X.
J'ai lu énormément d'histoire d'amour, toutes plus touchantes et prenantes les unes que les autres. J'ai vécu des histoires fictives pendant des années à travers les mots de différents auteurs, les pages de dizaines de livres, et pourtant je n'ai aucune idée de ce qu'est l'amour. Celui dont parle ces livres, ou même toutes les personnes sur Terre. On décrit des papillons dans l'estomac lorsqu'on tombe amoureux, des étoiles dans les yeux, le cœur qui s'emballe jusqu'à presque se décrocher pour partir de notre poitrine. Je ressens un truc, étrangement. Mais ça n'a rien à voir avec des papillons, des étoiles ou un organe en fuite. De toute façon c'est impossible de ressentir ce genre de sentiment pour quelqu'un que l'on n'a jamais rencontré avant, dont on ignore tout... dans les livres et les histoires que j'ai lues, il y a presque à chaque fois un passif, quelque chose qui déclenche cet amour, ce quelque chose qu'on décrit comme une étincelle.
Alors pourquoi mon cœur s'emballe ?
Je sers mon sac et mes ongles s'enfoncent douloureusement dans la paume de ma main. Je ne comprends pas tout ce qui se déroule. Est-ce la crainte d'un drame ? Qu'il m'agresse ? Quelle idée j'ai eu d'aller dans un parc, à la nuit tombée, avec un parfait inconnu ? J'ai toutes les raisons de finir dans un fait divers.
« Une jeune fille d'une vingtaine d'années assassinée par un jeune homme connu sur une application de rencontre. »
Ou alors...
- Tu veux un pain au raisin ? dit-il en me montrant un vendeur de pâtisseries au coin de la rue.
- Oui, pourquoi pas ! rétorque-je, un sourire sincère aux lèvres.
Il me rend le sourire et me tend sa main. Je m'arrête un instant, fixant cette main presque violette à cause du froid, tendue vers moi. Interloquée et surtout me demandant ce que ça signifie, je le regarde étêtée.
- Ta main, poursuit Elahija, en agitant légèrement sa main pour me faire comprendre quelque chose. Donne la moi, si tu veux bien ?
- Pourquoi... ? balbutie-je, confuse.
Sans même répondre à ma question, il saisit délicatement l'objet de sa requête et la pose doucement à son bras. C'est alors que l'on se retrouve à marcher comme dans ces comédies romantiques, bras dessus, bras dessous. Les passants ne prêtent pas attention et pourtant j'ai l'impression que l'univers entier s'est arrêté pour admirer la scène qui se déroule à présent. Moi, aux bras d'un jeune homme tout à fait charmant, et qui n'a pas l'air d'avoir pour projet de m'assassiner... pas pour l'instant du moins.
Je l'observe discrètement du coin de l'œil pendant qu'il demande à la pâtissière deux pains aux raisins. Il a un visage harmonieux, très symétrique mais avec quelques imperfections qui le rendent humain et intéressant. Son nez est rougi par le froid, et il a visiblement le trac vu qu'il ne tient pas en place et se touche la nuque souvent. Ses yeux sont foncés mais profonds, quelque chose comme un trou noir duquel on pourrait revenir, voir même s'y plaire. Il a des petites mèches rebelles et un épi sur le devant, les cheveux ni trop longs ni trop courts, ce qui lui donne un air à la fois sérieux mais négligé.
- Je suis désolé, pour la dernière fois... Je ne veux pas ramener le sujet sur le tapis parce que je sens bien que c'est un mauvais départ, mais je tenais à m'excuser proprement quand même. Alors, pardonne-moi Danaé, dit-il en me tendant le fameux pain aux raisins.
Lorsqu'il prononce mon prénom, je sens un frisson me parcourir. Je soupçonne d'abord le froid, puis le sourire qui l'accompagne m'indique que j'ai tort. On ne connait pas l'amour en lisant des livres même si c'est très beau et captivant, on le connait à l'extérieur, dans ce qui inspire ces histoires que l'on dévore, ces pages que j'ai voulu vivre tant de fois. Il me sourit délicatement et je ne peux que lui rendre cette attention tout en saisissant la pâtisserie.
- Ce n'est pas si grave que ça dans le fond, juste...
J'hésite à continuer ma phrase, parce que je sais qu'à partir du moment où mon flot de parole aura commencé, ce sera difficile de le contrôler et d'éviter les complications.
- Juste... ? demande Elahija, le regard attentif.
- Rien, c'est... laisse. Le principal c'est qu'on ait finalement réussi à se croiser, ris-je gênée.
- Tu sais, commence-t-il en fixant le ciel, je préfère quand les gens ne s'empêchent pas de parler, et encore moins de penser. Alors sens-toi libre de dire le fond de ta pensée.
- Parce que tu le fais toujours, toi ?
- J'essaie, ou alors je me tais. Je n'aime pas faire les choses à moitié, soit je ne les fait pas, soit je les fait complètement.
- Je pensais que t'étais un connard, m'exclame-je en fermant les yeux, par crainte de toute réaction à l'entente de cette phrase.
Je sens sa main sur la mienne, et un rire vient chatouiller mes oreilles. J'ouvre un œil, comme un enfant apeuré, et je le vois rire à gorge déployée.
- Dire que je n'en suis pas un serait assez faux, j'ai parfois les mauvais mots et je sais que celle qui me considère comme son meilleur ami serait assez d'accord pour dire que c'est largement le cas. Mais je m'en doutais, au fond, acquiesce Elahija, avec toujours ce même rictus délicat posé sur les lèvres.
- Comment ça ? souffle-je, rassurée de ne pas avoir déclenchée une situation regrettable.
- Je fais pas mal d'erreur, et je n'accord pas d'attention aux autres. Alors si quelqu'un qui m'a fréquenté un temps vient à dire que je suis un connard, je n'arrive pas à lui donner tort. Les gens ne m'intéressent pas... Enfin non, je n'arrive pas à m'y intéresser, ce qui est assez différent, je trouve. Pourtant j'ai quelques connaissances, voir même des gens que je pourrais appeler des amis, mais... C'est comme s'il y avait toujours un mur entre eux et moi, tu vois ? Je n'ai pas envie de dépasser ce mur, et eux ne font pas non plus cet effort. Alors chacun reste de son côté en blâmant l'autre de ne pas en faire assez.
- Pourquoi tu ne veux pas aller aux devants d'eux ? Peut-être que ça t'aiderait à régler ce soucis ?
- J'ai essayé, mais ça n'a pas fonctionné. Je n'arrive pas à m'attacher aux autres. Par contre, je suis attaché à l'astronomie. J'ai une passion immense pour l'univers, déclare-t-il, les yeux pétillants comme ceux d'un enfant.
Quelques secondes de silence s'installent, pas par gêne ou ennui, juste le temps de s'observer, de s'apprivoiser... de constater que ce ne sont pas des papillons dans mon ventre, que mon cœur est toujours en place, simplement c'est le monde entier qui a changé. Et je ne sais pas encore réellement pourquoi, ni même ce que ça signifie.
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