12 | 'UN ALBUM PHOTO'

Assis en tailleurs sur mon coussin lapin, je n'arrivais pas à lever le regard vers Lucas, qui était assis sur ma chaise de bureau, l'air assez désarçonné. Je trouvais mes pieds et les détails du coussin beaucoup plus intéressants, et avec mes joues brûlantes, oser le regarder n'était pas une possibilité. Mon frère avait raison. Brigitte avait raison. Alexandre avait raison. Ils avaient tous eu raison, tous autant qu'ils soient. J'avais des sentiments pour cet idiot.

Eh Camille, tu te sens bien ? C'était vraiment vache ce qu'il t'a balancé ton père, c'est souvent comme ça ? finit-il par lâcher.

Obligé de relever les yeux, j'ai secoué la tête, une moue évidente sur le visage.

C'est la première fois, mais je sais que je l'ai quand même cherché. Désolé de t'avoir giflé au fait.

Il tourna la tête, regardant ailleurs.

C'est bon, c'était ma faute en même temps.

Ohoh, est-ce que ce serait un essai d'excuse ? me suis-je moqué.

Ne m'énerve pas, c'est toi qui devrais t'excuser.

— M'excuser pour quoi ? Parceque tu as exposé ma sexualité ? Imagine que mes parents n'étaient pas au courant que j'étais gay, tu aurais réagi comment, là ?

— Pourtant t'as balancé que j'étais bisexuel.

Comme toute réponse, je lui ai balancé une de mes nombreuses peluches.

Ta gueule t'as commencé !

— Et t'as continué ! rétorqua-t-il en me jetant ma peluche.

Je l'ai attrapé en plein vol et l'ai serré contre moi. Il secoua la tête en soupirant et tourna sur ma chaise pour fouiner dans les affaires posées sur mon bureau.

Eh ! Vas-y, surtout fais comme chez toi idiot !

— Si tu insistes, rigola-t-il.

Je me suis levé pour regarder ce qu'il farfouillait dans mes tiroirs. Je n'avais pas grand chose à cacher, l'inquiétude qu'il trouve quelque chose de compromettant ne m'avait donc pas traversé l'esprit. Il finit par sortir un gros bouquin. Mon album de photos. Un sourire se dessina sur mon visage, alors qu'il me regardait, assez intrigué.

Tu veux voir des photos de moi ? T'es à ce point-là fou de moi, Laguion ? ai-je pouffé.

Il se leva avec l'album pour aller s'asseoir sur mon lit, adossé au mur.

Pourquoi pas.

Il éclata de rire en voyant mes joues tourner au rouge tomate, et en ouvrant l'album, il continua :

De nous deux, c'est toi qui est totalement tombé pour moi.

— Que dalle, ai-je menti avant de sauter sur mon lit pour me caler à côté de lui et regarder mes photos avec lui, Ah c'était quand j'étais bébé.

— Bien oui, gogole, c'est le début de l'album, tu vas pas avoir quinze ans.

Je n'ai rien dit, ennuyé, et l'ai regardé tourner les pages en silence.

Oh y'a Alex ! me suis-je soudainement exclamé en voyant la première photo que j'avais faite avec lui en petite section. Ça faisait longtemps que je n'avais pas ouvert cet album, et j'avais l'impression de redécouvrir mes photos.

Alexandre ?! s'étonna le noiraud, confus.

Ouais, Alexandre. Mon ami d'enfance quoi.

Il paraissait assez surpris, et finit par hocher la tête.

J'ai jamais eu d'amis de longue date.

— Parceque t'as des amis ?

— Je vais te tuer Delbot.

— Pitié, tu m'aimes trop pour ça.

J'ai cru qu'il allait me taper avec le livre, mais il finit par se mordre l'intérieur de la joue pour reprendre son calme et tourner les pages. Entre mes photos de classe, de mes frères et de mes amis, je me sentais un peu nostalgique.

Tiens, je savais pas que t'avais un chat, lâcha-t-il, haussant les sourcils.

J'ai humé l'air en revoyant une photo de moi en CM2 avec un chat noir dans les bras.

