Quatre étoiles alignées pour l'éternité
Je détache mes yeux de ceux de Léna après ce qui m'a semblé des heures. Une étrange force me comprime la poitrine. Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais cette compression n'est pas désagréable. Au contraire, j'ai l'impression qu'un nouvel élément a enfin trouvé sa place en moi.
Je jette un coup d'œil sur la montre de mon père, puis regarde Guillaume dont les yeux étaient déjà posés sur moi. Je prends une longue inspiration et détache la montre de mon poignet avant de la poser au centre de la table.
— C'est fini, dis-je. Je crois que cette fois, je suis prêt à laisser tomber. À le laisser tomber. Il en assez fait. Il n'a plus sa place dans ma vie, désormais.
Guillaume prend ma main et la serre dans les siennes.
— Je t'aime, écrivent ses lèvres.
— Moi aussi, répondent les miennes.
Et nos sourires viennent conclure nos pensées.
Mon père a perdu sa place à mes côtés depuis longtemps, je le sais depuis toujours. Et pourtant, il m'a fallu presque vingt ans pour me détacher de lui.
Nous décidons enfin de déguster nos glaces ; mais au bout de quelques minutes, le silence se fraie une place entre nous et le regard de Léna se perd dans le lointain.
Le calme ambiant installe peu à peu un léger poids sur mes épaules. Et si tout était fini, me dis-je ? Si tout ce que nous avons construit s'était soudainement arrêté avec la mort de Monique ?
Elle me manque plus que je ne pourrais jamais l'avouer. Son départ de nos vies a ébranlé sauvagement toutes les lucioles et même si je devrais me réjouir de ne plus être la cible de ses moqueries, celles-ci commencent à me manquer.
Je croise le regard de Guillaume et la même crainte traverse ses yeux. Il était moins proche de Monique que Léna, Emma ou moi, mais il s'était tout de même beaucoup attaché à elle.
Décidé à briser ce silence de plus en plus pesant, j'ouvre la bouche, mais Léna me vole la parole :
— On devrait y retourner.
— Où ça ? l'interroge Emma.
— À la plage.
Un frémissement parcourt notre petit groupe. Pour nous tous, cette plage représente la fin de tout. La fin de nous, en quelque sorte. Y retourner... J'ai l'impression que ce serait comme prendre le risque de perdre l'un de nous encore une fois.
Léna secoue la tête, mettant fin à nos protestations intérieures.
— On n'a pas cessé de s'éviter depuis la mort de Monique. Quelque chose s'est brisé entre nous et nul ne peut le nier. Mais, ce n'est pas en s'esquivant sans cesse et en esquivant ce qui s'est passé que tout va rentrer dans l'ordre. Le déni n'a jamais ressuscité personne.
Guillaume est le premier à hocher la tête.
— D'accord.
Sa réponse me fait sursauter. Il pose une main affectueuse sur mon bras.
— D'accord, répète-il. On va y aller. Monique a droit à un hommage digne de celle qu'elle était. C'est-à-dire plus qu'un simple enterrement.
Il s'assure que nous l'écoutons tous avant de conclure :
— Monique était lumineuse, et mine de rien elle ne nous a jamais abandonnés. Elle était peut-être désagréable, mais elle n'aurait jamais laissé tomber un seul d'entre nous. Elle mérite un adieu digne de ce nom !
Un doux sourire éclaire le visage de Léna.
— C'est exactement ça, dit-elle.
Emma et moi hochons la tête de concert, résolus à les suivre.
— Ils organisent un feu d'artifice sur cette même plage ce soir. Je crois que ce serait l'occasion de lui rendre hommage en beauté, sourit Léna.
Je lui souris en retour et lève ma cuillère au centre de la table.
— À Monique !
— Et aux Lucioles ! crient en cœur mes compagnons en suivant mon geste.
Puis nous finissons de déguster nos glaces.
*
Dix-neuf heures avait dit Léna. À dix-neuf heures et une minute je suis au point de rendez-vous... Et visiblement en retard.
Mes trois amis patientent dans la voiture de Léna. Au volant, celle-ci me fait signe de m'asseoir derrière, à côté de Guillaume. Emma a déjà pris la place du passager et semble s'impatienter :
— Bon, quand est-ce qu'on y va ?
Je boucle ma ceinture et déclare :
— Maintenant !
Léna met le moteur en route et enfonce la pédale d'accélérateur. Nous voilà partis, une seconde fois, dans la même direction, et pourtant tout semble avoir changé.
Au bout d'une demi-heure, Guillaume se redresse, semblant se souvenir brutalement de quelque chose, et interpelle Emma :
— Eh ! Emma, tu ne cherchais pas un nouveau boulot ?
Elle se tourne vers lui, interloquée :
— Si, pourquoi ?
— On vous a dit qu'avec Hugo on allait ouvrir un bar à glaces. Ça veut dire que moi aussi, je vais démissionner.
