Scène VIII.
Assit dans le fauteuil en face du lit, Louis prend son verre sur la table et boit le reste de rhum. Un liquide brûlant lui coule dans la gorge, un goût acre lui colle à la langue. Il porte un simple caleçon, la chaleur est accablante.
Harry sort de la salle de bains, un peignoir blanc, doux, autour de son corps nu, qui l'enveloppe. Le bout de ses boucles est humide, sa peau ruisselante à certains endroits.
Ils sont restés longtemps dans la baignoire, jusqu'à ce que l'eau devienne tiède. Presque froide. Et ils se sont lavés à tour de rôle.
Les mains ont parcouru la peau, les formes, ils ont pris leur temps. Parce qu'ils n'ont que cette nuit pour tout découvrir, pour tout apprendre.
Louis se demande si Harry meurt de chaud comme lui, sous le tissu épais de son peignoir. Harry repose la lampe sur la table de chevet, éteinte. Une seule est suffisante.
Il s'assoit au bord du lit, là où Louis se trouvait au tout début de la nuit, avant de le faire entrer.
Harry : Tu crois qu'il est quelle heure ?
Louis : Je n'en ai aucune idée.
Ils n'ont aucune notion du temps qui passe. Juste le noir. Le noir de la nuit. Une protection.
Il peut être vingt trois heures comme trois heures du matin.
Harry joue avec le pan de son peignoir, puis regarde Louis qui fixe son verre vide. Son regard l'est aussi. Peut-être même plus.
Louis : Harry... Pourquoi tu fais tout ça, toi ? Pourquoi tu viens à ce genre de... rendez-vous alors que tu pourrais avoir n'importe qui à tes pieds ? Prêt à t'aimer ?
Harry (un rire faible) : Tu penses ça ?
Après avoir haussé les épaules, Louis repose son verre sur la table mais ne s'en sert pas un autre. Il regarde Harry, il attend sa réponse.
Il y a quelque chose en lui qu'il ne parvient pas à saisir. Harry semble tout lui donner, et pourtant il lui échappe.
Harry (soupire) : Je ne suis simplement jamais tombé sur la bonne personne, je crois.
Louis : Et tu penses la trouver en faisant ça ?
Leurs regards se rencontrent, se lient pendant une poignée de seconde. Ils ne disent rien. Ils se fixent et essaient de communiquer comme ça. Par la force des yeux.
Harry n'est pas dupe. Il sait qu'il ne rencontrera pas l'amour en livrant son corps à des inconnus différents plusieurs fois dans le mois. Des heures à se perdre entre les mains d'un étranger, à oublier la réalité frappante du monde qui les entoure.
Une échappatoire.
Au fond, il peut comprendre la motivation qui pousse Louis à faire cela. A s'abandonner dans ses bras qui ne pourront jamais l'enlacer correctement.
Parce que ça lui permet de ne pas s'attacher, de ne pas souffrir, de ne pas avoir le cœur brisé.
Harry (tout bas) : Je ne sais pas. Tu es la première personne que je rencontre dans ces circonstances.
Surprit, Louis se redresse, les sourcils froncés. Harry détourne la tête, regarde ailleurs. L'écran éteint de la télévision, le mur, puis le sol. Ses yeux se baladent partout, sauf sur l'autre jeune homme.
Ce n'est pas de la honte. Plutôt de la gêne. La gêne d'avouer une vérité.
De s'exposer.
De montrer ses failles.
Louis croit le voir rougir dans la pénombre de la pièce, il ne sait pas trop. C'est peut-être encore l'effet de la chaleur du bain ou sa peau qui chauffe sous le peignoir.
Louis : Tu aurais dû me le dire plus tôt, Harry.
Harry : Qu'est-ce que ça change ?
Louis : Tout. Je croyais que... Que tu avais l'habitude. De faire ça.
Harry joue nerveusement avec ses doigts ensuite. Il hausse les épaules et secoue la tête. Louis le regarde et il essaie de comprendre, parce que tout aurait été différent.
Ce n'est pas une information futile. Louis aurait aimé savoir. Pour faire mieux. Pour ne pas le traiter comme les autres. Pour que ce soit différent.
Harry : Tu es le premier qui m'a contacté, avec qui j'ai échangé. Je... Tu m'intriguais et je voulais te rencontrer aussi. Je savais que si je te disais la vérité, que j'étais nouveau sur l'application, tu n'aurais pas voulu de moi. Personne n'aurait voulu de moi.
Louis : Ne dis pas ça, n'importe qui de sensible à la beauté voudrait te connaître.
Harry : Mais, je n'ai pas d'expérience, je...
Louis (l'interrompt d'un ton certain) : Je ne l'ai pas ressenti comme ça.
