Chapitre 7
Je devenais paranoïaque. Le moindre geste, le moindre regard de Regulus déclenchait une avalanche de questions en moi. Que s'était-il passé ? Qu'avait-il bien pu arriver pour que Sirius, puis Remus, me mettent en garde contre mon meilleur ami ? Plus je retournais les paroles des deux Maraudeurs dans mon esprit, plus l'évidence s'imposait. Et je ne pouvais y croire.
Regulus Black ne pouvait avoir rejoint les rangs de Celui-Dont-On-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Contrairement à ce que pensait l'aîné Black, Regulus n'était pas comme Rabastan Lestrange. Je connaissais Regulus. Je pouvais prévoir la moindre de ses réactions, je savais quels sujets éviter. Je savais qu'il fronçait légèrement le nez quand il bûchait sur un devoir et la façon impertinente dont il haussait un sourcil quand je lui lançais des piques. Je savais qu'il vouait un culte au nougat de Honeydukes et qu'il ne supportait pas les boutons de chemise. Je savais qu'il ne se sentait jamais aussi libre que sur un balai et qu'il déplorait le fait que sa salle commune soit enterrée sous le lac. Je le saurais aussi s'il était bel et bien devenu un mangemort. Je l'aurais senti venir. Et pourtant... Et pourtant. Si je pouvais passer outre les mots de Sirius, ce n'était pas le cas de Remus. J'avais confiance en lui et jamais le jeune Lupin ne s'amuserait à se jouer de moi de cette façon.
Je savais que j'aurais dû en parler directement avec Regulus. Crever l'abcès qui commençait à gonfler un peu trop. Il n'était pas stupide, il savait que quelque chose me tracassait. Mais j'étais lâche et je n'osais pas aborder le sujet avec lui. Il ne le faisait pas non plus. Nous continuions d'agir comme si de rien n'était.
– Comment fais-tu pour réussir à suivre ce cours ?
Je souriais en coin à son chuchotement, mais n'arrêtais pas de prendre des notes au rythme de la voix monocorde du professeur.
– J'ai été élevé par une historienne, tu te souviens ?
Grandir sous l'influence de l'autrice de l'Histoire de la Magie présentait beaucoup d'avantages, notamment celui de ne pas être assommé comme tous mes camarades pendant les cours du professeur Binns. J'étais l'une des rares élèves à être immunisée contre son discours soporifique et curieusement, à continuer à être intéressée par cette matière. Je relevais la tête un instant pour sourire avec amusement à Regulus, qui lâchait un long et déchirant soupir de désespoir. Alors que j'allais retourner à mon parchemin, je remarquais sa main grattant distraitement son avant-bras gauche. Ce n'était pas la première fois que je le voyais faire ça. Mais là, un frisson désagréable dévalait ma colonne vertébrale pendant que j'essayais vainement de reprendre le cours de mes notes.
– Non, sérieusement, tu dois avoir un don. Personne n'arrive à rester éveillé plus de dix minutes dans ce cours, sauf toi, reprenait Regulus.
Je parvenais à esquisser un nouveau sourire, tout en constatant qu'il se grattait à nouveau l'avant-bras. Maintenant que je m'en étais pleinement aperçue, j'avais l'impression de le voir faire toutes les trente secondes. Lui ne semblait même pas se rendre compte de la répétition du geste. Du pur automatisme.
– Une explication à ce phénomène incroyable ?
– Mon talent sans limite ? proposais-je malicieusement.
– Ah, Ayden Grindelwald... Tu es trop prévisible.
Lui aussi me connaissait. Il savait ce que j'allais lui répliquer du tac au tac. Il était devenu le frère que j'avais toujours rêvé d'avoir.
Nous nous dirigions à présent vers le parc, le cours commun d'Histoire de la Magie étant le dernier de la journée. Le soleil resplendissait et il aurait été injuste de ne pas lui rendre grâce en allant nous prélasser dans l'herbe. Nous n'étions d'ailleurs pas les seuls à avoir eu cette idée. Exceptés les cinquièmes et septièmes années, beaucoup d'élèves se trouvaient déjà au bord du lac. Je desserrais de mon cou la cravate aux couleurs de Serdaigle pour l'abandonner près de moi une fois installée sous un arbre. Les jambes allongées devant moi, je me délectais doucement de la sérénité qui m'envahissait. Comment continuer à m'inquiéter ainsi bercée par les rayons du soleil, face au paysage qu'offrait le château ? Poudlard représentait un havre de paix, une réalité parallèle au monde qui sombrait dans le chaos. Notre sixième année allait bientôt s'achever, nous n'avions plus qu'un an pour profiter de la protection que nous garantissait l'école de sorcellerie. Une fois nos études terminées, qui sait ce qui allait nous arriver.
Mon regard tombait sur un garçon à l'allure maussade. Ses cheveux noirs et gras lui tombaient sur le front. Il gardait les yeux fixés au sol tandis qu'il traversait le parc, sa cape de sorcier tourbillonnant à chacun de ses pas lui procurant l'allure d'une chauve-souris.
– Il est vraiment lugubre... commentais-je.
Allongé sur la pelouse, une main sous son crâne, Regulus ouvrait un œil paresseux pour regarder à son tour Severus Rogue. Il haussait les épaules avec dédain avant de refermer les yeux.
– Il n'a rien de très intéressant.
