S'il fait trop noir, appuie sur l'interrupteur
— Léna ?
Je rouvre les yeux.
— Vous allez bien ?
Je relève la tête et prend appui sur mes coudes.
— Oui.
Le visage du Docteur Dyaknaustik esquisse une moue peu convaincue. Il s'assoit finalement à côté de moi.
— Comment se passe la chimiothérapie ?
Je hausse les épaules, ne répond pas vraiment.
— Vous n'y allez pas, c'est ça ?
— J'ai du mal. Vous savez que je ne suis pas du genre
à baisser les bras, mais ça me fait peur tout ça. Ne plus être en possession de tous mes moyens, moi qui suis du genre active... Je n'arrête pas de m'imaginer les pires scénarios. J'ai l'impression de ne pas avoir assez profité de la vie, vous voyez ? J'aimerais le faire avant que la chimio ne me la vole.
Il hoche vaguement la tête.
— Je ne suis pas certain que ce soient les paroles
qu'un médecin devrait tenir, mais je crois qu'un traitement est moins utile qu'une bonne santé mentale. Je n'ai qu'une chose à vous dire, Léna : Faites ce que vous avez à faire. Le jour où vous comprendrez l'importance de votre traitement, vous le prendrez de votre plein gré. Et il sera bien plus efficace que si vous le preniez maintenant.
— Merci docteur, sourie-je.
— Avec plaisir, Léna.
Il se lève et essuie son manteau.
— Prenez soin de vous.
— Je n'y manquerai pas.
Il se détourne et repart comme il est venu. Je souris un instant et me lève à mon tour avant de me diriger vers l'immeuble. La poignée froide de la porte d'entrée m'arrête dans mon mouvement. Et si je faisais tout ça pour rien ? Et si, au fond, rien de tout cela n'importait à personne ?
Je secoue la tête. Peu importe, il y a des choses à faire et je me suis engagée à y prendre part. Reculer reviendrai à me trahir moi-même. À trahir Jeanne.
Je tire finalement la porte et monte les escaliers en silence. Au moment de mettre la clé dans la serrure, j'hésite à nouveau. N'avaient-ils pas dit qu'ils attendaient de mes nouvelles chez Emma ? Je me trompe probablement. Je leur enverrai un message, cela devrait amplement suffire.
L'appartement est plongé dans le noir. Je passe dans le couloir sans un bruit, m'arrêtant seulement à hauteur du bureau en entendant la respiration endormie de Monique. Le poids sur mes épaules s'allège un peu, je me redresse doucement. En voilà au moins une qui ne laisse personne briser ses habitudes.
J'attrape mon téléphone sur la table et me faufile dans la salle de bain. Pendant que je me lave les dents, j'envoie un court message à Emma, Hugo et Guillaume : « Bien rentrée. Je vous raconte tout demain. Bonne soirée, ne veillez pas trop tard. ». L'horloge numérique indique vingt-deux trente passées. Je me change et étouffe un bâillement. Tant pis pour mon retard, j'espère qu'il n'aura inquiété personne plus que nécessaire.
Au moment de me glisser dans mon lit, une dizaine de minutes plus tard, je vérifie mes messages. Aucune réponse. Un soupir m'échappe. Mon sort n'inquiète-il donc personne sur cette Terre ?
*
Il est huit heures quand j'émerge enfin. J'ouvre les volets pour découvrir Sperona sous la pluie. Je souris. Le bruit des gouttes sur la vitre me rend heureuse, la couleur du ciel fait briller mes yeux d'excitation. J'aime la pluie pour ses sons, ses odeurs, mais surtout son ambiance. Pourquoi tant de gens s'entêtent-ils à la dénigrer ?
Je me glisse dans la cuisine et prend un verre de jus de pomme en avalant rapidement un yaourt aux fruits. Dans le salon, j'attrape ma veste et un parapluie décoré de planètes, puis enfile rapidement des bottines imperméables. Je me relève devant la porte d'entrée et hésite. Après quelques secondes de réflexion, je retourne dans ma chambre et attrape mon téléphone. Toujours pas de réponse. Mon sourire s'estompe, je glisse le portable dans ma poche.
J'entrouvre doucement la porte du bureau, mais tout y est encore sombre. Je repars dans le salon et laisse un mot à Monique pour ne pas l'inquiéter. Elle devra trouver à s'occuper toute seule aujourd'hui.
Je dévale les marches deux à deux et déboule sous la pluie, tout sourire. Je reste un instant à savourer les gouttes d'eau qui se déposent sur mon visage avant de me décider à ouvrir mon parapluie.
Mes pas me mènent mécaniquement à la bibliothèque. J'ai vraiment envie de pousser la porte et d'entendre à nouveau la petite clochette tinter pour annoncer mon arrivée, mais j'ai promis à Olivier de lui amener sa fille. Avec un nouveau soupir, je retourne sur mes pas et me dirige cette fois vers le glacier.
