8.
En voyant les deux voyous se matérialiser brusquement devant lui, Karim se retourna, prêt à courir. Mais à l'autre extrémité de la ruelle se tenait le vautour aux cheveux blonds, son rasoir effilé déjà sorti, et balancé de droite à gauche. Les trois casseurs se rapprochèrent de concert en ricanant. Karim jura entre ses dents:
─ Sofie, passe-moi le flingue.
Mais Sofie semblait paralysée, raide comme la mort, le sang retiré de ses joues.
─ Putain, mais fais vite, passe-moi le flingue.
Sofie ne bougea pas. Ivan non plus. Il imaginait avec horreur et fascination la douleur qui allait être la sienne, il se tenait paralysé par la peur. Karim se précipita sur Sofie, et tenta de soulever son pull pour arracher l'arme.
Comme s'ils avaient attendu cet instant de panique, les trois chasseurs agirent soudainement. Les deux brutes sautèrent sur Ivan et Karim, le blond se précipita vers Sofie.
En un éclair, Ivan reçut en pleine figure un coup de tête qui fit exploser son nez dans un craquement sonore. Le Noir expédia deux coups de poings en direction de Karim. Si le jeune homme eut suffisamment de réflexe pour éviter le premier, le deuxième le toucha durement à la pommette. Légèrement sonné par le coup, il ne put prendre l'initiative sur le deuxième round de l'attaque. Le Noir en profita pour lui balancer un coup de genou dans les côtes. Ses longues jambes avaient la dureté de l'acier. Son geste avait été sec et précis, presque économique. Karim expira bruyamment, déjà incapable de comprendre ce qui se passait. Le Noir en profita pour se glisser derrière lui, glisser ses bras sous ses aisselles, et immobiliser le jeune homme en appuyant fortement sur sa nuque.
Après quelques mouvements pour tenter de se libérer, Karim dut se résigner à abandonner la partie. Il était bel et bien prisonnier. Il ne lui restait plus qu'à observer la scène désolante qui s'offrait à ses yeux.
Ivan gisait sur le pavé, secoué de tremblements. L'Asiatique le tenait par les cheveux. Brusquement, sans prévenir, sans même qu'Ivan ait fait un geste menaçant, l'Asiatique plongea son bras vers le sol. La tête d'Ivan vint s'écraser sur le trottoir dans un bruit mou. Ivan cessa de bouger.
Le petit blond quant à lui rouait de gifles Sofie en la traitant de salope. Une dernière claque plus violente que les autres expédia la jeune fille par terre, les jambes à l'équerre. Aussitôt, le vautour fonça sur elle et lui balança un coup de pied dans le ventre. Puis il fit jaillir le rasoir dans sa main et l'approcha du visage de Sofie.
─ Allez, salope, maintenant tu vas bien gentiment te foutre à poil. Histoire de conserver ta jolie petite gueule intacte.
Karim assistait impuissant à tout cela. Mais une rage sourde montait en lui. Une rage animale, incontrôlée, une énergie qu'il connaissait pour l'avoir goûtée une ou deux fois dans sa vie. L'envie de tuer. Tous ses muscles se raidirent, le sang battit à ses tempes. Dans un accès de folie meurtrière, il s'entendit prononcer:
─ Arrête tout de suite, sale bâtard. Arrête ou je te crève.
Le blond arrêta son geste et tourna lentement la tête vers Karim. Il pâlit.
─ Oui, continua Karim, tu m'as bien entendu, connard. Si tu aimes faire l'homme, tu vas pouvoir faire l'homme. Et tes copains aussi.
Voulant répondre à la menace, le Noir voulut frapper Karim avec son genou. Il desserra sa prise un instant pour prendre du recul. Karim en un éclair décida de saisir sa chance. Il rua derrière lui. L'étau qui immobilisait son tronc disparut, et, se retournant, il envoya droit devant lui son poing durci par la haine, expédié comme un coup de boulet par la tension nerveuse. Il atteignit le Noir directement en plein nez.
Celui-ci tomba à genoux sans mot dire, marionnette dont on venait de couper les fils. Karim n'hésita pas une seconde. Il replia sa jambe et la détendit dans la tête offerte. Le corps du Noir sembla un instant se soulever du sol, et il retomba en poussant un soupir de douleur.
Avant de pouvoir se retourner, Karim sentit le bras de l'Asiatique emprisonner son cou. Mû par un réflexe de survie, il se saisit de l'avant-bras, plia les jambes et projeta au-dessus de lui son agresseur, profitant de l'énergie que celui-ci avait utilisée pour sauter sur lui. L'Asiatique vola par dessus ses épaules, et retomba lourdement sur le trottoir. Il expulsa sa douleur sous la forme d'un cri rauque. Encore une fois, Karim mit fin au combat par un coup décisif. Il frappa l'Asiatique d'un coup de pied dans l'aine.
Enfin, il se retourna, faisant face au vautour.
Le blond avait été saisi par la rapidité de la contre-attaque. Il sembla se réveiller d'un cauchemar, et s'ébroua. Il tenait toujours Sofie par le col. Le rasoir vint s'appliquer sur la gorge blanche de la fille.
─ Bouge pas, cria-t-il à l'adresse de Karim. Bouge par ou elle crève.
Comme pour appuyer ses dires, le jeune homme vit distinctement la lame effilée et froide s'enfoncer dans la peau élastique. Sofie laissa échapper un gémissement faible.
Cette dernière vision finit de rendre Karim complètement imperméable à la raison. Dans un déluge de rage froide, il sentit son corps lui échapper.
Son visage avait perdu toute humanité. Ses traits semblaient avoir été taillés dans de la fonte tellement ils étaient rigides. Ses sourcils descendaient sur ses yeux froids comme la mort.
- Non, maintenant, tu te bats comme un homme. Tu jettes ton arme et tu viens t'expliquer, sale bâtard.
Le vautour sembla hésiter un instant, puis il lâcha Sofie et replia lentement son rasoir, le remettant dans la poche de son blouson. Il avait accepté le défi, et fit face à Karim.
La tension monta encore d'un cran entre les deux hommes. Ils plongeaient leur regard l'un dans l'autre, concentrés uniquement sur la haine qu'ils lisaient dans les yeux adverses.
Ils firent un pas l'un vers l'autre, les muscles frémissants, prêts à s'entre-tuer.
Sofie se décida alors à agir. Elle sortit l'arme de Karim de son jean, et la pointa en direction du vautour. Elle tremblait de tous ses membres, mais la tension qu'elle avait vécue emportait tout en elle, sa répugnance des armes comme sa répugnance de la violence. Elle cria d'une voix stridente:
─ Arrêtez tous les deux ou je tire.
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