Un gramme de jalousie en trop
— Léna ?
Son nom m'échappe dans une exclamation de stupeur. Face à moi se trouve un visage dont mon regard est incapable de se détacher : outre ses yeux bruns et son sourire charmant inchangé, Léna m'apparait comme une toute nouvelle personne. Son crâne dénué de longueur attrape les reflets des néons tandis que ses mains bataillent pour plier le foulard d'Emma correctement.
Elle est chauve. Plus aucun de ses cheveux auparavant brun, bleu ou vert, enfin que sais-je, ne vient se dérouler autour de ses joues rondes et rosies. Le tissu aux étoiles vient couvrir sa tête et elle sautille comme une enfant en découvrant son reflet dans le miroir de poche d'Emma. Elle lui saute au cou avant d'annoncer avec joie :
— Il est parfait Emma ! Tout simplement parfait !
Monique l'observe avec curiosité tandis que je ne parviens même pas à ouvrir la bouche. Emma fait donc les présentations :
— Léna, voici Hugo et Monique.
— Oui oui, je connais déjà Hugo, acquiesce l'intéressée en me souriant.
C'est à ce moment-là que Monique décide de prendre la parole :
— C'est... C'est elle ta copine ! affirme-t-elle plus qu'elle ne le demande.
Et avant que j'aie pu répondre quoi que ce soit elle enchaine :
— C'est marrant, j'aurais cru que tu préférais les filles avec des cheveux... Tu me diras, les foulards coûtent sans doute moins chers que le shampoing et tout le tralala qui va avec.
Je manque de m'étouffer de honte et lui enfonce mon coude dans la côte pour saluer son manque de tact. Elle me lance un regard noir et râle de ma violence avant de reporter son regard sur Léna. Je fais de même et un silence gênant s'installe entre nous quatre. Les lèvres de Léna tremblotent et son visage devient rouge tandis que ses yeux se teintent de larmes. Impuissant, je lance un regard désolé à Emma qui propose à son amie de l'accompagner dehors.
Cette dernière ne répond pas et sort avec difficulté un mouchoir de sa poche... juste avant d'éclater de rire. Déboussolés, nous ne savons que faire et nous contentons de sourires crispés. Après avoir essuyé ses yeux encore rieurs, elle articule un faible « désolée » et nous tire vers la table où les clients s'agglutinent.
Sur le bois vieilli se pressent des dizaines de mains, ravies de s'emparer des quelques objets disposés là avec précision. Des bracelets de toutes couleurs et construits sur des modèles divers se font essayer par des curieux tout autour de nous. Un peu plus loin, des bacs de livres anciens se font retourner par les lecteurs assidus. Léna s'en approche et en saisit un au hasard avant de l'ouvrir en le portant à son visage, elle inspire lentement et nous renvoie un sourire immense.
— Y-a-t-il quelque chose de meilleur au monde que l'odeur d'un vieux livre ? ses yeux pétillent de joie tandis qu'elle caresse la couverture et fait voleter les pages. Je pourrais rester des jours entiers le nez plongé dans un de ces bouquins. Au sens littéral du terme bien sûr, ajoute-t-elle en nous adressant un clin d'œil.
A ma droite, Monique se détend tandis qu'Emma part rejoindre des enfants sur les escaliers, sûrement sa progéniture. Ma voisine me pince le bras et esquisse un sourire en coin en tournant le regard vers une troisième table un peu plus loin :
— Je ne sais pas ce que vous en dites, mais... moi je préfère la nourriture aux bouquins !
Léna laisse échapper un gloussement et accompagne Monique jusqu'à la pitance embaumante, tandis que je me contente de les suivre. Sur la table, des boites colorées remplies de muffins, cookies et autres petites gourmandises côtoient des pâtisseries bien plus grandes : des tartes en tous genres en passant par les gâteaux aux décorations et aux formes variées. Derrière la table, Julie semble débordée et ne sait plus où donner de la tête.
— Salut Julie ! Besoin d'un coup de main ? lui proposé-je.
Elle me regarde une fraction de seconde avant d'être interpellée par un jeune homme impatient :
— Oh salut Hugo ! Ce ne sera pas de refus, je suis dé-bor-dée, soupire-t-elle.
Avec un sourire, j'abandonne Monique et Léna puis passe de l'autre côté de la table. Julie me tend un flacon de gel hydroalcoolique et je me désinfecte les mains avant d'attraper un couteau en l'agitant pour demander aux clients ce qu'ils ont choisi.
