Scène VI.
Et c'est là que l'atmosphère dans la pièce prend un nouveau tournant.
C'est là que les barrières cèdent,
C'est là que les premières larmes coulent silencieusement sur les joues de Louis.
Le Louis de dix-sept ans qui n'a plus jamais existé ensuite.
Qui a disparu.
Qui s'est enfermé, caché, sous un masque. Sous un mur de pierres.
Le Louis qui n'a jamais pu sortir.
Le Louis qui n'a jamais eu la chance de s'exprimer.
Il est présent cette nuit. Vulnérable. Nu. Inconsolable.
Des années plus tard, il peut enfin se libérer.
C'est là qu'Harry comble la distance entre eux et pose une main sur son épaule. Sans les percevoir, il entend les sanglots.
Dans ses mots, dans la façon dont sa voix tremble, dont son corps se courbe, dont ses doigts serrent le drap et s'enroulent autour de son ventre. Pour se protéger.
Louis prend une inspiration, le haut de son corps frémit. Il ne repousse pas Harry, mais il ne vient pas chercher son contact non plus.
Louis : Elle est morte, d'une overdose. Je suis rentré du lycée, il y avait l'ambulance en bas de l'immeuble. La voisine m'a vu arriver, elle avait un air grave sur le visage, les larmes aux yeux. Je suis monté, ils m'ont laissé entrer car j'ai dis que j'habitais là, que c'était ma mère. Et je l'ai vu... Étendue sur le sol de la cuisine, blanche comme un linge, inerte. Elle avait les yeux ouverts... Elle regardait le plafond. Je me souviens particulièrement de la couleur de ses veines, un bleu électrique. On aurait dit celui de mes yeux...
Une pause dans le récit. Coupé par un sanglot. Un faux rire étranglé. Un cri qui ne demande qu'à sortir. Qu'à être expulsé de son corps. A l'intérieur, entre ses côtes, ça hurle.
Parce que, toutes ses années, il était prisonnier du silence.
Mais Louis ne parvient pas à faire plus que pleurer. C'est déjà un énorme pas en avant, il se l'est interdit toute sa vie.
Pleurer pour sa mère qui n'a jamais posé un regard tendre sur lui.
Pleurer pour sa mère qui ne l'a jamais vraiment considéré comme son fils, mais plutôt une erreur de plus dans le monde.
Pleurer pour sa mère qui ne l'a jamais aimé.
Une nuit seulement, il se l'autorise.
Louis : Un pompier m'a demandé si ça allait, parce que je ne bougeais pas... Mais, je n'étais pas triste. Je me sentais libre et vide à la fois. J'ai gardé mon sac, je suis sorti de l'appartement le temps qu'ils emmènent ma mère dans l'ambulance. Ils m'ont demandé si je voulais venir, la suivre. J'ai dis : non. Je suis retourné dans l'appartement. J'ai ouvert toutes les fenêtres pour faire sortir l'odeur de la mort. J'ai lavé le sol, j'ai jeté ses médicaments, sa drogue, ses bouteilles. Je ne voulais aucun souvenir d'elle, de sa présence, de son passé. J'ai tout effacé, comme si elle n'avait jamais existé. Elle est morte cette journée là, moi j'ai cessé d'exister depuis que j'ai vu le jour. Je me suis éteint sous la lumière.
Le poids de la mort qui plane au dessus de lui depuis des années, depuis tout ce temps.
Le poids de la mort qui oppresse sa poitrine.
Le poids de la mort qui pèse sur ses épaules aussi, parce qu'il a cessé de vivre au moment où il a su que son existence ne valait rien.
Cette fois, Harry n'hésite pas une seconde de plus. Il réduit toute distance entre eux et passe ses bras autour de lui. Leurs corps se touchent pour ne former qu'un.
Ses doigts caressent son ventre, sa hanche.
Son souffle se répercutent contre sa nuque, ses cheveux.
Des larmes coulent sur ses joues rosées, à lui aussi.
Dos contre ventre.
Ventre contre dos.
Ils s'enlacent.
Ils ne se lâchent plus.
Harry le tient, Louis s'accroche sans vraiment oser le toucher encore. Il y a son corps tendu qui est secoué par des sanglots muets et son cœur qui ne bat que pour lui faire mal. Qui n'a jamais cessé d'être un poids à supporter.
Louis (la voix tremblante): A partir de là, j'ai tout géré moi-même... Le loyer, les courses, les papiers administratifs, moi. J'ai jeté ses affaires, je ne suis pas allé à son enterrement... je ne sais pas s'il y en a eu un même. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue. Je n'ai pas cherché à le savoir. J'ai commencé à une nouvelle vie.
Il soupire lourdement, ce n'est pas la fin d'une histoire. C'est le début d'une nouvelle. Ou la continuité de la sienne. Sa vie solitaire, grise, morose. Elle aura peut-être un jour le même dénouement tragique que celle de sa mère.
Une mort insignifiante.
Mourir totalement.
Mourir seul.
Seul et détruit.
Une mort sans aucun sens.
Au fond, il sait que c'est ce qui l'attend.
Louis : Misérable, elle aussi, mais je suis libre. Je continue à vivre, c'est déjà pas si mal je trouve... Je couche avec des hommes, plus vieux que moi généralement, parce que ça me permet de ne pas m'attacher, oui, et d'avoir mal. Je me dis que je mérite ça, cette souffrance. Je n'ai toujours connu que ça, Harry... C'est en moi. Je n'ai jamais été aimé. Peut-être qu'on a apprécié mon corps, mais pas ma personne... jamais... je ne sais pas si je suis capable de tomber amoureux...
