4.

─ Allez, les gars, calmez-vous. Vous allez boire votre verre et gentiment partir, ça évitera des ennuis à tout le monde, reprit un autre rugbyman, une menace à peine voilée dans le timbre de la voix.

Les banlieusards contemplèrent le groupe qu'ils avaient en face d'eux. Le vautour haussa les épaules, et partit d'un rire qui sonnait faux.

─ Ok... Ok, les bâtards. On va boire notre verre et se barrer. D'ailleurs on va même se barrer maintenant.

Sans toucher à leur verres débordants de mousse, ils quittèrent le pub en dévisageant méchamment chacun des consommateurs, le regard lourd de menace.

La harpe et la flûte celtiques parurent repartir de plus belle. Les conversations se détendirent, vraiment cette fois-ci, et les trois amis laissèrent s'exhaler un long soupir de soulagement.

─ Putain, on l'a échappé belle, commença aussitôt Ivan.

─ Oui, c'est vrai, souffla Karim. Mais, bon sang, Sofie, qu'est-ce qui t'a pris ?

─ Mais quoi ? se plaignit la jeune fille. J'ai rien fait de mal.

─ Tu n'as pas fait de mal, reprit doucement Karim, mais, écoute, ce genre de gars, il ne faut pas leur parler, il faut les ignorer. Si ils viennent dans ton monde, ils apportent le leur. Et le leur, c'est pas le tien.

─ Bravo ! Bien vu. Mais dis-moi, Monsieur Je-Sais-Tout, si on les ignore, comment veux-tu qu'ils s'en sortent ? S'ils sont violents, c'est justement parce qu'ils se font rejeter. Les rendre humains, je suis sûre que ça évite déjà pas mal de problèmes. Et puis, si toi tu as réussi à t'en sortir, c'est bien parce que le monde de la ville t'a accepté. C'est comme ça que tu as pu échapper à ton monde des banlieues.

Karim ressentit durement ces paroles. Son ascension sociale était sa fierté, la preuve éclatante qu'on pouvait s'en sortir seul. Mais c'est vrai, sans le coup de main du destin, qui l'avait fait rencontrer un éducateur mordu du ballon ovale, il n'aurait jamais pu s'élever de sa condition.

─ Je suis d'accord avec toi. Mais dans ce cas-là, le problème c'est pas la banlieue, c'est pas qu'ils n'arrivent pas à communiquer. Le problème avec ces gars là, c'est que ce sont des démons. Des démons modernes qui ont complètement oublié la dimension de l'autre. Ce sont des tueurs, des violeurs. Ils n'ont plus de conscience. Ils traînent avec eux une aura maléfique. Tu ne l'as pas sentie ?

─ Mon pauvre Karim, il faut que tu arrêtes de te nourrir de comics et d'heroïc-fantasy. Tu vois des démons maintenant. Et alors, moi je serais une princesse ?

─ Oui, tu es une princesse, coupa Ivan en glissant un baiser dans le cou de sa douce.

L'esprit embrumé par les bières qu'ils avaient bues, les trois amis marchaient dans la rue déserte. Ils avaient quitté à regret le pub qui fermait. Ils se sentaient bien dans cet antre chaud, et Karim avait même fini par échanger quelques mots avec une Anglaise qui étudiait à Bordeaux. En quelque sorte, Karim était un séducteur, et souvent ses nuits s'émaillaient de rendez-vous galants accordés dans différents endroits.

Maintenant, les trois jeunes gens dirigeaient leur pas vers la voiture d'Ivan, qui avait dû se garer de l'autre côté de Mériadeck. Ils s'engageaient donc sur le large ruban coupant les grandes bâtisses tel une vallée serpentant entre des montagnes noires, une route à peine éclairée par de rares et faibles réverbères.

Leurs pas résonnaient sur le trottoir sale, rebondissant entre les murs de la cuvette oppressante dans laquelle ils marchaient.

Ils avaient arrêté de discuter, chacun perdu dans ses pensées.

La ville était silencieuse, agitée derrière eux seulement de quelques mugissements de voitures filant vers les boulevards. Soudain, un crissement de pneus, suivi du rugissement du moteur d'une voiture de sport, troua le calme tendu. Ils longeaient des murs sans fenêtres, ceux du centre commercial et de son entrepôt, personne ne se porterait à leur secours en cas de problème.

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