Nuit Soupirée

Je salue Guillaume devant la porte d'entrée d'Emma et commence à monter les escaliers. J'essaie de me concentrer sur les marches pour ne pas laisser pour esprit imaginer toutes sortes d'horreurs qui pourraient arriver à Léna, mais la technique n'est pas très concluante.

— Hugo ?

Je me retourne. Guillaume est toujours devant la porte, il n'a pas l'air de vouloir partir. Il fixe ses pieds un moment avant de me regarder.

— Est-ce que je pourrais... enfin, tu serais d'accord

pour que... Je peux rester chez toi le temps que Léna revienne ?

Je lui souris. Etrangement, je m'attendais à sa demande. J'avais même failli lui proposer moi-même, mais... Enfin, peu importe.

— Bien-sûr, répond-je. Monte !

Un léger sourire éclaire son visage, il prend les escaliers à ma suite. Nous ne parlons pas avant d'arriver devant ma porte, mais sa présence me déconcentre et m'empêche de penser à notre amie dehors. Je ne saurais dire si c'est une bonne ou une mauvaise chose.

J'extirpe les clés de ma poche et ouvre la porte avant de m'effacer pour laisser entrer Guillaume.

— C'est simple chez toi, déclare-t-il.

— Léna m'a dit la même chose la première fois.

Nous nous sourions faiblement et je lui propose de s'installer sur le canapé pendant que je vais chercher des verres. Il ne se fait pas prier et disparaît dans le salon. Lorsque je reviens, je le trouve recroquevillé dans le coin du fauteuil et je ne peux m'empêcher de rire.

— Pas la peine de laisser toute cette place,

m'expliqué-je. Nous ne sommes que tous les deux.

Il rougit et se décale un peu vers le centre. Je m'assois à sa gauche où il reste une large place.

— De l'eau ? je propose. Je n'ai pas grand-chose

d'autre à vrai dire...

Il sourit et m'assure que c'est très bien. Je nous sers et nous restons silencieux un moment. Je pose mon regard sur les lumières dehors. Les lampadaires éclairent la route si fort qu'on pourrait presque déceler la petite fourmi qui longe le mur. Pourtant, n'est-ce pas justement la magie de la nuit que de pouvoir passer inaperçu ? Pourquoi, alors, vouloir la briser ?

Je me demande ce que à quoi Guillaume peut bien songer à l'instant. Les images de la journée que nous avons passée ensemble ne cessent de me revenir. Son rire, ses blagues maladroites pour me changer les idées, nos bêtises... Je comprends à présent pourquoi Léna et lui s'entendent si bien. Ils sont tous deux des incarnations de la joie de vivre.

— Guillaume ?

— Hum ?

— Je voudrais m'excuser. Pour toute la colère que

j'ai pu déverser sur toi. J'aurais dû apprendre à te connaître plutôt que me baser sur des préjugés. J'en suis désolé. J'ai passé une très belle journée aujourd'hui, je suis heureux d'avoir appris à te connaître.

Il glisse son regard vers moi et m'observe quelques minutes, comme retournant sans cesse une même question dans son esprit. Il finit par me la poser :

— Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de te sentir

complétement différent ? Incompatible avec le monde dans lequel tu vis ?

Je hoche la tête.

— Souvent, oui.

— J'ai toujours su que j'étais attiré par les hommes

et les femmes, continue-t-il sans prendre en compte ma réponse. Mais pour mon père, c'était tout simplement impensable. Il ne l'a d'ailleurs jamais su. Tu vois, il disait toujours que si quelqu'un était capable d'être bisexuel, il n'avait qu'à se montrer hétéro et ça arrangerai tout le monde.

— Mais... C'est totalement illogique !

— Illogique, amoral... Appelle ça comme tu veux, ça

ne changera pas la façon de penser de ces gens-là. Un soir, j'ai embrassé un garçon. Le premier. J'étais certain de l'aimer, mais à ce moment-là, l'image de mon père est apparue et j'ai fui. C'était lâche, mais j'avais tellement peur... ce soir-là, j'ai tout raconté à ma mère. Elle m'a écouté pleurer dans ses bras pendant une heure entière et elle m'a dit : « Ton père ne changera jamais d'avis, pas même pour son propre fils. Il est buté et je regrette parfois de t'avoir offert un homme tel que lui pour père. Mais je l'aime, et toi aussi tu as le droit d'aimer. Ne lui dit rien, je te le demande. Aime qui tu veux, tant que tu le veux, Guillaume ; c'est ton droit. Simplement, n'oublie pas qu'il y aura toujours quelqu'un pour contester ce que tu es. Ne vis pas dans la peur de ces personnes, mais n'oublie pas leur présence. Pour ton bien. Tu comprends ? »

J'ai hoché la tête et séché mes larmes. Ma mère est restée la seule au courant pendant des années.

