On ne change pas une constellation uniquement parce qu'une étoile disparaît

Je pousse la porte du bureau du notaire avec un certain soulagement. Léna, Hugo et Guillaume me suivent de près et nous nous retrouvons tous debout sur le trottoir sans trop savoir quoi dire. Lorsque je fais mine de partir, Léna me retient par la manche.

— Attend, murmure-t-elle. Je crois qu'on devrait discuter. Tous les quatre, ajoute-elle après quelques secondes.

Les garçons la regardent, silencieux, et j'attends qu'elle nous propose un endroit où aller. Elle le fait toujours.

— On pourrait se poser chez le glacier. Ça vous dit ?

Je hoche vaguement la tête. C'est étrange de voir comme le départ de Monique a brisé quelque chose entre nous. Les mots n'ont plus le même goût, les sourires et les actes non plus.

Léna s'engage dans la rue, nous trainant derrière elle. Certaines choses n'ont pas changé, pourtant : notre amie se place toujours devant nous, guide éternel, lumière scintillante au bout du tunnel. Aucun bruit de brise notre harmonie jusqu'à ce que nous arrivions devant la porte de l'établissement.

Là, Hugo s'arrête brutalement et je manque de lui rentrer dedans. Il fixe la porte, bougeant les lèvres sans qu'aucun son n'en sorte, puis articule finalement :

— J'ai démissionné.

Je le regarde, étonnée, alors que Léna se contente d'une simple question, pas perturbée le moins du monde :

— Quand ?

— La semaine dernière, répond le principal intéressé.

Guillaume secoue la tête et bouscule Léna pour entrer dans le commerce.

— Je crois qu'on a beaucoup de choses à se dire tous les quatre. On sera mieux assis, déclare-t-il.

Alors, dociles, nous le suivons tous à l'intérieur.

Je suis presque surprise de ne pas trouver Stella au comptoir. Bien que je sache qu'elle est partie depuis longtemps, une part de moi a encore envie de croire que rien n'a changé depuis cette après-midi à la plage.

Nous suivons Guillaume jusqu'à une table au fond de la salle et nous installons en triangle. Les garçons à la pointe, Léna et moi à la base. Cette observation fait revenir un étrange souvenir dans mes pensées.

— Vous savez ce que représente le triangle ?

Mes amis me lancent des regards surpris, sans pour autant me répondre. Je prends le parti de leur raconter tout de même cette histoire.

— On le définit généralement comme la voie juste, la vérité ou la vie éternelle. D'ailleurs, le chiffre trois est souvent associé à l'ordre, l'équilibre, la perfection et la réconciliation.

Ils m'écoutent sans bouger, j'ignore si c'est parce qu'ils sont intéressés par ce que je dis ou parce que je les ennuie profondément. Je décide finalement de terminer ce que j'ai commencé.

— Le trois, c'est un peu la fusion du un et du deux.

Quelque chose qui révèle l'idée d'un pouvoir supranaturel, une force transcendantale qui dépasse la matière. Je crois aussi qu'il unit les contraires, réconcilie les opposés. Un peu comme s'il apportait la paix et l'amour.

Je me tais. Les phrases ont coulé, comme par habitude. Une habitude dont l'origine me revient soudainement à l'esprit lorsque Léna me demande :

— Comment est-ce que tu sais tout ça ?

— Loïc, je murmure. Il était passionné par ce genre de choses. C'est d'ailleurs ce qui m'avait attiré chez lui...

Mon amie hoche la tête, compréhensive. Elle ne pose pas plus de question et en profite pour attraper le menu et choisir la glace qu'elle va commander.

Hugo, lui, souffle longuement, l'air impressionné.

— Eh ben... J'adore ce genre d'idées. Ça donne un tel autre visage au monde... Je trouve ça sensationnel.

Guillaume perd son regard vide un instant pour sourire à Hugo et se tourne ensuite vers moi :

— Emma, tu es douée en maths ?

Je hausse les épaules. Pourquoi me pose-t-il cette question ? Hugo semble comprendre, parce qu'il lui adresse un léger signe de tête.

— On a beaucoup de choses à vous dire, tous les deux, commence Guillaume. Mais avant, commandons des glaces !

Je souris et attrape un menu, plus pressée de savoir ce que les garçons ont à nous dire que de manger réellement.

La liste de parfums est bien trop longue pour moi. Que choisir ? Après une cinquième relecture de la carte, j'opte finalement pour deux boules de glace « Lumière de Printemps ». Les commandes passées, je me penche vers les garçons et demande :

— Alors ? Qu'avez-vous à nous raconter ?

