En proie aux flammes du désespoir
Mes yeux ne cessent d’aller et venir entre Guillaume et Léna. La jalousie me heurte et me suit comme un boulet à mon pied. Je suis prisonnier de mes émotions. Je sais que je ne devrais pas l’aimer, que le moindre sentiment de ma part pourrait la détruire, mais mon cœur n’entend rien. Je ne suis qu’un bourreau achevant ses victimes par la force de la passion.
Bien sûr, cela fait trop peu de temps. Bien trop peu depuis ma rupture avec Anna… et pourtant son aura m’appelle. L’aura d’une âme réparatrice. Mon cœur se tord sans écouter ma raison qui lui cri d’arrêter d’y croire. Il continue d’hurler. Il cherche à tout prix un pansement pour arrêter le douloureux poison qui me tord les veines.
Comme des serpents sous ma peau, le chagrin, la jalousie, la honte et la peur s’insufflent dans tous mes muscles jusqu’à en forcer l’arrêt. Ils n’attendent que ça : me voir sombrer.
Et j’ai beau lutter, rien en moi ne sait faire barrage à ces sous-fifres de la dépression.
Mon cœur balance, mes pieds avancent, mon regard se fond dans l’obscurité. Mes pensées divaguent et font remonter à la surface des images englouties par le temps.
Les films déstructurés d’un enfant joyeux riant au vent se déplient sur l’interface de mes paupières plissées. La nuit attaque mon corps et le force à se détendre tout en l’inondant d’images refoulées.
C’est la silhouette d’un père disparu qui fait monter les larmes. De colère ou de tristesse ? Je ne sais plus. La vie a continué, je suis confus. Les bons souvenirs se mêlent aux années d’abandon, tandis que le présent me compresse un peu plus le cœur. Les voix de mes compagnons de marche me font revenir à la réalité :
— Comment tu vas faire pour rentrer alors ?
— Bonne question… J’ai eu la mauvaise idée de m’installer dans la ville à côté de celle où je travaille, maintenant je dois assumer mes boulettes, ricane Guillaume.
— Tu sais que si tu veux tu peux venir dormir chez moi ! Le canapé n’est pas des plus confortables mais c’est mieux que rien, lui affirme Léna.
Je tourne vivement ma tête dans leur direction et mon cou craque sous l’effort. Miss météo annonce un torticolis pour demain… Mon cœur s’affole.
Dormir ? Chez Léna ? Une goutte de sueur ruisselle sur mon front. Ce n’est rien… Rien qu’une petite soirée pyjama entre amis. Entre amis… Oui voilà. Rien de plus que de l’amitié. Mais déjà les doutes m’assaillent, renforcés par la suite de leur discussion :
— Ton canapé me connaît déjà bien assez, s’esclaffe Guillaume. J’ai passé tellement de nuits dessus…
— On avait besoin l’un de l’autre, mon canapé fut d’ailleurs ravi de t’accueillir et le sera encore, lui sourit-elle en réponse.
Il lui rend son sourire et passe son bras sous celui de Léna.
— Alors c’est parti pour une super soirée pyjama ! s’exclame-t-il.
Son hôte se met à pouffer en lui intimant de baisser le volume de sa voix et nous arrivons face à la route.
Je m’éloigne un peu d’eux tandis qu’ils traversent allègrement la chaussée et rejoins Monique. Elle est suivie de près par Emma et toute sa troupe à moitié endormie.
— Alors bourreau des cœurs ? On a peur de se faire voler sa petite amie par un chasseur de canards ? m'interroge Monique.
Ses interrogations peuvent sembler amicales mais son regard est provoquant. Je sers les dents.
— Ce n'est pas ma petite amie… J'en ai déjà eu une et les débris de mon cœur s'en souviennent encore. Et il est inutile de me rappeler cette situation honteuse.
— Peut-être, peut-être… mais tu sais, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Rien ne le décide. Ni le temps, ni les mots, ni l'argent. Ton cerveau a peut-être cet honneur mais ton cœur non, renchérit-elle en secouant la tête.
Ses yeux me transpercent dans l'espoir de me mettre à nu, mais elle effleure seulement ma carapace.
— Tu ne devrais pas lutter contre tes sentiments Hugo, termine-t-elle en s'éloignant.
Obnubilé par les paroles de ma voisine, je n'avais pas vu que nous avions traversé la route. Désormais face à l'immeuble, j'arrête mes pas. Olivier n'est pas là. Un soupire m'échappe. Je ne sais si c'est de soulagement ou de peur pour lui. J'ai beau ne pas réellement l'apprécier, je ne peux pas rester indifférent devant son malheur.
Mes yeux saisissent une chevelure grisâtre qui s'échappe dans le hall et je perds tout contact avec Monique. Je cours retenir la porte avant qu'elle ne se referme et attend Emma, en désespoir de cause.
— Alors Hugo, comment va ton égo après cet épisode tragique ?
— Vous semblez tous décidés à me le rappeler hein ? dis-je en soupirant.
