L'enfer brûle les cookies
Je joue sur mon mauvais caractère pour rassurer les autres, mais au fond de moi je suis terrifiée. Est-ce vraiment le début de la fin ? J'ai tant souhaité rejoindre Victor que désormais, alors que cette possibilité prend forme, je suis pétrifiée à cette idée. Et s'il n'y avait rien après la mort ? Si je me retrouvais coincée dans un couloir noir pendant des années face à mes pires cauchemars ?
Pourtant, je sais bien que ce ne sont pas ces hypothèses qui m'effraient le plus au fond. Ce dont j'ai peur, ce qui me réveille chaque nuit en sursaut, c'est l'idée que ma mort puisse faire du mal à quelqu'un. Je sais ce que le décès d'un être cher peut faire sur un être humain. Je sens encore les déchirures atroces de mon cœur ce matin-là et les larmes brûlantes, infinies, qui n'en finissaient plus de couler.
J'ai attendu pendant des heures, assise à son chevet, souhaitant simplement que la mort vienne me prendre moi aussi. Mais elle n'est jamais venue. J'ai dû me résoudre à appeler quelqu'un, une personne qui sache quoi faire, qui sache comment me réconforter et trouver les bons mots pour m'apaiser. C'est alors que je me suis rendu compte que cette seule personne était la même qui était étendue entre mes bras, froide et endormie à jamais.
Mes larmes ont redoublé d'intensité et je suis restée là presque toute la journée, le visage enfouit dans ses mains colorées par des taches de peinture désormais indélébiles. Le temps a passé depuis, mais le souvenir atroce du monde s'effondrant autour de moi, apocalypse solitaire, me hante encore.
Les regards braqués sur moi me font revenir à la réalité.
— Qu'est-ce que vous avez encore à me regarder comme des cookies mal cuits ?
Romain secoue la tête, visiblement désespéré par mon comportement enfantin et s'approche pour m'embrasser.
— Bonne nuit maman. N'embête pas trop tes amis hein !
Je bougonne pour la forme et le regarde s'éloigner, les larmes au bord du cœur. Léna se rapproche de moi et accroche mon regard.
— Alors, Monique, on va ruminer ses cookies loin des lucioles ce soir ?
— Je préfère être loin des lucioles que près des enfers.
Elle rit en réponse et s'assoit au bout du lit.
— On a quelques infos. Enfin... Hugo surtout. Il n'est pas si inutile que ça finalement, vous verrez.
— Je verrai oui, éludé-je d'un mouvement de main. Je jugerai ça moi-même.
Hugo et Emma se rapprochent, tandis que je me redresse pour focaliser mon attention sur leur récit. Léna se lance en premier et sa voix fluide conte à merveille les douces révélations de la journée :
— On a peut-être retrouvé Stella. Enfin Hugo. Vous savez qu'il a pris quelques jours de congé non ? Sa remplaçante s'appelle Stella. Il l'a croisé dans le train ce matin. Elle allait à Glynto, au centre d'étude du coma. Pour voir sa mère. C'est une drôle de coïncidence n'est-ce pas ?
Je hoche la tête, mettant en marche tous les rouages de mon esprit pour imaginer comment relier le père et sa fille.
— On va faire quoi maintenant ? demande Emma. Ne comptez surtout pas sur moi pour aller lui parler ! Il m'a fait assez peur comme ça...
— Je ne sais pas encore. J'y réfléchis, réponds Léna. Je crois que...
— Hop hop hop ! Tout le monde dehors ! Il est tard ! C'est l'heure de dormir pour tout le monde.
Une infirmière aux formes marquées et aux joues roses et gonflées fait irruption dans la pièce. Elle se précipite sur les rideaux qu'elle s'empresse de tirer et remet le lit à plat, je me retrouve à fixer le plafond.
— Eh ! Allez-y donc mollo. On ne vire pas les gens comme ça, surtout quand il vienne vous sortir de l'enfer, je grommèle.
— Les règles sont les règles ma p'tite dame. Qu'ils ne se retournent pas en sortant, ils risqueraient de vous perdre.