Les larmes d'Harry s'échouent sur son épaules. Une pluie de perles salées qui gouttent sur sa peau. Et son souffle chaud s'écrase contre sa nuque, ses lèvres si proches de l'embrasser. Quand il murmure, ne dis pas ça je suis désolé... ne pense pas ça.
Harry est convaincu que chaque être humain peut aimer et être aimé.
Louis n'est pas une exception.
Mais Louis ne répond pas, ses pleurs redoublent, parce qu'il sait que c'est la vérité. Personne ne l'a jamais aimé, car il n'a jamais laissé quiconque l'approcher d'aussi près, d'aussi près qu'Harry.
Harry est le premier à le voir, l'entendre pleurer.
Le premier à l'enlacer.
Le premier à l'embrasser pour bien plus que du sexe.
Le premier à vouloir partager une conversation.
Le premier qui demande autre chose qu'un orgasme.
Le premier à lui faire aimer le désir entre deux corps.
Le premier à être différent.
Le premier à le voir pleurer.
Le premier à le faire sentir vivant.
Ils restent dans cette position un long moment. A partager des sanglots silencieux.
La pluie est de retour dehors, mais l'air est toujours aussi chargé de cette chaleur moite et collante.
Ils sont toujours enlacés. Les bras d'Harry chaudement enroulés autour de son corps froid. Son torse, son ventre, contre son dos légèrement courbé. Son corps a cessé de trembler, ou Harry s'y est habitué et est secoué par la force des mots, lui aussi.
Ils ne savent pas. Ils se sont perdus l'un dans l'autre. Il y a longtemps déjà.
Louis (dans un murmure) : Harry... ?
Harry : Oui ?
Louis : Prends-moi.
Harry fronce les sourcils tandis que son souffle se coupe en travers de sa gorge. Il a bien entendu pourtant, il a parfaitement compris. Quelques secondes passent.
Ses doigts tracent des cercles sur le ventre de Louis, ces caresses semblent l'apaiser un minimum. Il respire, il prend des souffles longs.
Lentement, Harry approche ses lèvres de son oreille, il embrasse le bas de sa mâchoire puis murmure, presque timidement.
Harry : Maintenant ?
Louis : Oui, maintenant, comme ça.
Harry hésite. Il cesse ses mouvements, Louis glisse lentement ses doigts sur les siens, les dirige entre ses cuisses. Noyau brûlant.
Harry ne sait pas si c'est la chaleur ambiante, la température de l'été, Louis, lui, le désir, ou autre chose, mais le feu entre leurs corps ne cesse jamais de s'amplifier.
Leurs soupirs se mélangent dans l'air, en même temps, tandis que Louis pousse ses fesses en arrière vers le bassin d'Harry.
Louis : J'en ai besoin... S'il te plaît.
Il en a besoin pour oublier.
Pour s'oublier.
Oublier qu'il s'est livré à un inconnu, qu'il a ouvert ses pires blessures et son cœur à un homme qu'il ne reverra jamais. Un homme qui ne se souviendra certainement plus de lui d'ici quelques mois. Qui n'aura plus aucun souvenir de cette nuit.
Oublier ses parents qui n'en sont pas. Son enfance. Sa solitude. Sa mère. Ses années gâchées à chercher une raison à son existence.
Oublier tout ce qu'il vient de dire. Charger l'air d'autre chose que ses larmes et le poids de son passé.
Harry comprend sa détresse. Il la ressent. Alors, il enroule ses doigts autour du membre de Louis et commence à le caresser. Louis se cambre et soupire. C'est lent, long, intime. Ils prennent leur temps, la nuit peut être éternelle s'ils le souhaitent. Elle peut ne jamais s'arrêter s'ils demandent à la lune de continuer de briller au-dessus d'eux.
Louis serre ses doigts autour du poignet d'Harry, ses larmes se mélangent à ses petits bruits tandis que le plaisir monte dans son corps, au creux de sa poitrine.
Harry embrasse son épaule, goûte ses propres larmes salées, parcourt sa peau en ébullition du bout des doigts. Malgré tout, il continue de l'enlacer.
C'est doux, fiévreux, lent, fébrile, maladroit, ardent, moité, sensuel.
C'est autre chose. Quelque chose que Louis ne connaît pas. Mais il n'a pas peur, pas sur l'instant du moins. Il aime s'y perdre pour la première fois.
Il aime laisser Harry prendre le contrôle et le guider dans le noir, l'inconnu.
Il aime oublier jusqu'à sa propre peine et les battements de son cœur.
Et Harry le tient toujours dans ses bras. Il ne le lâche jamais.
Même quand il se recule pour prendre le préservatif, le dérouler sur son sexe tendu.
Même quand il entre en lui, dans une lenteur extrême, presque étouffante.
Davantage même quand Louis étouffe un sanglot en gémissant.
Davantage quand leurs corps trouvent un rythme commun et unique. Intense.
Et si Louis pleure sans pouvoir s'arrêter, Harry chasse ses larmes en embrassant sa peau dorée par le soleil, du bout des lèvres.
Et si Louis jouit en appelant son prénom, Harry ferme les yeux, mémorise le son mélodieux de sa voix pour ne jamais l'oublier.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top