7.
La Lune Dans le Caniveau rassemble une partie de la faune nocturne de la cité girondine. La population mêle une partie essentiellement estudiantine, et des habitués plus âgés. Cet amalgame donne une couleur particulière à l'endroit, déjà lui-même spécifique de par son décor. De vieilles affiches, des tables en croissant de lune, une loge des artistes témoignent du passé d'ancien théâtre de la salle de concerts.
D'ailleurs, c'est tout le quartier des Capucins, quartier ceinturant le marché du même nom, qui possède une couleur particulière, entre l'émeraude et le cuivre, une couleur née de la rencontre du macadam et de la pâle lumière que dispensent des néons accrochés au plafond du vaste entrepôt.
À partir de deux heures du matin, les marchands disposent fruits, légumes, viandes et poissons sur leurs étals, et les premiers noctambules viennent faire leur marché, que leur motivation soit née dans les brumes de l'alcool ou qu'ils en aient pris l'habitude.
Une véritable jungle urbaine gravite autour de ce lieu mythique. Étudiants passant le temps dans l'insouciance, noctambules à la limite de la marginalité, voyous et malfrats vérifiant que la nuit reste toujours la même. Parfois, des éclats de violence ternissent l'atmosphère bon enfant qui règne sur ces quelques hectares arrachés à l'ennui urbain.
Le videur à l'entrée du bar fouilla rapidement les deux garçons, et se contenta de regarder les poches du manteau de Sofie. On n'avait vraiment pas envie de se battre avec lui. Des muscles d'ébène saillaient sous son T-Shirt, la poigne de sa main trahissait une force surhumaine, venue de temps anciens lors desquels seuls les plus forts pouvaient survivre.
Sofie, Ivan et Karim se laissèrent entraîner par la liesse qui réchauffait la piste de danse et les deux bars. Les deux étages affichaient complet, la scène était envahie de groupes assis en cercle, et même les escaliers en bois fourmillaient de personnes assises sur les marches. Il devait faire au moins quarante degrés, les fêtards se serraient les uns contre les autres, les pichets de bière volaient d'une table à l'autre, remplissant sans cesse des verres qui se vidaient aussitôt.
Une foule bigarrée se pressaient autour d'eux dans un tourbillon de bonnets, de chemises larges, de vêtements noirs ou à l'inverse multicolores, le jeans restant incontestablement une valeur de référence.
Cela leur mit suffisamment de baume au cœur pour qu'ils oublient la tension des dernières heures. Ivan et Sofie discutaient avec les serveurs. En cette heure de la nuit, ils avaient essuyé le plus gros de la bourrasque, qui se levait invariablement entre deux heures et demie et quatre heures du matin, et disposaient enfin d'un peu de temps devant eux. Karim, lui, papillonnait d'une fille à l'autre, échangeant des clins d'œil complices quand il se trouvait trop loin pour déclamer des propos badins. Son rendez-vous n'était pas venu, mais peu importait. Une de perdue, cent mille de retrouvées.
Lorsque la musique rock laissa la place à vieil air de chanson française et que les lumières se rallumèrent, ils eurent bien du mal à accepter que la fête fût terminée. Ils traînèrent encore de précieuses minutes, et sortirent du bar, pour retrouver des grappes d'ivrognes amusés qui s'élançaient sans se presser vers les boulangeries ouvertes toute la nuit, véritables havres de réconfort pour les estomacs affamés par l'alcool.
─ Bon, la fête est vraiment finie, glissa presque résignée Sofie.
Karim, encore porté par les vibrations positives qu'il avait emmagasinées dans le bar, s'enthousiasma:
─ Bon, Sofie, Ivan, je vous invite à venir boire un thé chez moi. Et si vous avez peur de ne plus avoir la force de partir, vous pourrez toujours rester à la maison. On dépliera le clic-clac.
Tous les obstacles étant levés, les trois amis partirent bras dessus, bras dessous vers la voiture d'Ivan, garée dans une ruelle à la périphérie du quartier.
Ils s'éloignèrent de la place, lentement. Leur chemin empruntait une rue déserte.
C'était une petite rue noire, maladroitement pavée, coupée du monde extérieur par sa saleté et les zones d'ombre qui la balafraient. Ils avançaient d'un pas léger qui perdit rapidement de son assurance. Le seul souffle du vent les entourait. La lumière que dispensait les lampes accrochées en hauteur leur taillait des ombres portées qui se fondaient dans des ombres encore plus noires. La ruelle devint sinistre, exprimant une sourde menace à l'encontre des misérables citadins, inconscients de la ville et de ses dangers cachés.
L'apparition des deux géants ne les surprit presque pas, étant donné l'état d'esprit dans lequel ils se trouvaient. L'instant procédait d'une magie terrible, car porteuse des pires présages, mais indubitablement obsédante. Leurs mouvements se firent comme au ralenti, suivant une logique qu'ils réfutaient et que pourtant ils devaient subir.
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