16 | 'DEUX DISCUSSIONS'
L'eau brûlante ruisselant sur mon corps, je repensais encore à ma rencontre qui me paraissait comme irréelle avec Azrael. Tout était tellement ... De trop.
J'étais comme chamboulé de l'intérieur. Ça faisait presque deux ans que je ne l'avais pas revu, et j'ai l'impression qu'il a totalement changé. J'ai l'impression d'avoir vu le Azrael d'avant mon coming-out, ce qui est assez risible vu que je ne suis absolument plus hétéro et il en est parfaitement au courant. C'est frustrant, tellement frustrant. Je devrais essayer d'en parler à Alex, il pourrait peut être m'aider. C'est même quasiment certain.
La seule chose qui me conforte après tout ce temps, c'est de savoir que même maintenant, il ne me fait plus aucun effet. Plus de battements de cœur trop rapides, plus de rougissements incontrôlés en sa présence. Tout ça était maintenant dirigé vers Lucas, envers qui je tombe de plus en plus amoureux, j'en suis sûr. Ça aussi, c'est frustrant. J'avais oublié ce sentiment assez nul, non, je ne l'ai même jamais vraiment vécu. Avec Julie, c'était différent – en même temps c'était une fille, me direz-vous – et avec Azrael, ce n'était rien de trop sérieux, juste suffisamment pour que ça me blesse au moment opportun.
— CAMILLE ÇA FAIT VINGT MINUTES QUE T'ES SOUS LA DOUCHE, T'ES PAS TOUT SEUL TU VAS NOUS VIDER L'EAU CHAUDE ! cria ma mère.
Moi qui avait pour plan de la soirée d'y passer au moins une heure, mes sourcils se sont froncés et j'ai dû effectuer un maximum d'efforts pour ne pas lui répondre par une multitude de plaintes. Agacé, j'ai arrêté l'eau, maudissant mes parents pour ne pas avoir acheté une maison avec baignoire. Je veux une baignoire, surtout en sachant que tous les ans à mon anniversaire, je trouve toujours quelqu'un qui m'achète une boule de bain. C'est bien, mais ça ne m'est pas utile. Je pourrais même commencer une collection, ou créer une boutique.
Enfin, j'ai attrapé mon téléphone, mon enceinte et le sèche cheveux avant de caler ma musique et d'appeler Alexandre.
Sans aucun doute qu'il allait me répondre, j'ai activé le haut parleur et ai allumé le sèche cheveux. Moins de cinq secondes plus tard, j'ai entendu sa voix ennuyée.
— Quoi ?
— Hey Alex, ai-je déclaré en attachant quelques barrettes dans mes cheveux.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? Problème ?
— Problème il y a eu, oui. J'étais avec Lucas, et j'ai croisé Azrael.
Le silence qui suivit dans l'appareil me fit presque croire qu'il avait raccroché, et pendant un bon bout de temps, je n'ai entendu que « 505 » de Arctic Monkey sur mon enceinte avec le bruit de fond désagréable du sèche cheveux.
— Je rêve ou tu te sèches les cheveux ?
— C'est tout ce que tu trouves à dire ?! me suis-je écrié, incrédule.
— Désolé, je beugue un peu là, pour tout t'avouer.
— Hah, désolé.
— Tu sais que je l'ai croisé aussi il y a trois jours ? Dans la rue, je sortais de chez le dentiste. Il n'a pas arrêté de me fixer bizarrement et il s'est pris un lampadaire.
Je n'ai pas pu m'empêcher de m'esclaffer bruyamment à cette dernière remarque, l'idée d'Azrael se comportant comme Gontran étant plutôt hilarante. Azrael était plutôt du type blasé et pas surpris pour deux sous, ça m'étonne de lui.
— Enfin il m'a juste dit qu'il avait des choses à me dire.
— Qu'est-ce qu'il avait à dire ? me questionna mon ami.
— Aucune idée, ai-je admis, Lucas lui en a pas laissé l'occasion.
Il soupira à travers le téléphone, me faisant rire un peu.
— Me dis pas que ça t'intéresse autant ?
— Pas du tout, me reprit-il, Je suis juste intrigué.
— Bah tu resteras intrigué alors, je n'ai aucune intention d'aller le chercher pour lui parler, ai-je marmonné, une barrette entre les lèvres, J'ai déjà eu assez de problème comme ça, et deux lynchages c'est amplement suffisant dans la vie de quelqu'un.
— Un quelqu'un avec une vie normale ne se fait pas lyncher de base, Camouille ...
— J'aime pas ce ton, viens pas me faire la morale Alex, c'est pas comme si j'avais cherché la bagarre !
— J'allais rien dire mais bon, soupira-t-il une nouvelle fois, ennuyé.
J'ai arrêté le sèche cheveux et l'ai rangé. Enfilant un simple pull oversized et un short de pyjama, je l'ai écouté continuer.
— Et puis, ne va pas non plus penser que tu vas avoir une vie normale. Avec Lucas, tu es loin d'être tranquille mon vieux. Vous êtes tous les deux beaucoup trop têtus pour admettre à l'autre que vous êtes mutuellement attirés.
— Chacun ses problèmes amoureux, la plupart des gens ont beaucoup de problèmes, tu sais.