Il est mort l'année dernière, renversé par une voiture. Il s'appelait Rufux, ai-je amèrement expliqué.

Les souvenirs de ce chat étaient assez aigre-doux, et malgré un sourire triste, j'ai senti mes yeux s'humidifier.

Rufux ? On dirait le nom d'un personnage d'Animal Crossing.

Je me suis mit à rire et me suis frotté les yeux.

Respecte Rufux ! me suis-je esclaffé, Il était juste trop gentil !

Il acquiesça en silence et continua d'observer les souvenirs de mon enfance. J'avais d'autres photos avec Rufux, certaines avec Alexandre qui essayait de fuir l'objectif de l'appareil photo, et quelques unes de moi qui tirait la langue ou faisait le signe de la victoire. S'en suivirent beaucoup de photos de collège, au moment où j'ai rencontré Ambre et Clara.

Lucas se figea soudainement dans ses mouvements, penchant la tête sur le côté, abasourdi.

Qui c'est elle ? s'étonna-t-il en pointant du doigt une photo de moi qui enlaçait mon ex petite-amie.

Julie. Je suis sorti avec elle un peu plus d'un an, de la fin de sixième jusqu'en octobre de quatrième. Après ça, elle a déménagé. C'était pour le mieux, je pense, parceque j'avais déjà de gros doutes sur ma sexualité en entrant en quatrième.

Il resta silencieux devant sa photo. Julie, c'était une fille aux longs cheveux roux, toujours attachés en queue de cheval haute, aux yeux bruns. Elle avait toujours le sourire aux lèvres. Je me demande comment elle a vieilli.

Tu l'aimais ? finit-il par demander, sans même daigner me jeter un regard.

Je ne sais pas ce qu'il avait, mais, le sourire aux lèvres, j'ai levé les yeux vers les stickers étoiles qui étaient collés au plafond depuis ma maternelle, et j'ai secoué la tête.

C'est la fille avec laquelle je suis sorti le plus longtemps. C'est vrai qu'elle était belle, et vraiment gentille, mais c'est elle qui est venue me voir en premier. Je me suis juste laissé aller. C'était juste de l'attirance, il y avait toujours un truc qui n'était pas bien.

— J'ai l'impression que tu fais beaucoup de chichis pour pas grand chose, marmonna Lucas en secouant la tête.

J'ai pouffé un peu et ai fini par reporter le regard vers l'album. J'avais beaucoup de photos avec Julie, et j'ai éclaté de rire devant une photo de Gontran et Louise qui s'embrassaient. Derrière, on pouvait voir Ambre en train de se faire tirer les cheveux par Clara, Alexandre qui faisait semblant de vomir, et moi, à droite, qui faisait la grimace en fixant les deux tourtereaux. Le sourire sur mon visage s'effondra rapidement en tombant sur ma photo de classe de quatrième, surtout devant un visage familier. J'ai essayé de l'ignorer, mais c'était assez dur, vu que la photo suivante était une photo de lui et moi, bras dessus bras dessous.

Alors par contre lui je suis sûr de ne l'avoir jamais vu, jura-t-il en fronçant les sourcils, Qui c'est ?

— Je veux pas en parler.

Jouant avec mes mains sous le stress soudain et inattendu, j'ai essayé d'esquiver le regard perçant et curieux de Lucas. J'ai cru qu'il allait laisser tomber, mais vu que sur plusieurs pages, il était sur toutes les photos, je me doutais bien que des questions, il en avait pas mal. J'étais quand même assez reconnaissant qu'il les garde pour lui et respecte mon opinion de ne pas amener ce sujet. Seulement, quand, en tournant une nouvelle page, on est tombé sur une photo de moi à l'hôpital, avec des tubes dans le nez, une perfusion accrochée à mon bras, des hématomes et des blessures partout sur mes avants-bras et le visage, il referma le livre et me regarda.

Je sais qu'on n'est pas censé être très proche, mais j'aimerais quand même savoir pourquoi tu as atterri à l'hôpital.

