Les mots de la nuit
Alourdis par les pizzas, les enfants se sont endormis comme des sacs. Leurs respirations adorables me parviennent du couloir et je me faufile discrètement dans ma chambre. Extirpant mon journal de sous le matelas, j'ai l'impression d'être retombé en enfance. A la lumière flageolante de ma lampe de chevet, j'attrape mon stylo et commence à gribouiller quelques mots :
Il avait des yeux grands comme le monde, mais un cœur aussi sombre que l'univers. Peu nombreuses étaient les étoiles qui y paraissaient. Sous les comètes de la vie, il ne bougeait pas d'un cil. Il m'était apparu comme un immense trou noir, avalant tout ce qui se trouvait sur son passage pour devenir encore plus fort.
Je n'avais pas tort. C'était un gouffre de violence, de colère et d'avidité. Il aimait posséder et maintenir à sa portée le monde entier. Mais surtout, il était sombre. D'une obscurité prenante qui vous faisait suffoquer bien plus que n'importe quel incendie.
C'était un pyromane. Il allumait un brasier en vous avant de vous faire brûler vif comme s'il s'était débarrassé d'un corps mort.
C'était un meurtrier. Il achevait ses victimes par la force de leurs sentiments tel un bourreau des cœurs.
Je croyais qu'il était mon soleil, je m'étais prise pour la lune. J'ai cru ne pas pouvoir briller sans lui, mais je n'étais au fond qu'un satellite parmi d'autres à ses yeux. Un jour je l'ai éclipsé. Ce fut le dernier jour de ma liberté.
J'arrête mon stylo. Qu'écrire après ? Je l'ignore. Prenant les pensées comme elles viennent je tourne la page et laisse couler l'encre :
« Le cœur a ses raisons que la raison ignore »
Celle-ci trace des lignes que la passion esquive. L'amour est comme un labyrinthe dont on ne voudrait jamais sortir. Le plus dur, c'est de trouver la sortie lorsque les haies du danger grandissent jusqu'au ciel autour de nous. Nos pas nous guident inlassablement vers celui ou celle que l'on a aimé, alors que notre esprit cherche à s'en éloigner à tout prix. L'amour est une de ces forces qui nous poussent au bout du monde, quitte à nous faire tomber dans le profond précipice de la déception au bout du voyage.
« Il pleut sur la ville comme il pleut sur mon cœur »
Ce soir-là il pleuvait. A légères gouttes, comme si les pétales d'une rose avaient recueilli la rosée du matin. C'était un spectacle dont je me serais bien passé, mais Axelle avait les yeux accrochés à ces perles. C'était comme si l'un de ces papiers de protection, ceux faits de petites bulles de plastique que les enfants aiment tant éclater, s'était déposé autour de nous pour protéger nos cœurs brisés. Pour les empêcher de perdre leurs morceaux au loin.
« Tourne toi vers le soleil et l'ombre sera derrière toi »
Mais lorsque le soleil se voile et disparaît derrière des nuages d'aveuglement, il devient difficile de savoir où aller. On a beau tourner et tourner encore, tout nous ramène à la pluie. Même une boussole perd le nord dans cette étendue de désespoir.
Je laisse brutalement tomber mon stylo et m'écroule contre le dossier de la chaise. Mes yeux me brûlent mais mon cœur s'est assoupit. Je ferme le cahier d'une main et le remet sous le matelas de l'autre. Tremblante, je me glisse sous la couette et ferme les yeux. Son visage m'apparait soudainement, comme sortit tout droit d'un cauchemar.
Je me relève violemment, retenant un cri d'effroi. Ses yeux, sa bouche, son souffle froid sur moi... Je respire difficilement. Le drap m'étouffe, les murs m'emprisonnent, ma cage thoracique me brûle. Je sursaute, tremble et trébuche de nombreuses fois avant d'atteindre la fenêtre. Lorsque, enfin, le vent se glisse dans la pièce, je reste immobile face à sa froideur réconfortante.
Sous mes yeux, les lampadaires de la ville forment un chemin ininterrompu de lumière, comme si les Hommes essayaient de guider leurs semblables à leur guise. Les arbres esseulés s'agitent sous l'air qui les fouette dans la nuit. Du haut de leur infinie obscurité, les étoiles observent les scènes de lenteur ignoble de ces êtres terrestres dont je fais partie.
Parfois je me dégoûte moi-même. Cette pollution, cette destruction, ces guerres, ces famines, ces injustices, ces faux combats, ces morts... plus que je ne pourrais jamais en citer. Et j'y suis pour quelque chose. Je ne fais rien, nous ne faisons rien. Pourtant il est possible, je le sens, il est possible de sauver cette Terre.
