60...
Neuf heures cinquante-neuf. Il ne reste que soixante secondes.
Six mois que tu es là et tout ne se joue plus qu'à une petite minute, comme si le temps se moquait de toi, de nous. Oui, il a l'air de bien s'amuser à s'étendre et se raccourcir à sa guise, créant des espoirs pour mieux les réduire en cendres l'instant d'après.
Le médecin entre dans la petite chambre où tu reposes sereinement, il tend une feuille à nos parents en prononçant des mots que je n'entends pas. Ou que je ne veux pas entendre. L'infirmière qui le suivait s'avance vers le lit mais je saisis son poignet avant qu'elle ne puisse te toucher.
<Il n'est pas dix heures.>
Dans ses yeux, il n'y a que de la pitié. J'ai envie de lui renvoyer dans la figure, de lui faire ravaler ses yeux qui ne me renvoient que ma propre douleur. Pourquoi me regarde-t-elle de la sorte? C'est à cause de ma voix bien plus rauque qu'à son habitude? Où à cause de son tremblement incontrôlé?
Quoi? Je n'ai pas le droit de croire que tu vas ouvrir tes beaux yeux marrons en amande, qu'ils vont s'éclairer de cette lueur dorée que j'aime tant, que ton sourire va remonter jusqu'à eux pour orner tes joues rebondies? Je n'ai pas le droit d'imaginer que tu vas te lever, me prendre dans tes bras, me dire que tout ça n'était qu'une mauvaise blague? Je n'ai pas le droit de penser que tu pourrais être de retour avec nous?
Mes jambes s'entrechoquent dans un rythme rapide alors que j'imagine à nouveau ta peau reprendre sa couleur rosée, vidée de tous ces hématomes violacées, de toutes ces cicatrices rougeâtres qui barrent ton visage et tes bras. La bile monte dans ma gorge, brûlant mon œsophage et mon pharynx, jusqu'à donner ce goût si âcre dans ma bouche.
Réveille-toi. Je t'en prie réveille-toi... Nos yeux sont fixés sur ton corps inerte qui repose dans cette chambre d'hôpital depuis trop de temps. D'ailleurs si tu étais consciente, tu partirais rapidement, tout est si blanc, si impersonnel. Et l'odeur de désinfectant est si forte qu'elle t'oblige à respirer par la bouche. Oui, tu dois détester être allongée sur ce matelas où tes membres s'enfoncent, toi qui n'as jamais supporté de dormir ailleurs que sur des surfaces dures. C'est ton petit côté rebelle et maman le sait, elle ne t'en veut pas malgré ce qu'elle a pu te dire. Elle s'inquiète juste pour ta santé, c'est pour ça qu'elle aussi veut que tu te réveilles.
D'ailleurs si tu la voyais, elle tente de rester forte mais elle est appuyée sur le torse de papa, qui lui même sans le soutien du mur s'écroulerait sûrement. Je ne les ai jamais vu aussi proches, aussi soudés. Dommage qu'il ai fallu attendre qu'un de leurs enfants soit dans le coma pour qu'ils réalisent qu'ils s'aiment toujours. Tu ne dois pas vraiment apprécier les voir se serrer l'un contre l'autre alors qu'on sait toutes les deux que ce n'est qu'une façade et qu'aussitôt rentré les cris fuseront, les larmes perleront et ce cercle vicieux reprendra comme s'il n'avait jamais cessé.
Cinquante secondes.
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