Severus n'était pas un élève particulièrement apprécié, même chez les Serpentard. Déjà solitaire, cela ne s'était pas arrangé depuis que Lily avait mis fin à leur amitié. J'avais toujours eu du mal à le cerner et je n'avais jamais vraiment compris comment Lily avait pu être son amie aussi longtemps. Autant qu'elle ne comprenait pas ce qui me liait à Regulus.
– T'as pas chaud ? lançais-je pour changer de conversation.
Il gardait résolument les manches de sa chemise baissées, comme si la chaleur de l'été ne l'atteignait pas. Nouveau haussement d'épaules.
– Non, il fait bon.
Un désir impérieux de relever le tissu sur ses avant-bras s'emparait de moi. Je me giflais mentalement. Qu'est-ce que j'espérais voir, ou ne pas voir, en dévoilant sa peau ?
– Je t'ai dit que ma cousine a convaincu ma mère de me trouver une bonne épouse ?
Je ne pouvais retenir un "hein ?" peu élégant tandis que je me redressais contre le tronc d'arbre auquel j'étais adossée.
– Quelle cousine ?
– Bellatrix.
J'émettais un grognement. Il m'avait déjà parlé de Bellatrix Lestrange, née Black. Bien que je ne l'aie encore jamais rencontré, j'éprouvais une antipathie certaine pour cette femme. Le portrait qu'il m'en avait dressé me laissait un goût métallique dans la bouche. Sans surprise, elle avait fait de la pureté du sang son mantra et son allégeance au Seigneur des Ténèbres n'était un secret pour personne. Apprendre qu'elle voulait marier Regulus n'avait rien de surprenant. Elle s'était elle-même rapidement unie au frère de Rabastan, Rodolphus, tout comme Narcissa à Lucius Malefoy. Garantir une lignée de sang-pur était primordial pour ces gens.
– Ils ont trouvé l'épouse parfaite ?
– Pas encore à ma connaissance.
Je ne disais rien pendant quelques instants. Songeuse, je mâchonnais ma lèvre avant de reprendre.
– Et toi ?
– Quoi, moi ?
– Qu'est-ce que tu en penses ?
– Je n'ai aucune envie de me marier.
Il se renfrognait. Une fois de plus, Regulus se fermait à moi. Il n'avait pas l'intention de poursuivre la conversation. Mais je ne voulais pas abandonner aussi facilement.
– Qu'est-ce que tu vas faire ?
– J'en sais rien, Ayden ! s'exclamait-il.
Je fronçais les sourcils. Il n'avait pas pour habitude de hausser le ton avec moi. Je détournais le regard vers les sommets qui entouraient le château. Le soleil ne chauffait plus autant ma peau que quelques secondes plus tôt.
La colère de Regulus perdurait pendant plusieurs jours. Il instaurait une distance entre nous. Son visage restait fermé. J'avais touché un point sensible : la question de sa réaction face aux directives de sa famille. Sirius m'avait dit qu'il adorait correspondre à ce qu'on attendait de lui. J'avais conscience de son inclinaison à suivre les ordres de sa mère. Mais allait-il se laisser marier de force à une inconnue ? Allait-il vraiment accepter un tel arrangement ou faire enfin entendre sa voix ?
– On devrait se voir cet été.
Les examens étaient à présent terminés pour tout le monde. Une seule semaine nous séparait encore des vacances d'été. Regulus n'avait toujours pas desserré les dents, mais je me refusais à le laisser retourner au 12 square Grimmaurd dans ces conditions. Il était tellement surpris par ma requête qu'il en oubliait son irritation. Il me regardait à présent avec des yeux ronds.
– On ne se voit jamais l'été, me faisait-il remarquer.
– Justement. On devrait changer ça.
– Pourquoi cette envie soudaine ?
– On aurait déjà dû le faire avant. Et puis... L'année prochaine sera notre dernière année.
Je plongeais mon regard dans le sien.
– Et donc ? Tu n'as plus l'intention de me fréquenter une fois nos études finies ?
Il était étrange de se dire que l'époque de Poudlard toucherait prochainement à sa fin. Je n'avais jamais vraiment réfléchi à ce qu'il arriverait à notre amitié une fois que ce serait le cas. Elle était tellement évidente à mes yeux, je n'avais jamais eu à imaginer que cela puisse changer.
– Bien sûr que si. Je crois juste que c'est important qu'on continue à se voir régulièrement, avec... tout ce qu'il se passe.
Nous n'avions jamais clairement abordé ce sujet-là. L'avènement de Voldemort, les crimes, la suspicion, la peur. Nous n'avions pas quitté le doux cocon qu'était l'école de sorcellerie que tous ces évènements avaient déjà un impact dans nos vies. Ce serait cent fois pire une fois diplômés. Nous le savions aussi bien l'un que l'autre : en terminant nos études, nous allions devoir choisir un camp. Rejoindre le Seigneur des Ténèbres, le combattre ou rester passif. Un choix qui n'était pas anodin et qui déciderait de l'avenir de notre amitié. Sirius m'avait menacé en me laissant croire que Regulus le rejoindrait. J'étais déterminée à lui prouver le contraire. Et cela commençait par le tirer autant que possible loin de la maison familiale, de le tirer des griffes de sa mère pendant l'été. De lui montrer qu'il y avait un autre chemin que celui tracé par Bellatrix Lestrange.
Mon meilleur ami me dévisageait longuement.
- De quoi tu as peur ? me demandait-il abruptement.
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