Les joues d'Harry se colorent d'un rose irisé, même perceptible dans cette faible lumière. Louis l'observe toujours, même quand il s'allonge en travers du lit, sur le dos. Son peignoir remonte jusqu'en haut de ses cuisses, laisse voir sa peau couleur de pêche.
Il semble si innocent, si juvénile.
L'éclat de vie dans ses yeux, un vert flamboyant, menthe à l'eau.
La trace de son sourire sur son visage, sur le bout de ses lèvres, même quand il aborde un air sérieux.
La blancheur de sa peau à certains endroits, celle de la jeunesse.
La rondeur délicate de son ventre.
Les premiers poils de sa barbe, de sa moustache.
La fermeté et la fermeté de ses cuisses à la fois, là, à cet endroit où tout converge.
Les grains de beauté parsemés un peu partout sur son corps.
Les tatouages qui forment une histoire dont Louis cherche le sens.
Il y a un dessin sur le haut de sa cuisse, presque à l'intérieur. Un croissant de lune. Petit. Presque minuscule. Mais il est là.
Louis l'a vu. Quand il a passé ses lèvres contre sa peau, un peu plus tôt. Et ça l'a frappé. L'intimité et la fragilité d'un seul tatouage.
Il ne demande pas. Il ne demande pas ce que cette lune fait là. Il ne demande pas ce qu'elle signifie. Louis se tait, il l'écoute parler.
Parce que, maintenant, c'est à son tour de se confier.
Harry : En te parlant, j'ai su presque tout de suite à qui j'avais à faire. Tu étais si sûr de toi, si directe et confiant. J'avais si peur de te faire perdre ton temps, du moment où nous allions nous rencontrer aussi, où tu allais poser tes yeux sur moi.
Harry fixe le plafond, blanc. Une petite tâche dans le coin. Rien n'est parfait, il y a toujours un défaut. Quelque chose pour faire tâche.
Ses doigts glissent sur le fil qui tient son peignoir fermé, il joue avec, tire dessus, serre le nœud. De sa place, il ne peut pas voir Louis qui le regarde, et c'est peut-être mieux ainsi. Malgré tout, il sent la chaleur de ses yeux qui réchauffe son corps.
Harry : Je craignais que tu ne me trouves pas attirant, à ton goût. Je ne savais même pas ton âge. Tu m'as simplement donné cette adresse, et je suis venu sans attendre. Je ne sais pas... J'aurais pu tomber sur un homme de quarante ans, la peau sèche, la voix grasse et le corps rigide, fatigué par la vie, qui ne m'aurait pas laissé le temps de parler, qui m'aurait demandé de me déshabiller et de m'allonger.
Les paupières closes, Harry essaie d'imaginer la scène. Si rien ne s'était passé comme cette nuit.
Un homme âgé. Mûr. La vie déjà bien entamée. Peut-être marié à une femme qui ne le satisfait plus, qui a besoin de toucher un corps jeune pour se sentir exister, désiré. Il aurait ouvert, il aurait regardé Harry avec cette lueur carnassière dans les yeux. Puis, il aurait commencé à le déshabiller, l'embrasser avec sa bouche sèche, collante, ses mains calleuses sur sa peau nue et frissonnante de dégoût.
Sans détour, il aurait demandé à Harry de lui donner du plaisir. D'être obéissant et à lui. Il n'aurait pas vu les larmes sur ses joues ou la frayeur dans son regard. Il serait parti une fois son désir repu, et Harry aurait passé de longues minutes à laver son corps souillé sous la douche, frotter sa peau activement au savon et à l'eau brûlante, les sanglots qui l'empêchent de respirer.
Il ne se serait pas senti vivant, lui. Il aurait été brisé.
Harry revient brutalement à la réalité. Rien de tout ça n'est vrai.
Mais, il n'a pas pu retenir les larmes qui ont franchi ses paupières. Ni cette boule qui grossit au milieu de sa gorge et lui donne envie de vomir.
Puis, il pense à Louis. Il pense à ces dernières heures. Ces dernières heures à s'embrasser, se caresser, se regarder, se faire l'amour de façon brûlante et frénétique.
Harry l'a senti. Dès le premier baiser, dès les premiers contacts. Il a deviné que Louis non plus n'y est pas étranger. Ils se sont donnés bien plus que leur corps, que des frissons de plaisir. Ils ont parlé, ils sont restés de longues minutes à se regarder sans rien dire, ils ont partagé un bain, ils ne sont pas arrêtés à l'orgasme.
Cette nuit, pour quelques heures, ils se sont fait vivre.
