Ce que nous avons été
Violette Baudelaire
Alex x Pétale
CE QUE NOUS AVONS ETE
ONE SHOT
Je me souviens de tes yeux.
De leur forme, de leur sincérité, des nuances qui y apparaissaient avec la lumière du soleil.
De leur couleur en revanche, j'en suis incapable. Elle est enfouie bien trop profondément dans ma mémoire. Pourtant je sais que je l'ai connue un jour, que je l'ai aimée. Tout comme j'ai aimé les battements de cils, les petits plis qui apparaissaient au coin de tes yeux lorsque tu riais, les paillettes qui s'y révélaient lorsque tu étais heureuse. Ces paillettes, je ne l'ai retrouvées chez aucune autre fille, ni aucun autre garçon d'ailleurs. Car ce sont tes yeux – et eux seuls – qui possèdent le pouvoir de se mettre à scintiller dès lors que le bonheur t'effleure. Ainsi, je garde une image assez nette de ce qui se passait lorsque je plongeais mon regard dans le tien : je voyais des étoiles, des astres, des galaxies entières. Je n'étais ni complètement sur Terre, ni complètement là-bas. J'étais ici-bas, à tes côtés, si proche de toi que je pouvais presque entendre battre ton cœur, mais en même temps à des années lumières de Mia, Amber, Dev et de toutes ces personnes qui nous entouraient. Et tous ces voyages intergalactiques m'ont appris une chose : il n'y a rien de plus puissant qu'un regard. On peut déstabiliser une personne avec un regard. La faire tomber amoureuse, la faire douter, l'apaiser, l'effrayer, la désirer, l'énerver, la chérir. Avec un regard, on peut souvent faire bien plus qu'avec un milliard de mots.
Je sais ainsi que j'aurai beau noircir des dizaines et des dizaines de pages, faire couler des litres d'encre jusqu'à en user plusieurs stylos, sacrifier mon temps libre dans la salle commune jusqu'à mes nuits en solitaire, jamais mes mots ne sauront aussi expressifs, aussi sincères, aussi tendres que l'ont été tes regards.
Je me souviens de ton nez.
De sa courbe, de sa finesse, de sa légèreté.
Pourquoi me rappeler de la finesse de ton nez plutôt que de la couleur de tes pupilles, je n'ai pour le moment guère de réponse apporter à cette question. Cependant, je crois peut-être avoir une piste. Une idée, une supposition. L'idée de la courbe délicate de ton nez qui me rappelle tes courbes, de sa finesse qui éveille en moi le souvenir de ton corps sculpté à ta guise par tes vêtements colorés, de sa légèreté qui m'évoque une plume, aussi bien capable de grimper aux arbres que dans le cœur d'adolescentes autrefois certaines qu'elles ne tomberaient jamais amoureuses. Ton nez était si minuscule que je me suis maintes fois demandé comment est-ce que tu faisais pour respirer avec. Taillé dans la porcelaine, je craignais parfois qu'il se brise, tout comme je craignais que tu te brises toi-même avec ton corps de céramique. Mais penser ainsi était bien naïf et tu me l'as de maintes fois démontré. Tu n'étais peut-être pas la plus musclée, la plus vigoureuse, la plus puissante, mais qu'importe... qu'en avons-nous à faire de toutes ces qualités idiotes ? Sur Perrignine, nous n'avions besoin ni d'un chevalier en armure ni d'un quelconque fou prêt à terrasser un dragon pour sauver sa belle en grand danger – car on sait bien les demoiselles ont toujours besoin d'être secourues. Lukas était peut-être le plus musclé de la bande, mais cela ne l'a pas empêché d'être un véritable lâche en tenant de quitter l'île sans nous et avec notre propre barque. Dev était peut-être vigoureux, mais cela ne change rien au fait qu'il a été l'un des premiers à avoir rejoint le côté d'Amber. Mais toi... tu es courageuse et il n'y a pas de plus admirable qualité que celle-ci. Tu as été la plus forte d'entre nous et je ne permettrai à personne de prétendre le contraire. Tu as résisté à Amber et tu as soutenue Mia tout du long. Et même si Amber a finalement réussi à entrer dans ta tête lors de notre tentative d'évasion, tu n'es pas devenue un de ses pantins... car tu as résisté à son pouvoir. Tu t'es battue.
