13 | 'PENCHÉ SUR LA CUVETTE DES TOILETTES'
Depuis le soir où les Laguion sont venus dîner, il s'est écoulé une semaine. En une semaine, je ne dirais pas que Lucas et moi sommes devenus amis, mais on s'entend vraiment mieux, et quand on se dispute maintenant, c'est clairement pas pour blesser l'autre. Il a d'ailleurs pris l'habitude de m'appeler « mon lapin ». Les rumeurs qu'on est en couple sont revenues aussi vite qu'elles avaient disparu, et tous ceux de notre classe sont persuadés qu'on assume pas d'être amoureux. Le pire, c'est que ce surnom, il l'utilise pour se moquer de moi. Le soir du dîner, ma mère m'a appelé de la sorte, et il en a profité pour garder ça et me rendre gêné. J'ai d'ailleurs regagné la personnalité rayonnante qui fait grimacer Alexandre quand il n'est pas bien réveillé le matin, et quand je suis un peu trop surexcité, Lucas me donne une pichenette sur le front, signe que je dois me calmer.
Je ne dirais pas que les rumeurs sont vraies, mais ce n'est par contre pas totalement faux. Depuis que j'ai réalisé mes sentiments pour lui, j'ai l'impression que je ne fais que tomber pour cet idiot chaque jour un peu plus, à mon plus grand malheur. Il a fallu moins de dix minutes à Alex pour deviner ce qu'il se passait quand je l'ai vu le lundi après le dîner, et Brigitte a compris en une seule heure d'EPS où je n'essayais même pas de cacher l'insistance avec laquelle j'observais Lucas.
Sur mes conseils, il a aussi arrêté de s'attacher les cheveux aussi souvent, et après coup, je me dis que ce n'était pas forcément une bonne idée, étant donné qu'il arrive toujours à se débrouiller pour finir avec une fille différente chaque pause déjeuner, et ce malgré les rumeurs incessantes à notre sujet. Le couple gay de l'école. Je crois que les gens ont un peu de mal à se dire qu'être homosexuel n'est pas exceptionnel, et que les relations entre garçons, c'est tout à fait normal et qu'il ne fallait pas nous mettre sur un piédestal.
Enfin bon, ma vie allait bien. Ça aurait forcément pu être mieux, mais je n'allais pas non plus me plaindre.
Aujourd'hui, en entrant au lycée, je me doutais que ça n'allait pas être une bonne journée. Je ne sais pas exactement pourquoi, peut être à cause du ciel plus que nuageux qui menaçait de gronder à chaque instant, le fait qu'on ait un contrôle de mathématiques en première heure ou les maux de ventre qui me tordaient l'estomac depuis que je suis sorti de chez moi. En tous cas, Alexandre avait bien remarqué que j'étais de moins bonne humeur, et il ne s'est pas foulé pour me le faire remarquer.
— Qu'est-ce qu'il se passe pour que tu tires cette tronche ?
— Juste de pas super humeur, ai-je marmonné en faisant la moue.
— Venant de toi, c'est un problème. T'es malade ?
Je n'ai pas eu le temps de lui répondre que je me faisais taper l'arrière de la tête.
— Salut mon lapin, se moqua Lucas en arrivant à mes côtés, un sourire narquois sur le visage.
Un peu replié sur moi-même, j'ai soupiré. Du coin de l'œil, j'ai senti Alexandre pas très à l'aise. Il n'était pas à l'aise avec toute cette histoire de rumeurs et de surnoms étrange, ça l'embarrassait un peu, pour une raison qui m'échappait totalement.
— Salut Lucas.
Il plissa les yeux et se pencha pour mieux m'observer.
— Ça va ?
— Juste un peu mal au ventre.
Il resta silencieux quelques instants, l'air assez concerné.
— Si t'es malade t'aurais pas dû venir, t'aurais pu louper le contrôle.
— De une, t'as vu mes parents ? Il faudrait que je vomisse mes tripes pour qu'ils hésitent à me laisser rester à la maison, ai-je argumenté, De deux, si je le loupe, je devrais le rattraper tout seul et c'est vraiment pas fun.
Il huma l'air en toute réponse et hocha la tête. Il recala les bretelles de son sac sur ses deux épaules et continua de marcher à mes côtés. En arrivant devant la salle de maths, j'ai cru voir un cadavre à la place d'Ambre, et je me suis dit que peut être, il y avait des gens d'encore pire humeur que moi.