Harry : Mais j'ai eu de la chance. D'être tombé sur toi. Quand tu as ouvert la porte et que je t'ai vu, j'ai eu envie de pleurer de joie. Tu avais ce... ce charisme en toi... Comme si tu possédait le monde entier dans le creux de ta main. Et... Ça m'effrayait tellement tout ça. Toute cette histoire de chambre d'hôtel au milieu de nul part, de rendez-vous avec un inconnu pour...coucher ensemble. Je n'ai jamais fait ça et...
Il s'interrompt et souffle.
Les larmes ont cessé de couler, mais elles ont mouillées ses joues.
Presque instantanément, après la première fois qu'il se soit perdu dans Louis, Harry a su qu'il n'y aurait pas de deuxième nuit.
Avec lui.
Mais aussi avec quelqu'un d'autre.
Que ce serait un moment exclusif.
Des heures perdues, dans une chambre d'hôtel, au beau milieu d'un été brûlant.
Des heures à s'aimer sans le dire qui n'appartiennent qu'à eux.
Harry : Même quand je t'ai parlé par messages, j'avais la sensation que tu étais... Différent. Unique, peut-être.
Sa voix est un murmure, il ose à peine prononcer ces mots. Ils résonnent en lui, ils hurlent de sens à l'intérieur.
Dès qu'il a vu Louis, il a compris qu'il n'y aurait pas de retour en arrière, qu'il n'y aurait pas d'échappatoire, qu'il n'y aurait pas d'hésitation non plus.
Que ce serait maintenant ou jamais.
Une attirance immédiate. Frappante. Foudroyante. Parce que c'est ce qu'il fait, Louis. Il renverse les autres, il bouleverse tout sur son passage. Il ne laisse des traces, il n'épargne pas.
Son regard d'un bleu perçant, monstrueusement impressionnant.
Sa posture droite et franche, affirmée.
Son air déterminé, impénétrable.
Et pourtant, Harry l'a vu pleurer. Il l'a tenu dans ses bras, il l'a senti trembler, il l'a entendu renifler, il l'a enlacé quand il était au plus bas, quand il a tout raconté sur sa vie.
Puis la façon dont Louis l'embrasse à chaque fois, comme s'il tentait de tout oublier, de tout effacer, de tout recommencer, de s'accrocher à un dernier espoir. Mais déjà, il s'échappe avant même qu'Harry ne puisse refermer ses mains sur son corps pour le retenir.
Après avoir passé ses doigts contre sa joue humide, il soupire et ouvre à nouveau les yeux.
Harry : Oui. Unique, c'est ça.
Puis il se redresse, sur ses coudes d'abord. La première chose qu'il voit, c'est le regard de Louis sur son corps. Un bleu sombre. Un bleu nuit. Intense et profond. Presque gris.
Un regard qui lui donne envie de se mettre à nu, de rester étendu dans le lit et de laisser Louis embrasser sa peau. Le marquer. Le faire brûler, s'enflammer. Pour ne jamais oublier ce que ça fai d'exister sous les gestes de quelqu'un.
Harry se lève, s'approche de la fenêtre ouverte. Dehors, ça sent l'orage. Le béton mouillé.
Il fait encore noir. Mais ils ne se font pas d'illusion. Ils savent que le jour s'approche, dangereusement. Qu'ils ne partagent plus que leurs derniers instants ensemble. Que le temps va bientôt les séparer.
Harry : Et je (sa voix tremble)... Je suis désolé si je ne suis pas à la hauteur.
Confus, Louis se redresse légèrement dans son fauteuil et fronce les sourcils. S'il tend la main, il peut saisir un bout du peignoir d'Harry. Alors, il le fait. Il tire doucement sur le tissu et l'attire vers lui.
Harry est debout, entre ses cuisses. C'est impressionnant à quel point il est grand, élancé. Mais, la mélancolie qui flotte dans ses yeux contraste avec le reste. Il n'est rien de plus qu'une personne qui cherche à être aimé. Qui souhaite que cette nuit ne touche jamais à sa fin. Parce qu'il a trouvé quelque chose de réconfortant en lui. Quelque chose qu'il n'a jamais ressenti avant. Quelque chose d'unique. L'impression d'être enfin complet, d'avoir trouvé un sens à sa vie, une lumière pour le guider dans le noir.
Louis : Qu'est-ce que tu racontes ?
Mais Harry n'a pas le temps de répondre, parce que Louis défait le nœud de son peignoir, le laisse pendre et cacher à peine les formes intimes de son corps. Puis, il pose sa bouche brûlante sur son ventre, le bout de peau juste en face de lui. Juste au dessus de son nombril.
Un frisson traverse entièrement son corps, des pieds à la tête. Il ferme les yeux, glisse ses doigts, fébriles, dans les cheveux de Louis. Louis dont le visage, la joue, repose ensuite contre son ventre.
