Ce que la mer donne, elle le reprend toujours

Ça y est. J'ai comme l'impression que quelque chose se termine aujourd'hui. Une sorte de bulle qui vient d'éclater. Emma a retrouvé ses parents, Guillaume et Hugo se sont trouvés, et Léna... Je ne sais pas trop. Je crois qu'elle aussi a trouvé quelque chose. Et moi dans tout ça ? À vrai dire, je crois que moi aussi j'ai trouvé.

Les garçons se sont éloignés, sûrement pour aller s'embrasser. Heureusement qu'ils ont quitté mon champ de vision tient ! Léna court dans le sable avec les enfants, tâchant de les occuper pendant que leur mère renoue avec ses racines.

Moi ? Je les observe. De loin. Pour la première fois depuis des semaines, je me sens seule. Vraiment seule. La boucle serait-elle bouclée ? Le futur aurait-il enfin rejoint le passé ? Il est encore trop tôt pour le dire. J'ai l'impression qu'en ce moment tout me passe par-dessus.

Depuis ma nuit à l'hôpital, quelque chose me trouble. C'est comme si, cette fois, je n'avais plus rien à accomplir. Pourtant, je sais qu'il me reste une chose à faire. Après ça, je pourrais partir en paix.

— Léna !

Je me dirige à grands pas vers elle, sans cesser de hurler son nom. Elle finit par se retourner et laisse Rosie sous la surveillance d'Axelle. Arrivée à sa hauteur, je lui demande :

— Je peux t'emprunter ton téléphone ?

Surprise, elle réfléchit un instant avant de me le tendre.

— Vous savez vous en servir ? demande-t-elle.

— Je suis vieille, pas stupide.

Je n'attends pas de réponse de sa part et m'éloigne à nouveau. Ça, je dois le faire seule. J'appuie sur le bouton de marche et l'écran change de couleur. Il y a beaucoup trop d'applications, je mets donc un moment à trouver le téléphone. Quand j'y parviens enfin, je compose le numéro et porte le portable à mon oreille, le cœur battant. Après quelques sonneries, une voix retentie dans l'appareil, me faisant sursauter.

— Oui ? Qui est-ce ?

— C'est moi, je souffle.

— Maman ? Tout va bien ? Pourquoi ce n'est pas ton numéro ? Où es-tu ?

— Ça va, Romain. Calme toi. Je suis à la plage avec les Lucioles. J'ai pris le téléphone de Léna.

— Les Lucioles ?

— Je t'expliquerai plus tard, je soupire.

Je me mets à marcher lentement le long de l'eau. Pas trop près pour ne pas me faire arroser mais assez pour que le bruit des vagues m'apaise. Romain recommence à monopoliser la conversation par des question qui m'agacent. Je décide de le couper :

— Ecoute, Romain, dis-je sèchement. Je t'appelle pour une bonne raison. Laisse-moi parler. J'ai besoin de ton aide.

— Le contraire m'aurait étonné, raille-t-il. Appeler juste pour prendre des nouvelles tu ne sais pas faire, hein ?

— Je n'ai pas envie de me disputer avec toi aujourd'hui, dis-je. Tu veux bien m'écouter deux minutes ?

— Demain alors ? râle-t-il.

— VEUX-TU BIEN M'ECOUTER ? je hurle.

À l'autre bout du fil, je n'entends soudain plus rien.

— Romain ? je demande doucement.

— Je suis là.

— Désolée de m'être énervée.

Il élude mes excuses.

— Parle. Qu'est-ce que tu veux ?

— Que tu organises une réunion de famille. Ce weekend. Ta sœur, toi, les enfants... Et ceux que tu jugeras bon d'inviter. Je veux les voir une dernière fois, avant de partir.

Il ne répond rien. J'ignore si c'est la surprise qui étouffe sa voix ou bien autre chose.

— Partir ? demande-t-il finalement.

Je hausse les épaules, sachant pourtant pertinemment qu'il ne peut pas me voir.

— C'est de toi ?

— Je ne crois pas. Ton père l'utilisait souvent. Je ne sais pas vraiment d'où elle lui venait.

Je l'imagine hocher la tête. Le fait-il vraiment ?

— Bien, dit-il. Je m'en occupe. Je te rappelle pour te confirmer l'adresse et la date. Bonne journée, maman.

— Bonne journée, Romain...

Je n'ai pas terminé ma phrase que la communication est déjà coupée. Je soupire et laisse retomber mon bras le long de mon corps. Être aimable, c'est vraiment quelque chose que je ne sais pas faire, hein ?

Je fais demi-tour et me poste silencieusement devant Léna en tendant son portable dans ma main tremblante. Elle me fixe un instant avant de l'attraper sans rien dire. Je hoche la tête pour la remercier et m'enfuie sur les hauteurs de la plage.

