Chapitre 42
– Athènes.
– Montréal.
Je mordillais ma lèvre, pensive.
– Rome.
– Ah... pas mal.
Les doigts de Sirius traçaient des arabesques sur mon ventre nu, pendant que je glissais distraitement les miens dans ses cheveux. Nous étions allongés dans le lit, les jambes entremêlées, sa tête reposant sur ma poitrine. Je n'avais pas la moindre idée de l'heure qu'il était, et peu m'importait le temps qui s'écoulait hors de cette chambre. Quelques jours après notre mariage, nous n'existions pour personne.
– Quand tout sera terminé, je t'emmènerai en voyage de noces à travers le monde.
– À travers le monde ? répétais-je, en gloussant doucement. Tu sais, communément, les jeunes mariés choisissent une seule destination pour leur nuit de noces.
– J'aime sortir des sentiers battus.
Je riais tandis qu'il se relevait sur un coude pour pouvoir me regarder.
– Est-ce qu'on pourra vraiment se le permettre ? objectais-je.
– On est jeune. On se doit de tout se permettre. Et puis, si nous ne le faisons pas à ce moment-là, quand le ferons-nous ?
Une main sur sa joue, je frôlais tendrement sa pommette de mon pouce. L'anneau qui ne quitterait plus mon annulaire brillait dans la lumière froide de l'après-midi.
– Et je crois que nous l'aurons bien mérité, concluait-il.
Quand tout sera terminé... Oui, nous ferions ce que bon nous semble. Je me laissais à rêver de ce futur où nous n'aurions plus à risquer nos vies, où Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom aurait disparu. Un futur où nous pourrions voyager dans toutes ces villes, découvrir le monde et sa beauté. Où je pourrais reprendre une formation auprès de sorciers astronomes, continuer d'approfondir mes connaissances, enseigner à Poudlard. Où Harry, Neville et nos enfants à venir grandiraient sans avoir à connaître nos souffrances. Un sourire étirait mes lèvres.
– Tromsø.
Sirius me souriait également et reprenait sa position initiale.
– Vienne.
Engluée dans le sommeil, je fronçais les sourcils et me retournais sous la couette. Mais le bruit incessant ne faiblissait pas. J'entendais Sirius grogner à mes côtés, en réponse à mon gémissement mécontent. Il lâchait un chapelet de jurons bien fleuris en s'extirpant de la chaleur des draps pour aller ouvrir la fenêtre de la chambre. Un courant d'air glacé s'engouffrait dans la pièce. Il invectivait encore ce que je comprenais difficilement être un hibou, puis claquait la vitre. J'entendais le bruissement d'un parchemin qu'on déroule, puis plus rien.
– Qu'est-ce qu'il y a ? marmonnais-je en me passant la main sur les yeux.
Dans la pénombre, je papillonnais des paupières jusqu'à discerner sa silhouette vêtue d'un simple boxer, toujours debout près de la fenêtre. Il fixait le morceau de parchemin qu'il tenait dans sa main.
– Sirius ? insistais-je, soudainement prise d'inquiétude.
– C'est James et Lily.
Ces mots faisaient voler en éclat ma fatigue. J'étais complètement tirée des bras de Morphée. Aussi alertes que nous étions endormis cinq minutes plus tôt, nous nous habillions rapidement.
Dix minutes après ce réveil impétueux, nous remontions les ruelles silencieuses de Godric's Hollow. Le vent âpre de la nuit nous fouettait le visage. La main de Sirius tenait fermement la mienne depuis que nous avions transplané dans le village. Elle m'ancrait dans la réalité, m'exhortait à garder mon sang-froid. Je jetais un coup d'œil à la maison de Bathilda, plongée dans le noir, mais nous poursuivions notre chemin à grandes enjambées.
La lumière dans le salon des Potter dessinait de grands rectangles sur la terre engourdie par le froid mordant. La pâleur du visage de James me frappait lorsqu'il venait nous ouvrir. Mon sang se figeait dans mes veines.
– Patmol, croassait-il, une souffrance sans nom dans la voix.
Ce n'est que lorsqu'il étreignait mon mari avec force que ce dernier relâchait ma main. Habitée d'une angoisse sourde, je pénétrais dans le hall et fonçais vers le living-room. Je repérais Dumbledore, la mine grave, près de Lily. Elle était assise sur le canapé, ses coudes appuyés sur ses genoux, la tête entre les mains. Je me précipitais, m'agenouillant à ses pieds.
– Lily, qu'est-ce qu'il se passe ?
Sans décrocher un mot, elle se jetait dans mes bras et me serrait convulsivement contre elle, ses larmes glissant dans mon cou. Je la serrais en retour, caressais ses cheveux roux, tout en cherchant Harry du regard par-dessus son épaule. Mes yeux croisaient ceux du directeur. Il répondait d'un hochement de tête à ma question muette.