— Eh doucement ! Vous avez failli m'égorger comme un poisson alcoolique, s'exclame le jeune homme impatient en mimant son égorgement.
Interdit, je ne bouge plus et le regarde s'esclaffer pendant que Julie secoue la tête, agacée.
— Guillaume !
Léna lève les bras et fonce vers lui, avant de lui faire la bise comme s'ils étaient meilleurs amis depuis longtemps. Une aiguille me pique le cœur.
— Tu ne m'avais pas dit que tu viendrais ! s'exclame-t-elle.
— Tu ne m'avais pas demandé, réplique l'intéressé avec un clin d'œil. En même temps, j'allais pas te laisser coller des affiches dans mon cabinet sans les lire, c'est mal me connaitre !
Léna soupire.
— Déjà, c'est pas TON cabinet et en plus j'ignorais que tu avais un minimum de personnalité à faire connaitre.
Le dénommé Guillaume fait semblant de s'étouffer et la tête de Monique surgit, venue de nulle part :
— Quoi ! Un meurtre à la fierté ! C'est une belle enquête qui se profile là...
Et elle replonge aussitôt au milieu de la foule pour admirer la nourriture qui s'étale devant elle. Monique en baverait presque. Guillaume regarde Léna avant de se tourner vers moi, ahuri. Celle-ci prend les devants :
— Guillaume, voici Monique. Et Hugo, ajoute-t-elle en pointant son doigt sur moi.
— Et moi c'est Julie ! dit celle-ci en réapparaissant à nos côtés pour servir une petite fille aux couettes rousses.
Elle en profite pour me pincer l'épaule, me rappelant que j'ai promis de l'aider. Guillaume saisit Léna par le bras et la tire vers l'arrière :
— Eh toi ! Viens par-là, faut qu'on parle un peu de tes lubies capillaires du moment.
Ils nous saluent et s'en vont en me laissant avec un couteau entre les mains. Il ne manquerait plus qu'un fondant à la cerise soit au menu et je ferai un parfait meurtrier. Mobile du crime ? La jalousie miroir d'un cœur brisé en mille morceaux...
M'activant auprès des clients gourmands, je ne cesse de penser à Léna. Une part de moi scintille quand elle est à mes côtés, mais la grande majorité de mon âme est encore meurtrie par le départ d'Anna. Leur ressemblance physique m'avait frappé lors de notre rencontre : brunes, de taille et de corpulence moyennes, les yeux rieurs, une voix pleine d'entrain et une envie de bouger insatiable. De vraies jumelles à mes yeux !
Cependant, en creusant un peu plus, on peut apercevoir chez Léna une source de joie beaucoup plus profonde et intense qui attire à elle le monde entier. Une étoile solitaire dans l'immensité obscure de la réalité ; une luciole qui suffirait à elle seule à éclairer le monde entier, si du moins on lui en laissait l'occasion. Alors oui, je crois que ma tête est éprise, mais que mon cœur a besoin d'un pansement moins fragile que mes pleurs.
Il y a tout un monde entre les indécis et les résolus. Tu peux rester trois heures hésitant devant un gâteau au chocolat ou à la banane, testant ainsi ta patience et celle des autres ; ou bien choisir directement le gâteau à la cerise et n'avoir qu'à regretter ou te réjouir de ton choix.
Je fais plutôt partie de la première catégorie. Léna ou Anna ? Passé ou présent ? Rentrer ou rester ? Lui proposer un diner ou l'oublier ? La rappeler et m'excuser ou la regretter toute la journée ?
Mes bras s'agitent, coupant des gâteaux de toutes parts, mais mon esprit ne suit pas le mouvement. Les images de couleurs passent sous mes yeux comme un film flou, les voix me parviennent indistinctement, seulement perçues par mon corps qui s'agite de tous côtés.
Je coupe, tend, empoche l'argent, rend la monnaie... j'agis comme un robot à programme unique. Mon esprit s'échappe, j'imagine des glaces sous mes mains et me rappelle ma passion qui est devenu mon job, puis je me tourne. Le passé me fixe et me demande sans discontinuer : « Comment oublier ? ».
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Bonjour les lucioles !
Comment allez-vous ?
J'ai assez peu de réseau en ce moment mais ne vous en faites pas, les chapitres continuent d'arriver !
Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ?
Le projet de Léna vous plaît ? 👀
Merci d'avoir lu 🌟
Bonne journée ❤️
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