— Je ne sais absolument pas d'où tu sors ça ! s'indigna-t-il pourtant sur un ton assez amusé par mon idiotie, La plupart des gens ont juste à déclarer leurs sentiments, basta.
— T'es pas drôle Alex, où est passé ton sens du romantisme ?
— Parti avec ma vie sexuelle.
— Tu es aromantique ? me suis-je étranglé.
— Mais non espèce d'idiot ! Je dis juste que les romans à l'eau de rose, c'est franchement pas ce que je préfère.
— Mhm.
— C'est quoi cette réponse bancale ?
— Je vois pas de quoi tu veux parler– ai-je commencé, avançant vers ma chambre.
Je me suis fait brutalement couper par ma mère, une fois encore, qui me criait dessus.
— CAMILLE VIENS M'AIDER À ÉPLUCHER LES POMMES DE TERRE S'IL TE PLAÎT !
Sachant pertinemment que si je me plaignais, j'allais me retrouver avec une immondice dans mon assiette, j'ai fait la moue, mon œil droit tiquant un peu sous la frustration, et j'ai fini par soupirer bruyamment.
— T'as entendu je suppose.
— Hmouais. Je vais retourner jouer. À demain Cam.
— À deux pieds Alex.
— T'es vraiment con, pesta-t-il.
J'ai ri ouvertement avant de raccrocher. Un bandeau dans les cheveux pour ne pas que mes mèches me retombent devant les yeux, mes manches trop longues recouvrant mes mains, et mes chaussettes licornes, j'ai descendu les escaliers en direction de la cuisine. J'ai trouvé ma mère, là, debout devant le plan de travail, avec son usuel tablier bleu marine, en train de couper des pommes de terre.
— On mange quoi ? ai-je hésité en entrant dans la pièce, assez morose à l'idée de devoir l'aider à préparer.
— Gratin de pomme de terre.
Rien que le nom de mon plat préféré me mettant l'eau à la bouche, ma rancœur envers elle disparut comme instantanément.
— Merci ! me suis-je exclamé, des étoiles dans les yeux.
— C'est à moi de te remercier de m'aider, rigola-t-elle.
J'avais quand même légèrement envie de lui dire que je n'avais pas trop eu le choix, mais j'étais suffisamment heureux pour ça. Me plaçant à côté d'elle, j'ai commencé à éplucher les patates en silence, bâillant en silence par moments.
— Dis moi mon lapin, commença ma mère en tournant le regard vers moi.
J'ai fait la grimace à l'entente de ce surnom que je n'associais plus du tout à elle, et l'ai coupée rapidement :
— S'il te plaît maman, ne m'appelle plus comme ça.
— Bah ? s'étonna-t-elle, ses yeux bleus écarquillés, Pourquoi pas ?
— C'est ... Compliqué.
Ça ne l'était pas du tout, je n'avais simplement pas envie de m'expliquer à elle. Malheureusement, voyant son regard espiègle, j'ai su qu'elle savait ce qu'il se tramait.
— T'as un petit ami Cam ?
— Non.
— Aw, allez, je voulais te demander comment ça se passait dans ta vie amoureuse, depuis ton coming-out tu es resté célibataire ! C'est pas juste pour un garçon aussi beau !
— Arrête, ai-je bredouillé, gêné, Et puis pour ton information, les homosexuels ça ne court pas les rues non plus.
— Et pourquoi pas ?
Silencieux dix secondes, le temps de comprendre pourquoi elle me disait ça, j'ai fini par lever les yeux au ciel.
— Maman ! ai-je pesté, C'est qu'une expression c'est tout !
— Je sais ça, débile, je te nargue.
— Allons bon.
— Plus sérieusement, tu ne me parles plus ces temps-ci, j'ai envie de savoir ce qu'il se passe dans ta vie choupinou, je m'inquiète pour toi.
— Je vois que tu es surtout déterminée à me donner un surnom, ai-je ri avant de me gratter la nuque et de regarder ailleurs, C'est juste que c'est compliqué, j'ai quelques affaires avec Lucas, mais je n'arrive pas bien à déterminer ce qu'on est.
Elle acquiesça en silence, souriante, m'incitant ainsi à continuer. Ma mère avait toujours été quelqu'un qui écoutait les autres particulièrement bien, et pouvoir me confier m'a toujours fait me sentir mieux. Alexandre aussi était quelqu'un qui savait écouter, mais avec lui, je finissais toujours par raconter n'importe quoi, incapable de garder mon sérieux trop longtemps.
— Je veux dire ... Je l'aime, ça, c'est plus déniable. Mais je n'ai aucune idée de ce qu'il ressent envers moi, c'est beaucoup trop ambiguë.
— Pourquoi tu ne lui demandes pas tout simplement ?
— Mais ça va pas ?? J'ai déjà eu pas mal de problèmes pour arriver là où on en est, je n'ai pas envie qu'on reparte à moins mille à cause de moi.
— Je dis juste que si tu vois une opportunité, tu devrais la saisir.
Je me suis tu, réfléchissant un peu. Les opportunités avec Lucas ... Ce n'était pas non plus ce qui manquait. Surtout quand on savait qu'il avait quand même voulu m'embrasser dans les toilettes du lycée.
J'aurais peut être dû lui dire que j'étais d'accord, après tout.
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