— J'aimerais tellement avoir la grippe maintenant, se plaint-elle, à moitié affalée sur le sol.
— Crois-moi tu n'aimerais pas.
— Je n'ai rien compris à la séquence ! Si je me débrouille, je pourrais peut être décrocher un huit ou un neuf ... ! s'exclama-t-elle avec espoir.
— Heureusement que t'as tes notes de français et d'histoire-géographie pour remonter ta moyenne, sinon t'aurais pu rêver pour passer en terminale, la réprimanda Clara.
— Que veux-tu, tout le monde a des défauts ! geignit mon amie.
Elle glapit en voyant notre professeur débarquer, et alors que Clara se mettait à rire, moi, j'ai cru que j'allais vomir. J'ai grimacé en silence et ai déglutit avant d'entrer en classe. Le visage pâle, je me suis installé.
— Bon, le contrôle est assez long, donc ne perdez pas de temps et sortez vos copies et vos affaires ! Les sujets sont déjà sur vos tables, vous pouvez les retourner. Bonne chance.
— Quelle sadique déclare bonne chance à ses élèves pour un contrôle de sa conception, marmonna Ambre en sortant sa calculatrice.
Un faible sourire traversa mes lèvres alors que j'essayais de me concentrer sur les écritures imprimées sous mes yeux. Je voyais pas mal de lettres, de chiffres, de symboles et de parenthèses, mais je n'arrivais qu'à penser à mon estomac qui souffrait le martyre.
Après un quart d'heure de silence de mort, avec seulement le bruit de l'horloge qui résonnait dans la pièce, j'ai eu un renvoi et mon cœur a loupé un battement. J'étais probablement vraiment malade, et le goût amer du renvoi me fit grimacer.
— Monsieur ! me suis-je exclamé en levant la main.
J'ai senti les regards se tourner vers moi, et vu la tête que tirait Alexandre, deux rangs devant moi, je me doutais bien que je ne devais pas rayonner de vie.
— Je ne me sens pas bien, je peux aller aux toilettes ?
— Au milieu du contrôle ? Ça va ?
— J'ai envie de vomir.
Vu la tête qu'il me tira, j'ai senti qu'il n'appréciait pas vraiment parler de vomi, et il scanna la classe du regard, probablement assez inquiet de me laisser sortir tout seul dans cet état.
— Je peux l'accompagner m'sieur.
J'ai tourné la tête pour voir Lucas qui levait la main.
— Ah parfait parfait. Faites attention hein, bredouilla-t-il.
Il m'inquiétait ce prof, j'ai cru qu'il allait dégobiller rien qu'en m'entendant parler de régurgitation.
Lucas s'est levé et m'a fait signe de venir. Je me suis approché, manquant de me plier en deux pour vomir là, sur le sac de Joëlle, et j'ai pris appui sur lui alors qu'il passait son bras autour de ma taille. J'aurais dû prendre mes béquilles avec moi, mais j'ai vraiment trop mal pour y penser. J'ai entendu mes amis et d'autres idiots de ma classe s'exclamer des « wouuuh », ce à quoi Lucas rétorqua par un magnifique doigt d'honneur devant le regard éberlué du professeur.
Dans le couloir, j'étais haletant, et pas franchement super bien.
— Évite de me vomir dessus lapin, lâcha le noiraud simplement.
— Ça devrait aller je pense.
J'ai dit ça, mais l'instant d'après, je fermais ma bouche et courait vers les toilettes pour régurgiter tout ce que j'avais mangé la veille et ce matin. Relevant la tête de la cuvette des toilettes, j'ai retroussé les manches de mon sweatshirt pour m'essuyer la bouche. Lucas est arrivé quelques secondes après et s'est accroupi à côté de moi.
— Je hais ma vie, là, maintenant, ai-je fait remarquer en soupirant.
— T'es vraiment pas sexy comme ça, me répondit-il.
Je n'ai pas eu le temps de lui dire de fermer sa gueule et j'ai simplement retourné la tête vers la cuvette pour continuer à vomir. Il passa sa main sur mon dos et me le caressa en silence, probablement pour me calmer.
Quelle journée de merde.
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