Je suis comme ça, à tout penser mais incapable d'agir. J'avais besoin de quelqu'un pour agir à ma place et sur ce point Loïc était parfait. Un peu trop. Je me suis laissé berner.
Une main s'agite près de ma fenêtre. Je plisse les yeux dans l'espoir de poser une identité sur l'ombre, en vain. L'inconnu me fait signe de le rejoindre et, hésitante, je fini par enjamber la fenêtre. Mes pantoufles écrasent l'herbe et je me retrouve en proie aux vents de la nuit. L'étau autour de mon cœur se resserre, je me force à avancer.
Parvenue face à la silhouette, je devine ses traits avec stupéfaction :
— Vous !
Olivier sourit sans se soucier de mon air accusateur.
— Moi.
— Pourquoi m'avez-vous fait venir ? demandé-je les dents serrées.
— Je ne sais pas.
Un soupir d'exaspération et de colère m'échappe. Avec toute la politesse qui me reste, je lui rétorque :
— Dans ce cas, vous comprendrez aisément que je préfère m'en retourner dans ma chambre.
Et je tourne les talons, offrant mon dos pour seul interlocuteur.
— Non.
Consternée par cette réponse, je m'arrête et lui lance un regard glacial.
— Comment ça non ?
— Non. Vous avez besoin de moi. Et j'ai besoin de vous Emma.
Je secoue la tête, prête à repartir dans mon lit. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'écouter ses paroles, comme envoutée par sa voix au goût d'étoile.
— Je sais que vous ne m'aimez pas. Et je sais aussi pourquoi. Je ne vous ferais pas l'affront de parler de votre mari, ou Loïc, j'ignore comment vous le nommez. Cependant, j'aimerais que vous m'écoutiez.
Il marque une pause.
— Je ne vais pas passer par quatre chemins, vous êtes le seul que j'ai choisi.
Je le coupe.
— Comment ça le seul ? Quels sont les trois autres ?
Son sourire satisfait me fait frissonner. On dirait que je viens de poser la question qu'il attendait.
— Léna. L'entrée de son chemin est bouchée par une voiture cabossée. Monique. La sienne l'est par une tombe. Hugo. Ses pas ont été brûlés il y a bien longtemps. Vous ne savez rien Emma. Vous n'avez aucune idée de l'identité réelle des gens que vous côtoyez. Si je vous ai choisie vous, c'est parce que vous avez décidé de rouvrir la porte de votre couloir.
Il s'avance lentement vers moi. Je reste tétanisée, glacée par ses paroles. Qu'a-t-il voulu dire ? J'ai soudain peur de comprendre.
— La vérité est une chose lourde à porter, mais je suis sûr que vous saurez l'accueillir convenablement Emma. Vous êtes forte. Bien plus que vous ne le croyez.
Tout à coup, son visage se détend et il semble redevenu l'homme calme du hall.
— Bon, revenons à nos étoiles. Je vais vous parler de ma fille. Je suis sûr que vous comprendrez pourquoi je vous demande ce service.
Il s'assoit dans l'herbe et me regarde. Comme si j'allais m'asseoir à côté de lui ! Il peut toujours rêver.
— L'herbe est confortable vous savez ?
— Continuez, lui ordonné-je.
— Bien. Il y a six ans de cela, ma femme tombait dans le coma. Je vous épargne les détails. Ma fille, Stella, persuadée que cela est ma faute, s'enfuit. Après quatre années de recherches épuisantes, je retrouve sa trace dans cette ville. Cela fait deux ans que je mets tout en œuvre pour l'approcher, mais elle ne cesse de m'échapper. Emma, j'ai besoin de votre aide pour retrouver ma fille.
Des frissons parcourent tout mon corps. Je ne sais pas si je dois le croire ou le prendre pour un dangereux psychopathe. Sérieusement, ce mec est complètement barjo !
Lorsque je sors de mes réflexions, il a disparu. Volatilisé. Comme engloutit par la nuit. L'esprit envahit par le sommeil, je retourne à ma fenêtre et m'enveloppe dans les draps. Cette fois, le marchand de sable m'emporte sans accroche. Mais, avant de laisser mes yeux se clore, je décide de croire Olivier. Je n'ai plus qu'à prier pour que ce ne soit pas la plus grosse erreur de ma vie.
~~~
Bonjour !
J'espère que votre weekend commence bien 🥳
Que pensez-vous d'Olivier ? Je ne sais pas vous, mais moi il commence à me faire peur ...
Et notre pauvre Emma... Elle me fait tant de peine 😭
J'espère que votre lecture vous plaît toujours 💕
Bonne journée 🌟🍀
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top