VIII
« Et si on arrêtait les métaphores? »
Le petit signe qui signifie que le message a bien été envoyé me pousse à mettre mon téléphone de côté. Je ne sais pas pourquoi j'ai fais ça, il ne répondra sans doute pas. Après tout, il n'a pas réellement cherché à venir me voir, c'est sans doute qu'il n'en avait pas l'envie. Je souffle un grand coup avant de reprendre ma lecture, mes lunettes vissées sur le nez et mon devoir sous les yeux.
Après tout je ne comprends pas pourquoi j'accorde autant d'importance à un strict inconnu, pourquoi je suis obsédée par le fait de rencontrer quelqu'un... On m'a toujours dit que si ça devait arriver, ça arriverait seul, sans chercher ni forcer le destin. Je ne peux pas dire que ce soit la solitude le problème, parce qu'au fond ce n'est pas comme si j'avais connu autre chose avant. Je crois que je suis juste un peu désespérée d'être toujours celle qui répond « le néant » lorsque mes ancêtres que je n'ai pas vu depuis des lustres lâchent à table « alors Danaé, les amours? » ou lorsqu'un ami de la famille pense que je brise le cœur des garçons comme on change de chemise. J'ai l'impression de louper quelque chose lorsque je vois autour de moi les gens s'aimer, c'est un sentiment qui a l'air si doux, si épanouissant et qui peut se révéler pourtant bien plus destructeur qu'il n'y paraît.
J'entends la petite sonnerie qui m'informe d'une réponse. Je ne veux pas savoir. Je ne veux plus entendre parler de ce gars, qui semble si particulier mais qui peut-être joue un rôle. Il doit, lui, sans doute briser des cœurs assez facilement. A en juger par ses photos il n'est vraiment pas repoussant du tout, il dégage quelque chose de singulier, une aura indescriptible. Mais tout ça, je n'y crois que parce que j'en ai l'envie. On ne connaît jamais les gens sur ce style d'application. Peut-être qu'en réalité c'est le plus grand des salauds, et que je ne louperai strictement rien en ne lui accordant pas même une seconde de mon temps.
Impossible de continuer à travailler, mon esprit s'évade, s'échappe et j'attrape mon téléphone d'une main lasse en me maudissant d'avance pour avoir cédé a cette débilité plutôt qu'en restant concentrée sur ma dissertation.
« Tu as raison, recommençons. Elahija, vingt-quatre ans, enchanté. Tes yeux me donnent envie de continuer à te parler. »
Mes yeux? C'est quoi ça encore...?
Je ne peux m'empêcher de lâcher un rire face à cette réponse, qui je l'admets, me laisse totalement indifférente. Comme si on n'avait pas déjà utilisé cette technique jusqu'à ce que la corde cède.
« Mes yeux? Ça a réellement fonctionné sur quelqu'un ça? »
Mon ordinateur décide de lancer une mise à jour, alors que je n'avais pas sauvegardé - évidemment sinon ce n'est pas drôle.
Traître.
« Non, je ne sais pas? Je n'ai jamais dit ça à personne, ça ne se voulait pas être une technique, juste un fait. Tu sais, cette maxime qui dit que les yeux sont les fenêtres de l'âme. Je trouve ça assez juste te concernant. »
Qu'est-ce que...?
Je reste stoïque face à ses mots, regrettant presque les métaphores sans but.
« C'est ce qu'on dit, oui. Et donc? »
Il est hors de question que je le laisse penser que ça peut être si simple de voler le cœur de quelqu'un. Ce ne sont pas deux trois paroles qui peuvent tout chambouler dans le fort intérieur d'une personne. Si seulement c'était si simple, les gens passeraient bien plus de temps à s'aimer qu'à se haïr.
« Et donc je ne suis pas du genre à lancer des mots et voir si ils tombent juste. Mais tu as très bien choisi ta photo, tu dégages quelque chose qui me fait croire que tu vas être différente des autres. Moins bavarde avec ta bouche et plus avec ton silence. »
Je me souviens du jour où cette photo a été prise. C'était cet été, j'étais assise près de la rivière à regarder les bébés grenouilles patauger. J'avais les ongles salis par le mélange de boue et de sable à cause de l'érosion des rochers. J'essayais de trouver des petits coquillages pour les ramener chez moi, après cet après-midi passée avec une amie. Elle s'amusait à tout prendre en photo, moi y compris. Elle disait que j'avais l'air de venir du passé avec ma petite robe bleue au motif Liberty, mes sandales usées et mes cheveux tirés en arrière. Alors elle essayait de « capter l'instant parfait » comme elle a dit, et cette photo est née. J'étais en plein éclat de rire lorsqu'elle a failli finir les fesses dans la rivière à force de gesticuler dans tous les sens pour prendre sa maudite photo. Elle est légèrement floue à cause de son début de chute, un rayon lumineux sur tout le côté droit donne une texture vieillie à la photo, et mes yeux sont bien plus clair à cause de la réverbération du soleil sur l'eau à mes côtés.
C'est vrai qu'elle a quelque chose cette photo, moi je ne sais pas, mais tout le souvenir et le contexte dans laquelle elle a été prise lui fait transpirer le bonheur d'un été doux et léger. Juste moi, mon amie, des grenouilles et une rivière calme mais qui ne dort pas.
J'aimais cet été, cet endroit, et cette photo.
L'automne me ternie, je dois l'avouer. Mes joues sont constamment rouges, comme si une vieille tante ne faisait que de les pincer. Mon nez devient fontaine à cause du froid. Mes yeux endeuillés par la perte du le soleil se voilent d'un éclat sombre, le vert clair devient couleur olive. Mes cheveux n'ont plus les reflets du miel mais des boucles impétueuses à cause des larmes du ciel gris.
« Tu n'aimes pas les gens bavards? »
Je réponds brièvement, retire mes lunettes et frotte vigoureusement mes yeux. Les écrans ont toujours eu le don de les fatiguer, ce qui ne m'aide pas face à la quantité de travaux à rendre pour ce semestre.
« Je ne le suis pas moi-même, et disons que ce n'est pas que je n'aime pas les gens bavards, simplement je ne suis pas très doué pour communiquer avec les autres...! »
Je lui accorde ce point, je ne suis pas très douée avec les mots non plus... voilà donc pourquoi en général, je préfère les livres aux gens. C'est bien plus facile de comprendre et interpréter ce qu'il y a d'écrit. C'est sincère, clair et honnête. Les gens, quant à eux... peuvent parfois nous tromper au détour d'un point ou d'une virgule imaginaire.
« J'étais au parc Danaé, dans un parc en tout cas, j'ai cherché ces yeux qui parlent beaucoup, mais j'aurais sans doute dû te demander directement si j'étais au bon endroit... »
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