Elle est entrée dans ta tête et elle a brisé ton esprit. Tu aurais pu la laisser faire ce qu'elle voulait de toi et devenir un de ses sbires. Mais tu es restée à mes côtés. Tu es restée à mes côtés et avec ta délicatesse, ta douceur, ta fragilité, tu as su me démontrer à quel point tu étais la plus courageuse de toutes les demoiselles en détresse et que tu n'avais nul besoin qu'un preux chevalier vienne de porter secours.
Car tu es forte Pétale et de cela n'en doute jamais.
Je me souviens de tes lèvres.
Du rose qui les coloraient, des sourires qui s'y épanouissaient, du contact avec les miennes.
Est-ce les Dieux qui t'en ont dotée ou les années qui t'ont permis de l'acquérir, je n'en ai pas la moindre idée. Mais est le fait est que tu l'as. Que tu possèdes ce don : celui de sourire et de faire sourire. Il m'est impossible d'établir ici le compte exact de personnes que tu as fait sourire en leur transmettant un peu de ta bonne humeur – et ce même dans les moments les plus sombres. Tu as été notre rayon de soleil et grâce à toi tous ceux qui ont survécu à Perrignine garderont au moins un souvenir empreint de lumière de ces jours obscurs. Ils se souviendront de l'adolescente aux cheveux de feu et aux vêtements arc-en-ciel. Ils se souviendront de ce cœur en or qui rayonnait et qui avait une tonne d'amour à donner. Ils se souviendront de l'amie qui s'est tenue à leurs côtés et qui leur a prêté une oreille attentive. Ils ... je me souviendrai de celle qui avec un baiser, m'a fait comprendre une chose que je m'étais toujours refusée à croire : moi aussi, j'ai droit à l'amour.
Et c'est dans tes bras que j'ai enfin su ce que c'était d'aimer et d'être aimée.
Il m'arrive quelques fois de repenser aux moments que nous avons partagé cet été-là. Je m'allonge, clos mes paupières et m'accorde un instant hors du temps. Quand je ferme les yeux et que j'imagine tes lèvres, mon esprit finit irrémédiablement par me conduire jusqu'à tes mains. Et quand je pense à tes mains, je repense aux étoiles et aux galaxies, aux vêtements colorés et à la plume, à la lumière et aux certitudes renversées. Puis viennent les sourires et les larmes, les éclats de rire et les yeux levés au ciel, les moments passés à deux et ceux où je te fuyais, les mystères et les vérités scientifiques, le nouveau et l'ancien, la grande aventure et l'habitude... tout ce que nous avons été. Et de tout cela, j'ai de plus en plus de mal à me souvenir.
Tu te souviens toi, de ce que nous avons été ?
Nous ne sommes pas et peut-être ne serons-nous jamais. Mais nous avons été. J'ai au moins cela de nous et je chéris chaque infime détail de ce passé qui s'effile et dont je crains qu'un jour, il vienne à s'effacer.
Mais je ne veux pas qu'il s'efface. Je ne veux pas qu'il s'estompe. Je ne veux pas qu'il se trouble. Je ne veux pas l'oublier.
Je ne veux pas t'oublier.
Seulement le temps passe et les jours s'enchaînent. Les mêmes activités recommencent et la même nourriture emplit notre assiette. Les infirmiers tiennent un discours semblable et la promesse de notre libération prochaine est renouvelée sans cesse.