Emma met un moment à assimiler ces informations. Au bout d'un temps qui me semble infini, elle demande :
— Tu m'offres ta place ?
Guillaume hoche la tête.
— Les horaires sont moins extrêmes et puis c'est sûrement mieux payé. En plus, tu connais déjà le docteur. Je sais que tu n'auras aucun mal à me remplacer.
Un léger sourire relève les lèvres d'Emma.
— Merci, murmure-t-elle.
Guillaume hoche la tête, comme si tout était normal. Ce qui l'est, au fond. C'est simplement que tout autour de nous semble tellement changer que tout me paraît être emporté dans ce tourbillon. Et à chaque instant, je manque de me faire emporter à mon tour.
Guillaume et moi allons emménager ensemble, je vais quitter l'immeuble des Lucioles et nous avons trouvé un local pour notre futur commerce. Ça nous le savons déjà, mais elles pas. Et j'ai l'impression de leur cacher le secret le plus gros de ma vie, surtout à Léna.
Pourtant, il faut attendre, pour ne pas leur faire de fausse joie. Tout n'est pas encore décidé. Tout va trop vite. Parfois, j'aimerais avoir un bouton pause sur lequel appuyer. Mais c'est impossible, alors je me contente de me laisser emporter par le courant, au risque de me noyer.
Il ne reste qu'à espérer que les vagues du destin me mènent au bon endroit, car j'ai cessé de me battre contre la marée depuis longtemps.
Lorsque je sors de mes pensées, Léna s'est garée à la même place que le dernière fois et Guillaume me tend la main à travers la portière ouverte.
— Tu viens ?
Je hoche la tête, attrape sa main et m'extirpe de la voiture. Un éclat de vent me cueille au dehors. Il a le même goût que la première fois.
La nuit est tombée, lentement mais sûrement. Sur la plage en contre-bas, des groupes de personnes dansent autour des braseros allumés pour l'occasion. J'ignore ce qu'ils fêtent à cette période, mais à vrai dire je m'en fiche un peu. Tout est si beau que l'envie de questionner le monde entier s'échappe de mon esprit.
Ce qui n'est pas le cas pour Léna :
— Au fait, Hugo. Comment se porte ta grand-mère ?
Je hausse les épaules.
— Aussi bien que d'habitude. Elle regrette un peu de ne pas avoir pu rencontrer Monique, mais elle est heureuse que j'ai rencontré Guillaume.
— Oh ! s'exclame-t-elle. Tu les as présentés ?
— Oui. Ils se sont tout de suite bien entendu.
Léna sourit.
— Ça ne m'étonne pas, déclare-t-elle.
Je hoche la tête.
— Moi non plus, dis-je. Pas plus que le fait qu'elle ait refusé de venir vivre avec nous. « Je ne veux pas vous embêter » a-t-elle.
Léna se met à rire, doucement d'abord, puis plus fort. Je l'interroge du regard.
— C'est juste que... J'ai pensé que Monique aurait réagi de la même façon. Mais avec une excuse moins poétique.
Je l'invite à poursuivre et à m'exposer le fond de ses pensées.
— Elle t'aurait répondu sans hésiter « Non merci, je ne veux pas vous entendre faire l'amour toute la journée ».
J'explose de rire à mon tour. Monique aurait tout à fait été capable de répondre ça. Et elle n'aurait pas eu tort.
Emma et Guillaume viennent nous couper dans notre discussion :
— Vous venez ? Il y a des tas de délicieuses choses à manger sur la plage !
Echangeant un dernier sourire, Léna et moi les suivons en silence.
Nos repas à la main, après presque deux heures de déambulation au milieu des petits restaurateurs, nous nous installons sur la plage. Côte à côte, tels quatre étoiles alignées pour l'éternité
Soudain, Léna se met à fredonner, puis peu à peu, nous la reprenons et suivons son rythme :
En hommage à Monique, et à tous ceux qui sont là
En hommage aux étoiles et à tout ce qui s'en va.
Je voulais voir le monde, toi tu m'as montré la vie,
Maintenant pour rien au monde je ne briserai l'harmonie.
Alors, sous les feux d'artifices qui débutent, nous commençons à chanter cet hymne à l'amitié. Mais aussi à Monique, aux étoiles, au destin et à tout ce qui nous lie.
Au début les gens nous regardent avec amusement, puis ils commencent à taper dans leurs mains en rythme pour nous accompagner. Alors, on se met à chanter plus fort, tous ensemble.
Et lorsque le bouquet final explose dans le ciel, Guillaume et moi levons les yeux vers les étoiles et décidons d'appeler notre bar glacé « Le St' Harmonique ».
En hommage à Monique, aux étoiles et à l'harmonie qui nous lie.
~~~
Ça y est.
C'est le dernier chapitre officiel 😭
L'épilogue arrive la semaine prochaine et cette aventure prendra fin 🥺
Qu'en avez-vous pensé ?
À samedi prochain ❤️
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