15 | 'UN DÉTOUR AUX SMOOTHIES'

À la fin des cours, j'avais assez hâte de me retrouver seul avec Alexandre pour lui expliquer et me plaindre de ce qu'il s'était passé pendant la pause déjeuner. Je n'avais pas osé aborder le sujet plus tôt, n'ayant pas envie que ça s'entende et s'ébruite dans tout le lycée.

Alors quand finalement il sortit de la classe, un air apitoyé sur le visage, j'ai fait la moue.

Désolé Camille, je dois rester, Madame Lutenne veut me parler à propos des cours d'éducation sexuelle.

Malgré la grimace évidente et le soupir que j'ai poussé, j'ai quand même fini par sourire.

T'inquiètes pas, je peux rentrer tout seul !

Il m'a regardé avec un mélange d'inquiétude et d'appréhension.

Les deux fois où je ne suis pas rentré avec toi tu t'es évanoui parceque tu t'es fait battre.

— C'est ... C'est qu'un détail, ai-je bredouillé en regardant ailleurs, De toute façon, ne te blâme pas pour ça.

— Je ne me blâme plus. J'ai juste remarqué que sans moi tu n'étais juste qu'un idiot et que je ne pouvais pas prendre le risque de te laisser tout seul.

— C'est vachement pas sympa ça.

— Fais pas genre que je t'ai blessé, marmonna-t-il en regardant derrière moi, l'air de chercher quelque chose.

En l'occurrence, plutôt quelqu'un, parceque malgré une voix tremblante à l'idée de devoir communiquer avec quelqu'un qu'il ne connaissait pas personnellement, il s'est exclamé :

Lucas !

Pestant sous mon souffle, j'ai regardé l'intéressé se retourner, un regard clairement ennuyé sur le visage.

Qu'est-ce qu'il y a ?

— Ça te dérangerait de rentrer avec Camille ? hésita mon meilleur ami.

Je peux rentrer tout seul ! ai-je pesté, mais malheureusement, personne ne m'écoutait.

Oh, mon lapin est trop petit pour se débrouiller seul ?

— J'ai pas envie qu'il finisse à l'hôpital, avoua Alex en jouant avec ses doigts, les sourcils clairement froncés, Je sais que vous vous entendez mieux alors j'aimerais bien compter sur toi.

Lucas eut l'air d'hésiter quelques instants avant de finalement hausser les épaules.

Ok, comme tu veux, lâcha-t-il sur un ton nonchalant en tournant les talons, Tu viens lapin ?

N'essayant même pas de le corriger vainement sur ce surnom, j'ai fusillé Alexandre du regard avant de lui murmurer que demain on aurait une petite conversation en allant au lycée, et j'ai couru pour rattraper Lucas qui ne m'attendait même pas pour partir.

Je devais faire une dizaine de centimètres de moins que lui – je faisais seulement un mètre soixante-dix à mon plus grand déplaisir, et comme il marchait vite, je me retrouvais à trottiner à ses côtés, la faim commençant à venir me tenir aux tripes. Ce midi, j'avais dû manger à la vitesse de la lumière pour aller en cours à treize heures, et ce que j'avais eu dans l'estomac m'avait à peine tenu deux heures trente – à mon plus grand désespoir.

Lucas, l'ai-je alors appelé alors qu'on s'éloignait déjà rapidement du lycée.

À ce rythme là, on allait arriver chez moi en vingt minutes seulement, seulement moi, je crevais la dalle, et Ambre m'avait parlé d'une boutique de smoothies dans le coin.

Quoi ? soupira-t-il en tournant la tête vers moi.

J'ai faim.

— Et qu'est-ce que c'est censé me faire ? s'esclaffa-t-il, J'suis pas ta mère, j'ai pas ton goûter dans mon sac, idiot.

Les sourcils froncés, les joues gonflées, j'ai continué :

Je te demande pas de me nourrir espèce de con ! Mais Ambre m'a parlé d'un nouveau magasin de smoothies dans le coin j'ai envie d'y aller.

Il haussa un sourcil et s'arrêta de marcher.

T'es sérieux ?

— Je vois pas pourquoi je dirais ça pour rire, j'ai marmonné.

Il soupira une nouvelle fois et sortit son téléphone de sa poche.

J'envoie un message à ma mère, tu devrais faire pareil si tu ne veux pas qu'elle s'inquiète.

— Merci~ ! me suis-je exclamé, comprenant bien que ça voulait dire qu'il m'accompagnerait là bas.

Me remercie pas, c'est normal, grommela-t-il.