Elle rit faiblement.
— On préfère toujours remontrer aux gens leurs bêtises plutôt que leurs bonnes actions, cela nous coûte bien moins cher.
Leur rappeler que nous leur sommes redevable mène à de trop grandes guerres.
J’acquiesce. Elle n’a pas tort. Je l’abandonne sur le pas de sa porte en lui souhaitant bonne nuit et monte lentement les marches jusqu’à mon appartement.
La clé produit un léger déclic en faisant sauter le verrou et je m’avance dans l’obscurité. Une odeur de vide me saisit. Ma cage thoracique se gonfle sur le tempo du réveil qui clignote. J’allume la lampe du salon et inspecte l’intérieur. Le décor est loin d’être enchanteur et je me rends compte à présent à quel point ma rupture a pesé sur moi pendant ces longues semaines.
Les murs mériteraient bien un petit coup de peinture et le mobilier une décoration plus personnelle. Monique a déjà accompli un certain miracle rien qu’en nettoyant mon bazar envahissant, à mon tour de me montrer à la hauteur de mes attentes.
Persuadé que je ne trouverai pas le sommeil de sitôt, je retrousse mes manches et m’essaie à une visualisation mentale de ce que pourrais devenir ce lieu. J’imagine des murs bleu décorés de tableaux en noir et blanc, avec des meubles beiges et… Non ! C’est vraiment moche !
— Mon talent pour les arts m’étonnera toujours… soupiré-je.
Je déambule entre les pièces, parlant à haute voix à un fantôme inexistant. L’ombre d’Anna semble me suivre partout. Je frissonne. Cette pensée me rappelle tant de choses que les bons et les mauvais moments se fondent en une mélasse malodorante qui m’emprisonne.
Je tente de me sortir la tête de ces sables mouvants du passé mais chaque mouvement m’enfonce un peu plus. Mes poumons se remplissent d’air impur qui me fait suffoquer. Je tremble de tout mon être et tombe lourdement sur le matelas de mon lit, le crâne entre les mains.
De la fumée passe sous la porte. La lumière éteinte, le seul éclat de jour qui me parvient est celui du feu de l’autre côté de cette prison. Je respire avec difficulté. La pièce dans laquelle je me trouve est fermée de tous les côtés. Une seule fenêtre pourrait m’offrir la liberté, mais elle est bien trop haute pour un enfant de dix ans.
Le feu se rapproche, des cris emplissent ma tête, bientôt remplacés par les paroles de mon père :
— Hugo. Ton épreuve est imminente.
Tiens-toi prêt, chaque faux pas peut te coûter la vie. Si tu réussis, tu pourras enfin faire partie de la famille. Sinon…
Ses yeux explorent le ciel nocturne.
— Je ne préfère pas te le dire. J’espère que tu réussiras fils.
Je le revois s’éloigner et ajouter dans un dernier regard :
— Mais rien n’est moins sûr…
Le feu qui commence à rentrer dans la pièce me ramène au présent. Affolé, je grimpe sur le plan de travail de la cuisine pour tenter d’attraper la poignée de la fenêtre. Peine perdue, il me manque encore vingt centimètres.
Une chaise restée en travers de la pièce attire mon attention. Je la tire et la monte sur mon perchoir. Je suis maintenant assez haut pour atteindre l’ouverture. Je frappe de toutes mes forces à la vitre et hurle pour demander de l’aide.
Une silhouette apparait, un pompier apparemment, il enfonce la fenêtre d’un coup d’épaule pour me porter secours. Je me penche pour attraper sa main, mais soudain sous moi tout s’effondre. Je tombe violemment à terre et perd connaissance.
Quelques minutes plus tard, je me réveille allongé sur une civière face à ma maison en flamme. Deux pompiers sont penchés au-dessus de moi.
— Enfin réveillé bonhomme ? Tu as fait une sacrée chute dis donc ! Tu risques d’avoir une belle cicatrice sur le côté du nez.
Il me sourit. Je reste de marbre.
— Où est ma mère ?
Les deux hommes se regardent sans rien dire.
— Où est ma mère ? je répète.
Le gentil pompier attrape ma main.
— Désolé bonhomme… On n’a rien pu faire.
On n’a pas pu la sauver. Elle est morte.
Ses paroles me glacent. Morte. Elle est morte. J’ai échoué. Je n’ai pas réussi à sauver ma mère. Je n’ai pas réussi l’épreuve. Je ne suis qu’un bon à rien. Les larmes roulent sur mes joues en torrent et une seule question me taraude : Sinon quoi papa ?
~~~
Bonjour petite Luciole !
Comment vas-tu ?
Qu'as-tu pensé de ce chapitre ?
Le petit Hugo fait peine à voir 😢
J'espère qu'en en apprenant plus sur son passé, vous parviendrait à apprécier un peu plus ce personnage 😊
N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire sur votre lecture, je ne mords pas 🌟
Bonne journée ❤️
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