Louis : Harry... (soupire) Harry, tu es tout ce qu'il y a de plus magnifique et de pur sur cette terre. J'en ai vu des hommes, j'en ai vu des corps, crois moi... Tu n'as rien à leur envier. Tu as cette étincelle en toi, c'est comme un soleil qui brille tout le temps. Un soleil qui ne peut jamais s'éteindre et qui réchauffe le monde entier.
Sa main part à la rencontre de la cuisse d'Harry, s'enroule autour d'elle, retrace sa forme. Il laisse son pouce passer contre son tatouage. La petite lune. Sans la regarder, il peut la sentir.
Harry retient son souffle, ses jambes le portent à peine. Il ne sait pas comment il fait pour tenir encore debout alors que les doigts de Louis le font flancher. Voir des étoiles.
Louis dépose ses lèvres sur son bassin, le petit coussinet moelleux de son ventre. Puis c'est sa langue bouillante qui laisse une trace humide sur sa peau. Harry pourrait mourir sous son toucher, sans hésitation. Ses doigts se serrent autour des cheveux de Louis, des soupirs lourds et éreintés s'échappent de ses lèvres entrouvertes. Bientôt, c'est son corps qu'il ne contrôle plus. Déjà, il est incapable de parler.
Parce que Louis a une emprise imprenable sur lui.
Louis lui fait tourner la tête de désir.
Louis lui fait oublier où il se trouve.
Louis l'embarque dans un autre monde, sur une autre planète.
Louis lui fait vivre quelque chose d'unique.
Louis : Tu ne te rends pas à compte à quel point ta beauté est bouleversante, Harry. C'est... déroutant. Tu es le genre de personne qui me fait monter cette boule dans la gorge et me serre le ventre. Et ça me tue. Ça me tue que tu ne le réalises pas. Je pourrais presque croire que tu viens d'une autre époque. Un dieu grec ou je ne sais quoi. Comme si tu avait été façonné par les mains des plus beaux artistes et que tu allais être exposés dans un musée. Le plus extraordinaire des chefs-d'œuvre.
Harry (secoue la tête et murmure) : Tais-toi...
Louis (l'interrompt d'une voix assurée, mais douce) : Non. Non je vais continuer à te le dire jusqu'à ce que tu comprennes. Jusqu'à ce que tu le penses aussi. Parce que je veux qu'en se séparant, quand on reprendra chacun notre chemin, je veux que tu le retiennes. Je veux que tu ne l'oublies jamais. Tu entends, Harry ? Je n'ai jamais vu quelqu'un comme toi. Tu es beau et vivant.
Harry secoue la tête, se retient d'exprimer un rire sarcastique. Il sent les larmes qui affluent à ses yeux fermés, son cœur qui bat à tout rompre sous sa peau.
A part sa mère, jamais personne ne lui a dit qu'il était beau.
Mais Louis ne lui laisse pas l'occasion de répondre, il se redresse assez pour venir chercher ses lèvres et les capturer dans un baiser lent.
Hors du temps.
Au fur et à mesure des secondes, Harry se penche et finit par s'asseoir sur les cuisses de Louis. Le peignoir a délicatement glissé de ses épaules et rejoint le sol. Il est nu. Nu, au dessus de Louis.
Louis l'embrasse, ses doigts touchent sa peau partout. Son dos, ses fesses, ses cuisses, ses épaules, sa nuque, ses cheveux. Il ne veut rien oublier. Il l'embrasse et ne pense plus au jour qui se lèvera dans quelques heures, il ne pense plus à rien.
Rien à part Harry.
Harry s'accroche à lui, répond hâtivement au baiser, en oublie presque de respirer, le serre contre son corps en tremblant.
De désir.
De peur.
D'amour.
Ils ne savent pas. Ils ne cherchent pas à mettre de mots dessus non plus.
Ce qui se passe cette nuit est unique. Et pas forcément exprimable.
Leurs bouches se quittent à peine. Pendant longtemps, ils ne font que cela. S'embrasser. S'embrasser à en perdre haleine, à en perdre le souffle, à en perdre les sens, à s'oublier.
Et ils sentent, quand leurs peaux se frôlent, ils sent le cœur qui bat activement sous la cage thoracique. Qui demande à exploser, à sortir, à être aimé.
Cette nuit.
Rien qu'une nuit.
Harry tire doucement sur les cheveux de Louis quand il vient caresser ses cuisses brûlante.
Louis penche la tête en arrière, haletant.
Ses joues sont rouges, ses lèvres humides et rosées.
Dans son regard, la lueur du désir flambe et dévore tout. Rend le bleu plus ardent, plus vif.
Ils se regardent dans les yeux.
Et quand Harry dit
j'ai envie de toi,
Louis n'attend pas.
Parce qu'une nuit ce n'est pas toute une vie.
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