Postée sur une légère dune de sable, je jette un coup d'œil circulaire sur l'ensemble du rivage. Les silhouettes de Léna et des enfants s'agitent en contre-bas, tranchant vivement avec le sable clair.

Plus loin, deux ombres se tiennent debout sur le sable, main dans la main. Hugo et Guillaume probablement. Puis de l'autre côté, trois autres personnes disparaissent vers l'horizon. Emma et ses parents, sans doute.

Je plonge mes mains dans les morceaux de coquillages. Victor m'avait raconté que le sable n'était en fait que le résultat de la lente dégradation des coquillages par l'action de la mer. J'avais alors songé que c'était comme notre cœur, qui se détruit un peu plus à chaque vague de sentiments.

Je me sens comme un grain de sable aujourd'hui. Mon cœur trop longtemps au bord des vagues a fini par se transformer tout simplement. « Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme » disait Antoine Lavoisier. Au fond, il a toujours eu raison.

Aucune vie ne se perd, aucune ne se créée, chacune se transforme lentement en poussière. Jusqu'au jour où cette poussière s'envole vers le ciel et se transforme en étoile. Puis, dès l'instant où elle cesse de briller, elle redescend sur Terre pour prendre une nouvelle forme. Cependant, il arrive qu'on ne l'oublie pas encore et qu'on la croit toujours en train de briller. C'est la lumière des cœurs encore en vie qui l'éclaire.

Je relève les yeux. Le soleil encore haut dans le ciel à notre arrivée est doucement tombé et tend les bras pour embrasser l'océan. À la manière d'un enfant qui n'attendrai que le baiser de sa mère pour s'endormir.

Je me redresse et essuie mes lunettes pleines de sel marin avant de les reposer sur mon nez. Lorsque je vois à nouveau correctement, Victor se tient devant moi. Je sursaute.

— Qu'est-ce que tu fais là ? je demande.

Il embrasse mon front et s'assoit à côté de moi.

— Je viens te tenir compagnie. Tu as l'air seule aujourd'hui.

— Je ne suis jamais seule, tu es toujours là.

Un sourire relève ses lèvres, dévoilant de petites rides sur ses joues.

— Tu sais bien que je n'aie pas toujours été là.

— Toujours quand j'en ai eu besoin en tout cas.

— En es-tu certaine ? interroge-t-il.

Une image effleure mon esprit. Je frissonne. Ce souvenir, je croyais l'avoir enterré pour toujours. Victor doit percevoir mon trouble, car il ajoute :

— Tu l'as perdu à cause de moi...

Son sourire a disparu, ne reste plus que le regret dans son regard. Je tends la main vers son bras mais il recule vivement. Un étrange poignard se plante dans mon ventre.

— Ce n'était pas ta faute, je chuchote.

— Si. Ça l'a toujours été. Je n'ai pas su te protéger.

— Tu n'as rien à te reprocher. Cet enfant était le mien aussi. C'était à moi de m'assurer qu'il ne lui arrive rien. Et pourtant... C'est moi qui l'ai tué au fond.

Nous secouons la tête tous les deux.

— J'ai toujours espéré la rencontrer, souffle-t-il. Là-haut, tu sais. Je me suis dit que te quitter serait moins triste avec l'idée de la retrouver quelque part, après.

J'esquisse un faible sourire. J'y avais souvent pensé moi-même, les semaines et les mois suivants sa perte. Partir. La retrouver. Tout paraissait si simple ainsi. Et pourtant... Mourir n'est jamais aussi simple qu'il y paraît.

— Tu t'es déjà demandé ce que les enfants auraient pensé s'ils l'avaient su ? Et ce qu'ils penseraient s'ils l'apprenaient maintenant ?

Il inspire profondément et se tourne vers moi :

— Je crois que ce secret-là, il nous faudra l'emporter dans la tombe. Pour leur bien.

C'est là que je me rends compte. C'est à cet instant même que je comprends.

— Victor, dis-je. Tu l'as déjà emporté, toi.

— Oui, sourit-il. Oui, moi je l'ai déjà emporté. Mais toi tu es toujours là.

Je hoche la tête. Je suis toujours là, c'est vrai. Mais pas pour longtemps encore. Le visage de Victor s'enfuit soudain, léger coquillage retombant dans le sable, remplacé par une silhouette moins familière.

— Monique ? m'interpelle Léna. Vous venez vous joindre à nous ?

Je souris et me relève tant bien que mal.

— Avec plaisir, réponds-je.

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Bonsoir ✨

J'espère que votre semaine s'est bien passée et que ce chapitre a pu vous divertir un moment 🥰

N'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, comme toujours 🌟

En vous souhaitant une bonne journée 😘

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