Léna lui sourit tendrement tandis qu'Hugo affiche une moue crispée. Emma exécute les ordres et commence à sortir.
— Bonne nuit Monique ! On vient vous sauver demain ne vous en faites pas !
— N'oubliez pas les gâteaux surtout.
L'infirmière, Lise d'après son badge, les pousse vers la sortie et appuie sur l'interrupteur pour me plonger dans le noir. Je n'y vois plus rien et cela commence à m'angoisser.
— A demain madame Monique ! Ne vous en faites pas pour les monstres, ils sont tous dans leur chambre à l'heure qu'il est.
Elle claque la porte une bonne fois pour toutes. Rassurante la sucette à la menthe.
J'espère que Victor m'a suivie. Est-ce qu'il sait où je suis ? Je m'en voudrais de l'avoir laissé à nouveau seul alors que nous venons de nous retrouver. Le noir m'engourdie, les draps trop fins me font frissonner. J'ai froid de peur, j'ai peur d'amour, j'ai amour de froid.
Mes pensées se glacent, le temps se fige doucement alors que mes paupières s'embrassent. Mon esprit se noie dans l'obscurité alors que les rêves-cauchemars commencent à affluer.
Les ombres se rassemblent, les arbres morts parsèment leur odeur brûlée dans la prairie. Je me frictionne les bras. J'ai froid, alors qu'il y a quelques heures à peine, les flammes me léchaient les pieds.
« Qu'allons-nous faire maintenant ? »
Une des ombres secoue la tête, la voix de mon père résonne :
« Il nous faut partir. Voilà tout.
— Partir ? Pour aller où ? J'ai mes amis ici, toute ma vie.
— Monique... Tout est parti en fumée. Tu le vois bien non ? Nous n'avons plus de champs, plus de bêtes, plus de maison. Le feu a tout prit.
— Non. Notre volonté est toujours là papa. Et puis, c'est Grégoire qui a allumé ce feu.»
Je soupire.
« Je ne peux pas partir. Victor m'attend. »
Son regard se jette sur moi, tandis qu'à nos côtés, ma mère en larmes s'accroche au bras de mon frère, comme si sa vie pouvait lui rendre la sienne.
« Ce garçon ne te rendra jamais heureuse. Jamais ! Tu m'entends ? Viens avec nous. Ta place est parmi nous, dans ta famille.
— Tu ne comprends donc pas ? Il me rend déjà heureuse. J'ai vingt-trois ans papa, j'ai une vie à mener. Je refuse de vous suivre. »
Je m'approche de ma mère et l'enlace en lui chuchotant des paroles rassurantes pour la détacher de mon frère. Ses larmes diminuent peu à peu alors que la colère envahie le visage de mon père.
« Tu veux rester là ? Très bien ! Considère-toi comme orpheline dès à présent. Tu ne veux pas quitter ce Victor ? Dis Adieu à ta famille. »
Il empoigne ma mère et la force à se relever violemment.
« Ton frère nous aurais suivi lui. Je crois que j'aurais préféré que tu meurs à sa place. »
Et aujourd'hui encore, alors que l'obscurité la plus froide m'enveloppe, je me demande si j'ai fait le bon choix. J'ai aimé Victor d'un amour inconditionnel jusqu'au bout, mais choisir entre l'amour et la famille n'est jamais un choix facile. Et les larmes en profitent bien souvent pour s'insinuer dans les interstices du doute.
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Bonjour les lucioles !
Désolée pour le retard de ce chapitre, j'espère que vous ne m'en voudrez pas 😥
Là, Monique s'est lâchée sur les révélations alors surtout, ne me dites pas que vous vous en fichez parce que c'est moi qui vais devoir m'occuper de la calmer après 😂
Je m'excuse aussi pour les commentaires auxquels je n'ai pas pu répondre, je n'ai pas trop la tête à ça en ce moment mais j'essaierai de m'en occuper !
Bonne semaine et bonne reprise à ceux qui ont cours 😘
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