Quand tu n'as aucun moyen de différencier ce jour de celui qui l'a précédé, il est facile de perdre la notion du temps. Au début, tu essaies de tenir des comptes : la soixante-dix-septième soupe aux légumes verts, la quarantième séance de sport, la vingt-troisième soirée jeux de soirée, le dix-huitième discours sur notre chance d'être ici et la nécessité de rester. Puis, à force, il devient de plus en plus difficile de te souvenir. Est-ce la soixante-dix-septième ou plutôt la soixante-douzième soupe aux légumes que tu as ingérée ? Est-ce qu'il n'y a bien eu que vingt-trois soirées jeux de société dans la salle commune et non pas vingt-neuf ? Tout finit par se mélanger. Tu t'emmêles les pinceaux et avoir un semblant de notion du temps qui passe se transforme en mission impossible. Jusqu'au moment où tu perds le fil ; et que tu abandonnes.
Kalie et son petit ami, Dev, Lukas, ainsi que tous les autres en sont tous à ce point. Ils ont tous abandonnés. Pourtant tout ce groupe – mais les garçons principalement – était autrefois animé d'une envie de s'évader si puissante qu'ils auraient été prêts à tout. Ils en ont imaginé des évasions ! Tentées certaines. Celles-ci avaient beau les mener vers l'échec et les châtiments, ils ne se décourageaient pour autant et recommençaient leur petit manège aussitôt que le personnel de l'institut avait le dos tourné. Jusqu'au jour où la punition a été plus forte que leur soif de nouveaux horizons. Jusqu'au jour où, avec une méthode dont aucun garçon n'a jamais voulu nous faire part, les infirmiers leur ont fait passer l'envie de renouveler leur exploit. Alors ils ont fait taire leur envie de se battre... et celle-ci n'est plus jamais revenue. Ils se sont à présent habitués à cette vie et ils s'en disent heureux. Au fond, les lits sont confortables et la nourriture est correcte. Il n'y a ni école, ni devoirs, ni parents. Ils peuvent se coucher à l'heure qu'ils veulent et occuper leurs journées quasiment comme ils le souhaitent. Puis qu'iraient-ils faire là dehors ? Sans doute sommes-nous devenus contagieux à la suite de ce qu'il s'est passé sur l'île. Sans doute que le personnel de l'institut a raison et qu'il vaut mieux de rester ici. Comme un animal gardé trop longtemps en captivité, ils ont oublié ce qu'était la liberté. Voilà bien trop longtemps qu'on la leur a ôté. Je me demande même s'il la craigne maintenant qu'elle leur est devenue étrangère.
Ont-ils oublié qu'ils avaient des parents ? Une famille ? Une vie ? Peregrine et leurs expériences démentes sur Amber et Mitche nous ont enlevé tout cela. Ont-ils même oublié qu'ils nous ont séparé de tant de personnes qui ont vécu les mêmes phénomènes ?
Ils oublient la notion du temps. Ils oublient ce qui s'est réellement passé sur Perrignine. Ils oublient comment nous en sommes arrivés là. Ils oublient qui sont les véritables méchants de l'histoire.
Ne pas oublier est un combat quotidien et ils ont rendu les armes. Un à un, ils ont fait le choix de cesser la lutte. Etouffant leur envie de révolte, apprenant à subsister sans ce feu qui les animait autrefois.
Et sans cette lumière pour les guider, comment espérer qu'ils trouvent la sortie ? Comment espérer que ces derniers prennent conscience du temps qui passe ?
1 an.
Chaque matin, je grave un nouveau trait derrière la commode qui borde mon lit. Chaque matin, je regarde ces traits qui en sont devenus 365 et je prie pour que le jour qui débute soit meilleur que le précédent. Chaque matin, j'espère que le trait gravé sera le dernier. Et chaque matin me donne tort.
Un an s'est déjà écoulé et pourtant, ma flamme est encore là. Faible peut-être vacillante aussi, mais ravivée à ton seul souvenir.
Au souvenir de tes yeux, de ton nez, de tes lèvres, de tes mains, de tes baisers, de tes sourires. Car c'est ton souvenir qui me permet de garder espoir.
Espoir qu'un jour, toute cette folie prendra fin. Qu'un jour, nous quitterons cet institut et que nous n'y reviendrons jamais. Qu'un jour, Mia et toi veniez à notre secours.
Et lorsque ce jour arrivera, je t'en fais la promesse : cette fois-ci, ce sera moi qui t'embrasserai.
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