvement sec pour le foudroyer du regard. Il me rendit cet air méprisant, l'air sérieusement exaspéré.

Tu me les brises, lapin ! se plaint-il en me poussant une nouvelle fois contre le mur.

Toussant violemment, j'ai réussi à trouver le moyen de lui répondre.

Tu dis ça pourtant tu continues de m'appeler lapin.

— Ta gueule enculé !

— Essaye de me faire taire, pour voir, j'ai lâché sans même réfléchir.

Il continua de m'observer, cette fois assez ennuyé par mes répliques nulles.

Et moi j'ai réussi à te faire fermer la tienne– ai-je commencé à m'esclaffer.

Je n'ai pas eu le temps de finir qu'il plaqua agressivement ses lèvres contre les miennes.

Bon, peut être qu'on n'était pas revenu à la case départ au final.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top