Après avoir prévenu nos parents, on s'est dirigé vers le magasin en question. Et contrairement au classique jeu du "mais non je t'en prie c'est moi qui paie" qui continuait habituellement pendant cinq bonnes minutes pour être poli et bien attentionné, avec Lucas, c'était plutôt une engueulade pour forcer l'autre à payer. Ça avait l'air d'amuser les clients se tenant pas loin de nous, mais la caissière, elle, avait l'air assez ennuyée de nous voir aussi têtus.

Écoutez les jeunes, finit-elle d'ailleurs par intervenir – son badge disait Julie, Décidez-vous un peu, payez chacun pour vous, je ne sais pas, mais il y a des gens qui attendent derrière vous.

Lucas et moi avons tourné la tête d'un même mouvement pour voir une famille à l'air assez agacée. On s'est ensuite regardé, et on s'est exclamé d'une même voix :

Bon bah tu payes alors !

Mes mains sont parties aggriper mes cheveux sous la frustration.

Bordel Camille, c'est toi qui voulais venir ici alors assume un peu !

— Et alors ?! Pourquoi ce serait à moi de payer pour ton smoothie parceque soit disant c'était moi qui voulais venir ?

— Sois poli un peu !

— Toi, sois poli ! T'es censé être un gentleman !

— Depuis quand ?! pesta-t-il, confus.

Je sais pas c'est qu'une excuse, moi je suis à la ramasse j'ai dépensé tout mon argent dans mon dernier téléphone !

— Bordel mais il compte combien ton portable !?

— J'étais pas très riche de base ! me suis-je étranglé.

Il souffla d'exaspération et sortit son porte-monnaie pour en sortir un billet de dix euros qu'il claqua sur le comptoir.

Ok lapin, c'est que pour aujourd'hui, je te jure que la prochaine fois c'est toi qui paye !

Retrouvant immédiatement ma bonne humeur, je me suis mis à sourire.

Oui oui, ai-je promis, Merci !

— C'est ça, grommela-t-il sous son souffle alors que la vendeuse nous jetait un dernier regard assez désemparé avant de nous tendre nos boissons.

On s'est ensuite dirigés vers la sortie, moi étant déjà en train d'aspirer mon smoothie en souriant comme un bébé bienheureux. Sur notre passage, j'ai entendu le petit garçon de la famille qui attendait derrière nous, probablement de six ou sept ans, demander à haute voix :

Maman est-ce que le prénom du garçon c'est vraiment "lapin" ?

Lui faisant signe de se taire un peu, elle lui a répondu, espérant sûrement être silencieuse (spoiler : elle ne l'était pas).

Tais toi un peu Leo, ça ne te regarde pas ce genre de choses !

— Mais–

— C'est des surnoms d'amoureux comme quand papa appelle maman "mon cœur" !

Mes joues ont viré au rouge et mon regard a trouvé un intérêt particulier pour mes chaussures. J'ai d'ailleurs remarqué qu'elles étaient assez sales. Du coin de l'œil, j'ai vu Lucas qui regardait le ciel, l'air aussi gêné, les joues légèrement roses.

Et bien c'était gênant, merci la maman de Leo.

Dis, on va au parc ? ai-je proposé, Ça sera mieux que de tourner en rond, on peut se poser.

— Comme tu veux, me répondit simplement Lucas.

Sortant mon téléphone, j'ai commencé à chercher de la musique pour finalement mettre du Katy Perry, pour la nostalgie. Le noiraud s'esclaffa bruyamment.

T'écoutes Katy Perry toi ?!

— Critique pas Katy, ai-je simplement rétorqué, C'est une icône.

— Mais bien sûr, rigola-t-il.

J'ai commencé à chantonner d'abord plutôt silencieusement, et après dix minutes, je chantais à tue tête les paroles de "California Girl" en entrant dans le parc avec un Lucas totalement hilare à mes côtés. Pour être honnête, je m'amusais vraiment avec lui, j'avais l'impression que je pouvais faire n'importe quoi, il ne me quitterait pas. Bon, il me jugeait clairement, mais ça, c'était quelles que soient les circonstances. Il me jugeait tout le temps, et pas seulement quand je faisais n'importe quoi. Il n'avait pas honte de moi, et c'était ça que j'appréciais.

Après quelques minutes dans le parc, j'ai fini par m'affaler sur le banc qui était là en reprenant mon souffle, épuisé. J'ai pris une grande gorgée de mon smoothie, juste pour remarquer qu'il était presque déjà terminé (les bruits bizarres et assez agaçants le démontraient assez bien).

Je vais aller le jeter à la poubelle, ai-je prévenu Lucas avant de repartir en courant comme une fusée.