Guillaume et Hugo échangent un regard entendu avant de hocher la tête et de se tourner vers Léna et moi.

— Bien, commence Guillaume. Alors, pour
débuter...

Hugo le coupe brutalement, comme si tout ce qui disait son compagnon n'était qu'un vulgaire suremballage gênant.

— On veut ouvrir un bar à glaces.

Il nous laisse à peine le temps de prendre en compte l'information et continue :

— Vous savez que j'ai toujours adoré inventer des parfums inhabituels pour les glaces et Léna sait que le rêve de Guillaume est d'être barman. Nous avons décidé de combiner nos deux passions et d'ouvrir un commerce.

Je me tourne vers Léna. Un sourire étrange a pris place sur ses lèvres. Elle hoche lentement la tête, sans se départir de son sourire.

Un même sourire nait sur le visage des garçons. Quelque chose en moi en profite pour se mettre à brûler, lentement d'abord, puis plus fort. Comme une plaie béante qui serait tout à coup refermée.

Je laisse à mon tour un sourire étirer mes lèves puis me redresse, bien droite sur ma chaise, avant de déclarer :

— Je vais demander le divorce.

Un silence électrisant accueille ma réplique. Les yeux de Léna se posent doucement sur moi, avant de m'enfermer dans un cocon d'euphorie. Je vois dans son regard qu'elle meurt d'envie de se lever et de me serrer dans ses bras mais elle n'en fait rien. À la place, elle demande :

— Quand ?

Je laisse mon regard se perdre dans ses prunelles.

— Le plus vite possible, je réponds.

Elle m'attire finalement à elle et m'entoure de ses bras. Je me laisse faire et lui rends son étreinte.

— Monique serait fière de toi, chuchote-elle à mon oreille. Et nous, on l'est. Tout comme tes enfants et tes parents. Tu as pris la bonne décision, Emma.

Les larmes commencent à poindre aux coins de mes yeux. Je m'écarte de mon amie et les essuie d'un revers de manche avant de me mettre à pleurer comme une madeleine.

— Et toi, Léna ? je l'interroge.

Son sourire se fait plus triste soudain ; son regard, plus lointain.

— J'ai commencé à aller aux chimios. Il me reste beaucoup de choses à régler et je vous épargne les détails, mais Monique m'a montré que la vie était précieuse. On ne peut pas se la laisser prendre sans se battre. Et nous, on est des battants. N'est-ce pas ?

Guillaume se penche par-dessus la table et attrape les doigts de Léna d'une main. De l'autre, il attire son visage à lui jusqu'à réduire la distance entre eux à quelques maigres centimètres.

— Tu n'as jamais cessé de te battre, Léna. Jeanne serait fière de toi. Elle l'est, d'ailleurs. Lève les yeux la nuit et tu verras, toutes ces étoiles brillent pour toi. On sera toujours là pour toi. Tous autant que nous sommes.

Doucement, il dépose un baiser sur son front et Léna ferme les yeux, semblant chercher à s'imprégner de ces mots.

Une larme glisse le long de sa joue, Guillaume la cueille d'un geste assuré. La connexion de ces deux-là ne risque pas de se briser de sitôt, je le sens.

Face à moi, Hugo crispe la mâchoire. Son côté surprotecteur a encore du mal à se faire à cette nouvelle relation, apparemment. Pourtant, il sourit et adresse un profond regard à Léna. Tout ce qu'il ne sait pas dire, il le fait passer par ce contact. Léna le reçoit parfaitement. Un long dialogue silencieux s'engage entre eux.

Guillaume et moi nous retrouvons spectateur de la pièce qui se joue devant nous et nous contentons d'échanger un sourire quand les commandes arrivent. Certaines choses ne changeront jamais, c'est certain. Certaines relations sont faites pour durer et j'espère que la nôtre en fait partie.

On ne change pas une constellation uniquement parce qu'une étoile disparaît, n'est-ce pas ?

~~~

Coucou tout le monde !

J'espère que votre mois a bien commencé <3

Ceci est l'avant-dernier chapitre... Mais il me reste encore quelques surprises bonus à vous partager par la suite ;)

L'idée de cesser de voir les commentaires de mes lecteurs les plus assidus m'effraie un peu mais je suis sûre qu'on se retrouvera bientôt !

En attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu, j'ai hâte de vous partager la fin de cette histoire, merci à vous pour tout votre soutien +++

Bisous !

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