Parvenue à destination, j'attrape la poignée, referme mon parapluie et entre enfin.
— Bonjour !
Un certain soulagement m'étreint quand je découvre Stella derrière le comptoir. J'avais peur qu'elle ne soit en congé aujourd'hui. Pourtant, ce sentiment est rapidement remplacé par une angoisse croissante. Je m'approche du comptoir et me hisse sur un des sièges.
— Bonjour. Stella, c'est ça ?
Je sais pertinemment que son nom est très visiblement écrit sur son uniforme de travail, mais je ne peux me résoudre à l'aborder trop abruptement.
— Oui, sourit-elle. Vous étiez là hier non ? Avec une vieille dame.
Je souris à mon tour.
— Evitez de dire ça devant elle, mais oui.
Elle se met à rire doucement avant de reprendre le sérieux que son rôle exige, puis jette un coup d'œil à travers les grandes fenêtres.
— Vous êtes bien courageuse de venir par ce temps, dit-elle. Je vous sers quelque chose ?
— Ce n'est qu'une légère pluie, rien qui n'empêche de vivre correctement.
— C'est vrai.
Je ne réponds rien. Je sais que je devrais, mais j'ai peur de ne pas trouver les bons mots. Je ne connais rien d'elle, peut-être que le retour abrupt de son père va lui faire plus de mal qu'autre chose. Nous nous toisons quelques minutes avant que je n'ose reprendre la parole.
— À vrai dire, je ne suis pas venu ici pour vos glaces. Mais pour vous.
Un éclair de peur traverse ses yeux. Je continue sur ma lancée :
— Je sais que tout cela va vous paraître étrange et probablement très effrayant, mais je vous promets que je ne vous veux aucun mal. Je veux seulement que vous m'écoutiez. D'accord ?
Elle hoche la tête, raide comme un piquet et sûrement déjà prête à hurler à l'aide.
— Je m'appelle Léna, je vis dans l'immeuble des Lucioles de l'autre côté du parc. J'ignore si vous le savez, mais il appartient à un certain Olivier Dhervillers.
Je vois son corps se raidir encore plus à l'entente de ce nom, mais je ne m'arrête pas.
— Pendant un temps, il nous a fait croire, à mes amis et moi, être un sans domicile fixe cherchant refuge auprès de la chaleur du bâtiment. Comme nous le savons maintenant, tout ça n'était qu'un tissu de mensonge.
Elle s'assoit, visiblement troublée, mais intéressée ; puisqu'elle n'a pas encore fui. Je reprends mon souffle, rassurée de la voir réagir. Cette fois, je suis certaine que c'est bien la personne que nous cherchons.
— La vérité, c'est qu'il avait besoin de nous pour retrouver quelqu'un. Sa fille.
Je crois voir Stella frissonner, mais je me concentre sur mes paroles. Consciente que si je m'arrête là, je ne finirai jamais mon récit.
— Et nous avons fini par la retrouver. N'est-ce pas ?
Je m'adresse cette fois-ci directement à elle, vrillant mes yeux dans les siens. Pour autant, je ne lui laisse pas le temps de répondre.
— C'est Hugo le premier qui vous a repéré. Ici, d'abord, puis dans le train ensuite. Quand vous alliez voir votre mère. Trop grosse coïncidence pour n'en être qu'une. Alors nous avons continué à glaner quelques infos et maintenant je me décide à venir vous trouver. Parce qu'hier, je suis allée confronter votre père et qu'il veut vous rencontrer. Aujourd'hui, à midi, devant l'immeuble.
Je me lève, réajuste ma veste.
— Il vous revient désormais de choisir si vous voulez revoir votre père ou non. Si oui, vous savez où le trouver. Pour ma part, j'ai fait ce que j'avais à faire. D'ailleurs, je préfèrerai ne pas devoir à nouveau lui faire face. Bonne journée, Stella. J'espère que vous ferez le bon choix.
Je sors du magasin et elle me regarde m'éloigner silencieusement. J'ignore encore si je vais devoir regretter ce que je viens de faire, mais pour l'instant je me concentre sur l'idée que j'ai fait mon devoir. J'ai rempli ma part du contrat, à voir désormais si l'expression de surprise et de colère sur le visage de Stella n'amènera pas de nouveaux orages jusqu'à moi.
Lorsque je me sais assez loin du glacier pour ne plus être vu de Stella, je me laisse tomber contre le mur et m'autorise enfin à respirer. Reste à savoir comment je vais survivre à la fin de cette journée avec cette boule d'angoisse coincée dans la gorge.
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Bonjour les Lucioles ❤️
J'espère que vous allez bien !
Comment avez-vous trouvé ce chapitre ?
Je vous souhaite une bonne semaine ❤️
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