Scène I.
Scène I.
Une nuit. Calme, étoilée et chaude. Trop chaude.
Un hôtel, quelconque. Au milieu de nul part. Au bord d'une route.
L'endroit est quasiment désert, reculé de tout.
En face de l'hôtel, une station service dont le panneau dans état plus que douteux clignote alternativement. Puis une minuscule supérette ouverte jour et nuit, vétuste, sale, et qui fournit uniquement le stricte nécessaire.
A l'intérieur de l'hôtel, la décoration n'est guère plus accueillante.
Une femme âgée au comptoir, qui lit des magazines, dont la date de sortie dépasse les cinq ans. Elle donne parfois des directives à son mari qui se charge du ménage et du rangement. Le dos voûté par l'effort et l'épuisement de l'âge. Les rides aux coins de ses yeux et la couleur grisonnante de ses cheveux suggèrent qu'il n'a plus sa jeunesse d'antan. Pourtant, il continue de passer un bout de tissu sur les bibelots.
Mais il n'y a rien à ranger, ni à nettoyer. A part la poussière qui s'accumule sur les vieux meubles démodés.
Quelques fauteuils anciens et usés, des années cinquante probablement au vu des ornements floraux dessus, déposés au milieu d'une pièce vide, silencieuse et lugubre. L'éclairage est faible dans ce coin, presque jaune. Un aspect usé par le temps et l'immobilité.
Les clés sont encore quasiment toutes accrochées à leur numéro de chambre.
Une nouvelle vient d'être empruntée, il y a dix minutes.
Celle pour la chambre numéro dix-huit.
Ils ont peu de clients en général. La femme se réjouit déjà des quelques billets qui ont été déposé sur le bois abîmé du comptoir. Elle les range précieusement dans sa caisse. Les recompte, les touche, les admire.
A l'intérieur de la chambre numéro dix-huit.
Du bordeau. Du jaune fade. Une tapisserie arrachée à certains endroits, tachée, sale et humide.
Une lumière tamisée, assez sombre. Elle provient de la lampe de chevet allumée. Elle ne se diffuse que sur un petit carré, à peine. Il y a une ampoule au plafond, nue, éteinte. Sa lumière intense et blafarde lui fait mal à la tête. Il préfère ce décor dans la pénombre. Il s'accommode parfaitement bien au reste de l'hôtel.
Les rideaux bordeaux sont tirés, opaques. Ils cachent la nuit dehors, la vue médiocre sur la rue déserte.
La chambre n'est pas bien grande et les murs délavés semblent se rapprocher pour l'écraser. Mais il n'étouffe pas, il se sent étrangement bien.
La fumée de la cigarette semble, elle aussi, s'évaporer en petits filets blancs jusqu'au plafond.
Assit sur le bord du lit deux places, les couvertures encore lisses et parfaitement tirées comme à son entrée, il fixe l'écran de télévision éteint face à lui. L'ombre de son reflet y est visible, noire. Trouble. Mais il parvient à la discerner tout de même. Elle se dessine en contraste avec la lumière timide de la lampe.
Son sac est toujours posé à côté de lui, sur le lit. Fermé. Léger. Il n'a presque rien avec lui. Il n'a rien à emmener.
Il a le temps de passer par la salle de bains. Enlève son tee-shirt qui lui colle à la peau avec cette chaleur accablante et passe de l'eau froide sur son visage. L'évier émet un grincement strident lorsqu'il ferme le robinet.
Puis, on toque à la porte.
Il va la déverrouiller sans attendre. Les mains moites, encore humides de l'eau et de l'impatience. Et son regard tombe sur tout sauf ce à quoi il s'attendait.
Un bel homme, juvénile. Un sac à la main, lui aussi.
Sa chemise, entrouverte, laisse deviner les tatouages sur le haut de son torse. Des boucles lui tombent autour du visage et semblent venir caresser ses pommettes et son front.