Même moi j'avais du mal à croire que j'avais autant d'énergie. J'ai jeté le contenant en carton dans la poubelle, et j'ai relevé la tête pour me retourner et repartir vers Lucas. Seulement, sur le chemin, qui passait tranquillement, mains dans les poches, j'ai croisé le regard d'une tête que je ne connaissais que trop bien. Avec ses cheveux auburn, son regard jaune et son air neutre. Mon cœur se mettant à battre beaucoup plus vite, mes mains soudainement plus que moites, j'ai essayé de déglutir, pour remarquer que mes lèvres étaient complètement sèches.

Azrael.

Ce qu'il faisait là, je n'en savais fichtre rien. Peut être que lui aussi avait fini ses horaires de lycée – à mon plus grand soulagement, il avait été admis dans un autre lycée que le mien – ou peut être simplement que lui aussi traînait au parc de temps en temps. Pourquoi il était là n'était pas important. Son regard resta planté dans le mien, et je me rends bien compte que je devais avoir l'air assez angoissé de le croiser là. Je l'étais. Ça fait longtemps que je ne me suis pas senti aussi anxieux et stressé.

Le moment où il retira ses écouteurs et ouvrit la bouche, mes jambes ont décidé de fonctionner et j'ai traversé l'herbe, tête baissée, d'un pas rapide en direction de Lucas.

Camille ! s'exclama-t-il.

Je me suis stoppé net en l'entendant m'appeler, une grimace évidente sur le visage. J'ai tourné la tête, ai cligné des yeux avant de froncer les sourcils et de repartir presque en courant vers Lucas. Ce dernier s'était d'ailleurs levé en entendant l'autre m'appeler. Je me suis accroché à son bras, me rendant compte seulement maintenant que je tremblais.

Ça va lapin ? s'inquiéta-t-il, le regard rivé sur moi.

C'est Azrael. C'est lui, ai-je réussi à craquer sans quitter du regard l'adolescent en face arriver vers nous.

Lucas fronça clairement les sourcils, visiblement bien énervé – pas que ça change de d'habitude – et Azrael finit par arriver devant nous.

Cam, je t'en supplie tu dois m'écouter, arrête de t'enfuir s'il te plaît, ça fait tellement longtemps qu'on s'est pas vu, j'ai besoin de te parler.

En toute réponse, je me suis caché un peu plus derrière Lucas. S'il y avait bien une personne contre laquelle j'étais vraiment faible et démuni, c'était Azrael, et il avait réussi à me mettre dans cet état là tout seul en me harcelant et en me laissant tomber comme une vieille chaussette trouée. Azrael qui fronça d'ailleurs les sourcils en tournant la tête vers Lucas.

T'as un petit ami maintenant ? marmonna-t-il, soudainement beaucoup plus tendu.

C'est pas mon petit ami c'est que Lucas, ai-je marmonné en faisant la moue.

Il souffla en toute réponse, et finit par se gratter la nuque, embarrassé.

Écoute, je veux juste te– commença-t-il.

T'es bouché ou quoi ? le coupa froidement le noiraud.

Le silence qui s'en suivit ne me calma pas vraiment. Azrael avait l'air parfaitement scandalisé, et je pouvais bien voir que Lucas était frustré.

Pardon ?!

Je t'ai demandé si tu étais bouché, répéta sèchement mon– je ne sais même pas vraiment ce qu'il est pour moi, c'est ennuyeux, Il n'a clairement pas envie de te parler. Sinon, il ne se serait pas enfui en te voyant, t'es bigleux ou t'es juste complètement con ?!

— Enfoiré !

Ta gueule, les gens avec des prénoms de merde qui collent parfaitement à leur personnalité je veux pas entendre ce qu'ils ont à dire !

Qu'est-ce que t'as dit là ?!

— T'es sourd en plus d'être aveugle ?! Tu veux que je répète ?!

À les voir prêts à se taper dessus, je me suis senti encore plus anxieux, bien que savoir que pour une fois, Lucas se battrait pour moi et pas contre moi.

Bon stop les deux abrutis, ai-je fini par intervenir en me plaçant entre les deux, Lucas tu t'énerves vraiment pour rien ! Et puis Azrael, j'ai rien à te dire ! Tu sais très bien que tu es un connard de première alors n'essaie pas de jouer aux hypocrites !

Sur ces mots, j'ai attrapé mon sac de cours, l'ai remis sur mes épaules et les ai laissé tous les deux en plan. Après une dizaine de mètres, j'ai retourné la tête et ai pointé Lucas du doigt.

La prochaine fois c'est moi qui paye alors t'as pas intérêt à me faire tout un foin !

Il enfonça ses mains dans ses poches, l'air assez amusé, il me sourit. En toute réponse, je lui ai tiré la langue et suis parti aussi vite que l'éclair, n'ayant pas spécialement envie de rester plus longtemps aux côtés de ce Azrael qui m'a pourri mes dernières années de collège.

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