un, deux, trois, quatre, cinq, six

« Et si tu crois, naïve, que la nuit t'appartient,
sache que dans quelques siècles, il ne restera rien »

On s'embrassait fort. Dans le fracas de la nuit, c'était celui de nos bouches qu'on entendait le plus. On avait bus, peut-être un peu trop, et nous étions tombés amoureux sans nous voir. Je ne me souviens même plus de son prénom, je ne crois même pas l'avoir entendu me le dire.
C'est sur les Docks, clope au bec, qu'il murmure enfin :

« On ne s'est même pas présentés. On a tout fait à l'envers. »

Ses yeux lorgnent ma robe redescendue à la va-vite et mes cheveux, en nid d'oiseaux.
C'est vrai. Tout à l'envers ; on s'est trouvés, on s'est touchés, on s'est embrassés, et nous sommes là, au bord du port.
J'essaie tant bien que mal d'allumer la mienne.
Il expire.

« Tu es belle, tu sais ? »

J'aurais pu lui répondre mais j'ai préféré fumer. Je l'ai regardé quand même ; dans les yeux. Il ne s'est rien passé pendant quelques secondes puis il a souri.

« J'crois que le plus drôle, c'est que tu ne le sais même pas. T'étais là, ton verre à la main, tes cheveux bien peignés, t'étais bien maquillée, bien fringuée, bien propre sur toi ; t'étais jolie. Mais là, regarde-toi, ton maquillage ressemble plus à rien et tes cheveux ressemblent à ceux des sorcières dans Hocus Pocus et pourtant, putain, ce que t'es belle, je frotte maladroitement mon œil en baillant, j'le regarde d'un air distrait, t'es lumineuse, tu te rends compte ? t'es sèche et tu rayonnes. Et pourtant, j'peux te dire que t'as l'air stupide, avec ta cigarette qui pendouille entre tes lèvres et toi avachie sur ce banc écaillé. »

Je le fixe sans rien dire, les yeux qui se ferment lentement. Je pose ma tête contre le dossier puis je fume. Je fume sans répondre. J'imagine les étoiles, les yeux clos puis quand je les rouvre, il n'y a rien. Les nuages masquent la nuit. J'ai les yeux secs ; peut-être trop. Ça me brûle.
Il continue sa longue tirade sur toutes mes qualités inexistantes et qu'il n'a certainement pas eu le temps de voir étant donné le laps de temps assez court qu'il a eu pour me parler et moi, je rallume sans cesse ma roulée qui ne fait que s'éteindre. Je tire de longues taffes et finit par le fixer au moment il s'arrête de parler :

« ... Tes sentiments, ils jouent à cache-cache.
— Tais-toi, je murmure, tais-toi... »

Le silence revient et je redresse la tête, me relève et me plante devant lui.

« J'ai envie d'un milk-shake. »

Sans un mot de plus, je m'éloigne, traînant derrière moi les valises sous mes yeux et l'entend se lever, ses pas lourds suivant les miens. C'est comme ça qu'on parcourt la ville, l'un derrière l'autre, lui fixant mon dos dénudé, moi le ciel qui ne fait que bouger.

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