Mais ce qui frappe surtout Louis, ce sont ses yeux. Deux billes vertes, posées sur lui. Innocentes.
Il est jeune. Plus jeune que Louis. Peut-être de quelques années.
En réalité, il s'attendait à un homme dont l'âge aurait dépassé les trente ans, assez mature et désespéré pour venir le rejoindre, ici.
Au milieu de nul part.
Dans un coin perdu du bout du monde.
Sans rien à y faire. Sinon ce pourquoi ils se sont contactés sur cette application.
Il ne pensait pas se retrouver face à un homme à la beauté effrayante et dont les formes anguleuses de son corps traduisent une certaine jeunesse. Une précieuse innocence.
Harry : Bonsoir, je suis Harry, de..
Louis : Oui, je sais.
Tout de suite, il le coupe d'un ton assez calme. Il n'est pas froid. Il n'aime simplement pas parler pour ne rien dire. Et il ne veut ni le connaître ni apprendre des choses à son sujet ou sur sa vie privée. Son prénom est suffisant. Un peu trop déjà, même. Il ne veut pas être intime.
Harry devra rester un inconnu, comme les autres. Le temps d'une étourdissante nuit d'été.
Louis tire sur sa cigarette, le détaille encore un peu. Ils font la même taille et pourtant, Harry a l'air d'être bien plus élancé et grand.
Il se recule, ouvre plus grand la porte en bois et fait un geste avec son bras pour l'inviter à pénétrer dans la chambre.
Louis : Entre.
Harry s'exécute, observe autour de lui la pièce plongée dans l'obscurité. Le lit deux places, la lampe allumée. La fumée de la cigarette donne l'impression de mettre les pieds dans un lieu opaque. Une rue déserte, tard un soir d'été, au milieu de la nuit et du brouillard.
Il pose son sac sur un siège jaune moutarde, près d'une table. Un papier y est déposé avec le règlement de l'hôtel et le numéro de la réception à appeler en cas d'urgence.
Louis ferme la porte, à clef, fouille dans son sac et sort une bouteille de rhum. Il va chercher les deux gobelets de la salle de bain prévus pour se laver les dents.
Louis : Tu en veux ?
Harry : Oui, s'il te plaît.
Il leur sert une moitié de gobelet. Rhum pur. Pour boire.
Boire et éviter de parler.
C'est toujours comme ça qu'il procède. Boire.
Boire et oublier.
Boire le breuvage sur les lèvres de l'autre. Laisser des traces de rhum sur la peau de son partenaire de nuit. S'oublier et se laisser entraîner dans les flots enivrants de l'alcool. Fort, puissant. Qui serre la gorge. Qui fait tourner la tête.
Harry le remercie, prend le gobelet blanc.
Ils boivent en silence. Louis fume entre deux gorgées.
Le visage d'Harry se tord en une petite grimace. Il aime le rhum, mais il ne s'habituera jamais à son goût âcre et puissant. Ça lui brûle déjà la gorge.
Ils ne parlent toujours pas. Louis s'assoit sur le bord du lit, Harry pose son verre à moitié vide sur la table.
Puis, sans demander, il déboutonne sa chemise, la laisse glisser le long de ses épaules et rejoindre le sol. Il est torse nu, comme Louis, maintenant.
Il fait extrêmement chaud, ça ne le dérange pas.
Le regard bleu nuit de Louis se pose sur lui, le détaille. Harry défait sa ceinture, Louis avance le bras et l'arrête dans ses gestes quand il commence à ouvrir sa braguette.
Les pupilles dilatées par la cigarette, l'alcool pur et le désir. Il ne peut pas rester de marbre face à une si belle créature de la nuit qui se met déjà à nu devant lui.
Louis (murmure) : Quel âge as-tu ?
Harry : Vingt-trois ans.
Louis : Je m'attendais à quelqu'un de plus vieux.
Harry (les sourcils froncés, mais sincère) : Désolé...
