IX.

Ses courtes réponses m'indiquent que quelque chose doit être prouvé, peut-être ma sincérité ou mon intérêt, je ne sais pas. Mais s'il y a bien quelque chose que je comprends en ce qui concerne les filles mais aussi les gens en général, c'est que quand ils commencent à répondre de façon sèche et rapide, c'est qu'il y a un engrenage qui coince dans la machine. Sans surprise, je suppose que c'est l'histoire du parc.

« Je te crois, je trouve juste ça dommage. »

Après avoir lu sa réponse, mon sang ne fait qu'un tour. Si je veux vraiment la rencontrer, et surtout avoir sa confiance, je dois absolument tout faire pour que ça aille dans son sens. A la seule condition que ce soit correct, respectueux et ce que je veux aussi. Je n'ai jamais été le genre de mec à draguer une fille – rien que ça déjà – par intérêt personnel. J'ai même d'ailleurs toujours méprisé les sales types de ce genre. Ceux qui les amadouent jusqu'à ce qu'elle laisse tomber toute méfiance pour mieux les briser après. En tant qu'humain je trouve ça abominable. C'est en partie pour ça que j'ai du mal avec les autres, ils sont orgueilleux, avides, faux, manipulateurs... Les humains sont sournois et sans pitié. J'ai horreur de ça. Alors je reste impartial et stoïque, sans attache, sans sentiment, pour être certain de me concentrer sur l'essentiel.

« Ok, alors que fais-tu ce soir ? Disons 19h au parc Baudelaire. »

J'appuie sur envoyer avec l'espoir de découvrir quelqu'un qui me fera changer d'avis sur la nature humaine. Je ne sais pas pourquoi j'ai cédé à cette sorcellerie qui est supposé rapproché les gens mais qui les séparent plus qu'autre chose. On s'écrit pendant des mois, en restant enfermé dans une bulle qui un jour ou l'autre explose. Il y a des mecs qui trompent leur copine, des filles qui enchaînent les déceptions, qui manipulent, des mecs manipulés, des filles brisées, des mecs briseurs, des filles malveillantes, des gars mal... On y trouve de tout, mais j'ai l'impression qu'on y croise surtout du mauvais. On oublie de sourire gentiment aux filles, de leurs tenir la porte par pure courtoisie et sans sous-entendu, on oublie ce que c'est d'offrir un café à une fille qu'on trouve jolie, de l'aborder dans le respect et comme un gentleman, de se comporter de façon correcte sans les obliger à nous apprécier sous prétexte qu'on les apprécie. Rien ne va. L'amour n'existe plus comme dans ces vieux films en noir et blanc. Les étoiles ne sont plus observées lors d'un premier baiser. On précipite tout, on maltraite tout le monde, que ce soit le monde ou nos congénères.

Alors offre moi une nuit Danaé. Juste une. On partagera un moment de douceur, et je retournerai dans les étoiles avec la satisfaction que ça a pu soigner cette anomalie qui sommeille en moi.

« J'y serai. »

A ces mots, un sourire s'affiche sans que je puisse le contrôler.

Pourquoi j'ai l'impression que tu vas causer ma perte, Danaé ?

Lorsque je regarde mon téléphone, il est dix-huit heures, et je me demande ce qu'on est censé mettre quand on rencontre une fille pour la première fois via une application de rencontre. Au bout d'un moment, mon côté je m'en foutiste reprend le dessus et j'enfile simplement un pull assez chaud pour rester dehors le temps qu'il faudra pour découvrir suffisamment de choses sur cette fille si mystérieuse. Pour le reste de ma tenue, mes choix sont assez limités, je n'ai jamais accordé énormément d'importance à mon style, même si Alice trouve que j'en ai un malgré tout « sophistiqué », en réalité sophistiqué pour elle signifie que je ressemble aux mecs les mieux fringués de notre fac. Ce qui, en soit, n'est pas forcément un exploit. Ils ont tous l'allure du gars « Street branché ». Ils mettent une fortune là-dedans alors que sans faire exprès, je suis leur semblable.

Après un regard très furtif dans le miroir, je claque la porte derrière moi et me mets en chemin. Chaque respiration laisse échapper ce qui ressemble à de la fumée opaque. Le froid est agressif mais je fais abstraction des frissonnements qui font convulser mon corps. Je n'arrive pas à me détendre, moi qui suis toujours plutôt serein pour tout ce qui est nouveau ou inhabituel. Je ne me sens ni stressé ou angoissé, juste assez tendu et nerveux, comme si j'allais faire quelque chose qui pouvait potentiellement mener à une décision binaire comme vivre ou mourir. Par reflex, en attendant devant le portillon du parc, je craque mes doigts. Il n'y a pas de nouveau message, pas de signe de vie. J'espère au plus profond de moi qu'elle ne va pas me poser un lapin pour se venger. J'observe les passants, plus ou moins couverts par ces températures agressives. On croise des personnes totalement différentes, des vêtements de toutes les couleurs, et un rayon de chaleur dans ce vent sans pitié.

On peut la voir de loin, finalement. Je ne comprends pas comment j'ai pu la louper la dernière fois. Son manteau est pourpre, son écharpe ressemble à un arc-en-ciel au milieu d'une tempête. Ses cheveux d'un roux foncé dépassent un peu de son bonnet blanc cassé. Emmitouflée dans une couche de vêtement conséquente et pourtant je distingue une robe vieux rose en dentelle épaisse avec un collant noir aux dessins fins, dentelés eux aussi. Ses yeux sont très clairs et pourtant l'obscurité de ce mois d'hiver n'assombri pas leur couleur. Ce qui me marque le plus en la voyant arriver, c'est déjà le sourire discret qui se cache sur ses lèvres rose clair, et aussi le fait qu'elle souri à pleine dent à un chien qui passe à côté d'elle, comme si elle attendait un rictus de sa part en retour, ou tout simplement à lui faire plaisir. Je n'arrive pas à détacher mon regard de cette jeune femme qui approche à grands pas dans ma direction. Cependant, elle semble aussi nerveuse, car elle empoigne son sac d'une main ferme.

- Nous y voilà, finalement, dis-je sans réellement réfléchir.

C'est une fois mes mots dans l'air que je me rends compte que pour une première approche, ça ne casse clairement pas trois pattes à un canard. Quel abruti.

- Elahija, je suppose ? s'exclame-t-elle, la voix tremblante.

- Dans le mille !

- C'était ce parc là, la dernière fois ? me questionne-t-elle, avec un soupçon d'amertume qui se laisse entendre.

Je ne peux pas lui en vouloir, elle doit me prendre pour le dernier des cons. Et elle aurait raison.

- Oui, je l'aime bien. Il y a une grande horloge sur une statue.

Elle acquiesce d'un signe de tête. Mes yeux n'en reviennent pas, elle a un charme naturel indéniable. J'hésite à agir, pour le première fois, un humain me semble valoir le coup jusqu'ici. Sa voix est mélodieuse, douce mais avec un quelque chose qui montre qu'elle n'a pas l'air de se laisser faire aussi facilement.

- On va s'asseoir ou tu préfères te promener ? demande-je finalement après quelques secondes de silence.

- Peut-être qu'il vaudrait mieux qu'on se promène vu la température, ri-t-elle doucement.

Je sens après quelques minutes à ses côtés que la température hivernale ne sera plus un obstacle pour dépenser des heures auprès d'elle a découvrir qui elle est.

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