Je reste suspendu à ses lèvres. Son récit me fait frémir, pourtant j'ai envie d'en entendre la suite. Son regard reste plongé dans son verre. Il semble chercher ses mots.

— Quand je suis tombé amoureux de Jeanne, ça a été

comme une délivrance pour moi. Je pouvais être amoureux sous les yeux de mon père sans qu'il n'y trouve rien à redire. En plus, il aimait beaucoup Jeanne puisque son père et lui étaient amis. J'ai cru pouvoir être heureux, cette fois.

Quelque chose se brise dans sa voix, une larme roule sur sa joue. Je pose doucement ma main sur son épaule et l'interroge à mi-voix :

— C'était la sœur de Léna ?

— Oui. Elle est morte maintenant. Et c'est comme si

tous mes rêves s'étaient envolés avec elle.

Je reste silencieux un moment, me détachant de lui pour le laisser respirer. J'ai conscience que ces paroles lui coûtent, pourtant il a choisi de me les dire. À moi.

— Mon père n'était pas un ange non plus, me lancé-

je.

Guillaume ne me regarde pas, mais je crois avoir capté son attention.

— Il me soumettait sans cesse à divers défis pour

« m'endurcir ». Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis cassé le bras ou la cheville par sa faute. Mais ça, ce n'est rien en réalité. Le plus terrible pour moi, c'est l'idée qu'il ait pu tuer ma mère.

Je ferme les yeux et me met à trembler. Je sais que je ne dois pas pleurer maintenant, mais le passé est comme une tige de fer que mon père s'entête à frapper contre mes tempes.

— Un incendie. Des flammes gigantesques. Une

cicatrice à vie en plein milieu de mon visage. Et une seconde en plein milieu de mon cœur. Voilà l'avenir que mon père m'a offert : un démon de flammes et de peur.

— Aucun homme n'est parfait, mais nos pères sont

pires que les autres, lâche Guillaume.

— Il doit y en avoir de bien pires, je suggère. Mais

les femmes sont-elles parfaites alors ?

— Je ne sais pas. Léna, oui.

Je ris. Léna... Parfaitement elle-même peut-être ?

— Mieux vaut ne pas lui dire, continue-t-il. Elle

risque de prendre la grosse tête.

Je ris à nouveau, essuie les larmes qui m'ont échappées.

— On est deux paumés, assis dans un appartement

sans personnalité et en train de boire de l'eau. Quel spectacle ! m'exclamé-je.

Guillaume sourit et se lève. Il pose son verre sur la table et s'approche de la fenêtre qu'il ouvre en grand.

— Parfois, j'imagine que Jeanne et moi regardons le

même ciel. Quelque part, ça me rassure, mais d'un autre côté ça m'effraie. Voir la même chose qu'une morte, ça voudrait dire que j'ai une part de mort en moi, non ?

Je m'approche derrière lui et m'appuie sur le rebord de la lucarne à côté de lui. Le lampadaire à quelques mètres de là empêche mes yeux de distinguer les étoiles mais la lune scintille au-dessus de nous. Envers et contre tout.

— Je crois qu'elle nous entend.

Il sursaute au son de ma voix, se penche un peu plus. Nos épaules se frôlent.

— J'aimerais lui dire que je l'aime encore, mais je

crois que je lui mentirai. Je ne pourrais jamais l'oublier, bien-sûr. Simplement... Mon cœur bat pour une autre personne désormais.

Il tourne sa tête vers moi, je sens son souffle sur ma joue. Je le regarde à mon tour. Nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres. Nos souffles se mélangent, forment une condensation absurde dans la nuit. Il s'approche encore. Je colle mes lèvres aux siennes. Il m'embrasse.

Pendant quelques minutes, nous restons là, bouches jointes, à la faveur de la lune. Puis, quand, enfin, il prend ma main et pousse la porte de ma chambre, je ne peux m'empêcher de sourire.

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Se mets à sauter partout

Alors ??? Vous avez aimé ce chapitre ? 😏

DEPUIS LE TEMPS QUE JE VEUX VOUS LE MONTRER !

Je suis affreusement heureuse à l'idée de poster ce chapitre 🥺

SONT-ILS PAS MIGNONS MES DEUX BOULETS ? 😍😍

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