Louis (secoue la tête) : Non, ça ira. Ce n'est rien.
C'est parfait même, pense Louis. Cela fait un long moment qu'il n'a pas posé le doigt sur une peau aussi lisse et laiteuse. Caresser la jeunesse délicate.
Les derniers corps qu'il a étreint étaient vieux et rêches. Fatigués. Sans saveurs. Sans plaisirs.
Il se lève, écrase sa cigarette dans un cendrier ébréché puis pose son gobelet vide à côté de celui d'Harry.
A nouveau, il se place sur le lit.
Harry observe ses vas et viens. Sans bouger. Une main toujours posée sur sa ceinture, il attend.
Il n'y a aucun bruit. Pas même le tic-tac d'une horloge. Ils n'ont pas besoin de compter les secondes, de mettre une limite de temps. Ils savent que ce ne sera que pour une nuit.
Ce silence... Perturbant et apaisant à la fois. Au bout d'un moment, ils l'oublient.
L'impression de perdre la notion des minutes, se fondre dans le temps. Confondre la nuit, le jour, les heures.
Louis attire Harry sur ses cuisses, encore assit sur le lit, descend ses mains sur ses hanches. Harry glisse ses doigts dans ses cheveux couleur de sable.
Ils se fixent plusieurs secondes, sans rien ajouter.
Tous les deux torses nus. Puis Louis pose ses lèvres sur un des tatouages d'Harry. Presque aussi nombreux que les siens. Sa peau frissonne, elle a la couleur du soleil et le goût de la lavande. Quelque chose de nouveau.
Harry glisse un doigt sous son menton, lui relève la tête. Il caresse sa fine barbe de quelques jours en laissant leurs yeux se rencontrer. Puis, il plonge sur ses lèvres. Sa langue contre la sienne a la saveur enivrante du tabac et du rhum.
Il le fait basculer sur le dos, prend le dessus. Leurs bouches ne se décollent pas. Attirées irrévocablement l'une par l'autre. C'est quelque chose dans l'air, une attraction électrique. Vouloir créer un orage, avec leurs corps, qui n'existe pas.
Ils ont l'impression de pouvoir se prendre des joutes à n'importe quel moment, dès que leurs doigts viennent explorer la peau de l'eau.
Un gémissement quitte les lèvres d'Harry lorsque Louis laisse une trace avec ses dents au niveau de son cou. C'est presque comme s'il voulait le dévorer,
lui faire mal,
le blesser,
lui demander de le faire souffrir en retour.
Au fil des minutes, des caresses, des griffures, des soupirs, ils se retrouvent nus. L'un contre l'autre. L'un sur l'autre. Ils basculent, roulent entre les couvertures maintenant défaites. Aucun ne saurait dire lequel des deux prend le dessus. C'est brouillon, mais surtout très brûlant.
Ils respirent le souffle de l'autre, s'autorisent parfois un répit pour simplement se toucher, se caresser. Ce n'en est pas moins étouffant.
Ils sont là, à s'embrasser, sans relâche, sans souffle, sans structure, jusqu'à en perdre la tête. C'est ce qu'ils veulent. Ne plus penser. Simplement sentir et ressentir. Tout oublier. Jusqu'à leur propre prénom.
Dans les bras d'un inconnu. Quelqu'un qui ne peut pas réduire le coeur en morceau.
Au loin, amené par la chaleur écrasante, les premiers grondements de l'orage, entre leurs corps. L'air est toujours aussi irrespirable. Et eux sont enfermés dans ce petit espace, plongés dans une demie obscurité.
Pourtant, ils ne cessent jamais de s'enlacer, s'embrasser, se serrer, se coller.
Ils meurent de chaud, la peau recouverte d'un fin filet de sueur.
Les boucles d'Harry lui collent au front, le ventre nu de Louis s'attache et s'accroche au sien dans une caresse humide.
Ils apprennent à exister.
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