Bien évidemment, je ne pouvais pas y échapper pour toujours et un soupir bien audible échappa mes lèvres.

Soit ... ai-je fini par abandonner, Comme tu veux.

Cherchant par où commencer, je me suis mordillé la lèvre.

Le garçon sur les photos, c'était Azrael Ogerot. On était dans la même classe en quatrième. Je ... Il me plaisait pas mal. C'est un peu grâce à lui que j'ai remarqué que j'étais pas hétéro, tu vois. Mais j'ai rien dit, parcequ'on s'entendait vraiment bien, et j'avais pas envie de gâcher ça. C'était vers Janvier que j'ai fait mon coming out. Je m'imaginais pas avoir de problème, et pourtant, bien j'en ai eu, tu t'en doutes.

Dehors, il a commencé à grêler vraiment fort, me faisant sursauter.

Un soir en sortant du collège, je suis allé à la boulangerie. J'y suis jamais arrivé, des types m'ont empêché. Je savais pas me battre avant. Je comprendrai jamais les filles qui disent qu'être homosexuel, c'est trop cool. J'ai vachement souffert moi. Enfin y'a Azrael qui est arrivé. Il m'a vu, il les a vu, il m'a simplement regardé avec dégoût avant de continuer à marcher. J'ai un peu perdu foi en l'humanité ce jour là. Ensuite, il ne m'a plus jamais parlé et m'insultait dans les couloirs. Enfin, c'est le passé. Je suis tombé dans les vapes, ça va devenir une habitude pour moi, j'ai l'impression. Je me suis réveillé à l'hôpital. C'était le propriétaire de la boulangerie qui avait entendu du boucan.

Ce n'est qu'en racontant cette histoire que j'ai remarqué que j'avais vraiment pas une vie simple, et je n'étais même pas efféminé.

J'ai remarqué que je pleurais seulement quand Lucas s'est approché de moi et a essuyé mes larmes du revers de la main.

Y'a un pote du cousin d'un ancien ami qui a été tué comme ça, il s'est fait poignarder, et les gens l'ont trouvé trop tard. Le monde est injuste, même cette génération. Y'a encore beaucoup de progrès à faire, tout le monde n'a pas encore l'esprit bien ouvert, et ça me pète les couilles, parceque y'en a qui ne peuvent pas se défendre.

Je n'ai rien répondu et ai enfoui mon visage dans le creux de son épaule et l'ai serré contre moi. D'abord assez dérouté je pense, il a fini par passer ses mains dans mon dos pour me rassurer en silence. J'étais assez soulagé de voir qu'il ne m'a pas repoussé parceque soit disant je puais la noix de coco.

Je comprends mieux notre discussion du jour où j'ai pété le nez de Titouan maintenant.

Un sourire triste trouva sa place sur mon visage et j'ai hoché la tête en silence.

Allez reprends-toi Delbot, t'es sensé être un rayon de soleil pas une pauvre chouineuse.

Je me suis alors levé, une idée me traversant l'esprit. De toute façon, le passé, c'est passé. Ça ne servira à rien de ressasser ce genre de choses, à part déprimer, et je n'ai jamais été ce type de personne. J'ai sauté hors de mon lit sous les yeux effarés de Lucas, et j'ai attrapé le Polaroid que j'avais rangé dans mon bureau.

Je pense qu'il n'a pas eu le temps de réaliser quoi que ce soit sur mon changement d'humeur que je passais mon bras autour de ses épaules, collé contre lui, et que je tournais l'appareil de manière à pouvoir prendre une photo de nous deux. Il avait l'air assez confus, et avant d'appuyer sur le bouton, j'ai déposé mes lèvres sur sa joue.

Après ça, je l'ai lâché, le laissant complètement paumé, le visage plus rouge que rouge, et j'ai attendu que la photo se forme, un sourire amusé sur le visage, humant les paroles d'une vieille chanson qui est passée à la radio ce matin même. Finalement, j'ai pu avoir l'image, et en la voyant, mon cœur se serra. Je lui ai montré et ai souri.

C'est ma photo préférée maintenant.

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