Il était en vie.
L'étau comprimant mes poumons se relâchait légèrement. Mais qu'est-ce qui pouvait bien mettre mes amis dans un tel état ? James et Sirius nous avaient rejoints. Je continuais à murmurer des paroles d'apaisement à ma meilleure amie et il fallait quelques minutes avant qu'elle ne consente à se rasseoir. Je m'écartais pour laisser le jeune Potter la rejoindre et prenais place sur un des fauteuils environnant le sofa. Sirius montait la garde à mon côté.
– Il existe une prophétie... commençait Dumbledore.
J'attrapais la main que Sirius venait de poser sur mon épaule. Nous pressions chacun les doigts de l'autre. Je m'accrochais à ce contact pour ne pas couler. Mon cœur avait fait des embardées tout le long des explications du professeur. Il nous racontait comment une simple candidate à un poste d'enseignante s'était transformée en oracle. Il nous rapportait la terrible prédiction qu'elle lui avait livrée, destinée à bouleverser la communauté magique. Il nous confiait les mois de vigilance extrême qui avaient suivi jusqu'à ce que Celui-Dont-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom remonte la piste jusqu'aux Potter. Jusqu'à Harry.
Harry, qui faisait l'objet d'une prophétie.
Harry, qui était le seul à pouvoir anéantir Voldemort.
Harry, qui serait désormais traqué par le Seigneur des Ténèbres, un être vil et cruel qui ne reculerait devant aucune atrocité pour le tuer.
Tout s'effondrait. L'air me manquait, ma gorge était nouée. Un bébé... ce n'était qu'un bébé. Un enfant qui devait grandir dans un monde débarrassé de l'horreur que représentait le Lord, pas un enfant qui devait lui-même débarrasser le monde de cette horreur. C'était mon filleul, le fils de mes meilleurs amis. Celui pour qui j'avais imaginé encore quelques heures plus tôt un futur sans menace, l'une des raisons pour laquelle nous mettions continuellement nos vies en danger.
Je réunissais toute mon énergie pour garder la tête hors de l'eau. En face de moi, Lily tremblait comme une feuille dans les bras de James, dont le visage n'était plus qu'un masque d'affliction. Je ne pouvais leur imposer mon abattement en plus. Mon époux devait s'être fait la même réflexion que moi, car lorsque nous échangions un regard, les traits de son visage conservaient leur maîtrise, si ce n'était sa mâchoire contractée.
– Que pouvons-nous faire ? demandait-il d'une voix éraillée.
– Nous allons cacher James, Lily et Harry au moyen d'un sortilège.
Le professeur Dumbledore marquait une pause.
– Le sortilège de Fidelitas.
Je ne savais que peu de choses sur ce sort, à l'instar de Sirius. Le directeur nous expliquait comment le secret était dissimulé au sein même d'une personne, appelé Gardien du Secret. En nous observant par-dessus ses lunettes, il ajoutait que le secret restait inviolable tant que le Gardien ne le divulguait pas. C'était un procédé magique extrêmement complexe. Un puissant sortilège, qui reposait sur une confiance totale en l'individu désigné et une fidélité inébranlable en retour. Avec le Fidelitas, le mage noir pouvait retourner Godric's Hollow de fond en comble, il serait incapable de mettre la main sur les Potter.
Un long silence s'installait lorsqu'il cessait de parler. Seul le mugissement lugubre du vent à l'extérieur se faisait entendre. Le vieux sorcier se levait et posait une main sur l'épaule de Lily.
– Je reviendrai demain matin. Choisissez votre Gardien. Et reposez-vous.
Elle hochait vaguement la tête, abrutie par le désespoir. James se relevait également pour serrer vigoureusement la main du directeur. Je suivais ce dernier dehors et refermais la porte d'entrée derrière nous.
– Professeur...
Mes mots s'étouffaient sur ma langue tandis qu'il me scrutait, son visage ridé empreint d'une grande douceur. Je lisais de la compassion dans ses yeux bleu vif. J'enroulais mes bras autour de ma poitrine, un geste autant pour me réchauffer dans cette nuit glaciale de novembre, que pour me protéger contre toutes ces révélations.
– Ne pouvons-nous...
Je m'interrompais à nouveau. Non, nous ne pouvions rien faire d'autre, il était inutile de se voiler la face. Mais est-ce que cacher la famille Potter serait suffisant ? Devront-ils se faire oublier jusqu'à ce que Harry soit suffisamment âgé pour défier Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ? Comment pourrions-nous le regarder grandir en sachant qu'il devra tuer ou être tué ? Comment l'élever en ayant conscience de son destin ? Son existence allait-elle se résumer à cette seule prédiction ?
Des larmes me brûlaient les yeux devant cette injustice.
– Quelle vie lui offrons-nous... disais-je dans un souffle, la voix chargée de sanglots.
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