Chapitre 4

Avoir des retenues n'avait jamais été dans mes habitudes. En fait, j'étais une élève discrète, naturellement sur la réserve. Je ne cherchais pas à attirer l'attention sur moi, car elle avait déjà la fâcheuse tendance à me trouver toute seule. C'était peut-être pour cela que McGonagall était aussi furieuse.

    – Par la barbe de Merlin, miss Grindelwald, qu'est-ce qui vous est passé par la tête !

Elle avait beau me fixer avec des yeux aussi perçants que ceux d'un aigle, je ne cherchais pas à me justifier et encore moins à feindre le regret. Je n'avais aucun remord. J'éprouvais même une certaine satisfaction, depuis le temps que je rêvais de rabattre le caquet de cet idiot de Lestrange. En revanche, je déplorais le fait d'avoir perdu mon sang-froid aussi aisément. Je savais pertinemment de quoi il était fait, pour autant, j'étais tombée dans son piège avec une facilité déconcertante.

    – Votre attitude coûtera dix points à Serdaigle. Et vous aurez une retenue. Vous pouvez partir, je ne manquerai pas de vous tenir informer du lieu et de l'heure.

Puis elle m'avait suivi du regard avec sévérité pendant que je sortais de son bureau, sans avoir ouvert une seule fois la bouche.


Le lendemain, samedi matin, je quittais tôt le dortoir pour aller à la volière. Je n'avais pas la moindre envie de croiser quelqu'un. J'avais senti les regards appuyés de mes camarades sur moi jusqu'à ce que je m'enferme derrière les rideaux de mon lit. Toutes les filles de mon dortoir me jaugeaient avec un mépris qui n'aidait en rien à apaiser la fureur qui m'avait poussé à attaquer Lestrange. Je devenais une version de moi-même qui me déplaisait fortement, capable de m'enflammer à la moindre provocation. Et si, en fin de compte, je ressemblais bel et bien à mon père ?

Tandis que je regardais s'éloigner le hibou grand-duc auquel j'avais attaché une lettre pour ma grand-tante, je ne pouvais m'empêcher de penser à Gellert Grindelwald. Pendant toutes ces années, j'avais repoussé, enterré son image. Je m'étais plu à croire que ma ressemblance avec ma mère ne se cantonnait pas au simple physique. Mais au fond, j'avais toujours été consciente que j'avais également hérité d'une part de mon père. Et peut-être pas la meilleure. J'avais beau la combattre, elle était là en moi. Pire encore, je savais qu'une lutte acharnée se déroulait parfois en mon for intérieur, comme si une petite voix me soufflait que je ne devais de compte à personne. Que je pouvais être ce que je voulais. Que je pouvais être comme mon père, que j'en avais les moyens. Que je pouvais être la digne héritière de Gellert Grindelwald.

    – Tu te caches aussi de moi ?

Je sursautais vivement. Regulus se tenait derrière moi, les traits indéchiffrables. À son tour, il venait s'accouder sur le muret de pierre qui bordait l'escalier en colimaçon. Au loin, les arbres de la Forêt Interdite s'agitaient faiblement. Le soleil s'élevait dans le ciel, baignant d'une lumière pure le château.

    – Je ne me cache de personne.

Il ne répondait pas et pendant de longues minutes, il n'y avait plus que le silence entre nous. Il n'était pas rare que nous passions de longs moments sans parler. Mais ces derniers temps, ce silence avait quelque chose de différent. Et je ne parvenais, ou ne voulait, pas mettre le doigt dessus.

    – Qu'est-ce qui t'as pris ? lâchait-il enfin.

    – Tu ne vas quand même pas le défendre ?

    – Je ne le défends pas. Tout le monde sait que Rabastan est un imbécile.

    – Pourtant vous êtes amis.

    – Nos familles sont amies, corrigeait-il.

Je n'étais pas certaine de l'exactitude du terme "ami". Les familles Black et Lestrange étaient avant tout des familles de sorciers qui croyaient dur comme fer en leur pureté de sang. Ce n'était pas exactement ce que j'appelais un lien forgé par la fraternité et une confiance mutuelle. À la limite, c'était de la camaraderie de mauvais goût. Je m'abstenais cependant de relever.

    – Mais ce n'est pas ton genre de tomber dans le panneau.

Je serrais les dents une demie seconde. Mon meilleur ami attendait des explications sur lesquels je n'avais pas envie de m'étendre. Je sortais alors la photo d'Anjelika de ma poche et la lui tendait. Il l'examinait pendant ce qui me semblait une éternité avant de me la rendre.

    – Je croyais qu'il ne s'était rien passé de palpitant pendant les vacances.

Un sortilège cuisant m'aurait fait le même effet. Son ton n'était même pas rempli de reproches, mais c'était cent fois pire.

    – Je n'avais pas envie de la partager... soupirais-je finalement.

Cela paraissait tellement stupide, même si c'était vrai. Après tout ce temps à l'imaginer, la fantasmer presque, je voulais garder ma mère pour moi seule, simple photographie ou non.

    – Et Evans, tu lui en as parlé ?

    – Quoi ? Quel est le rapport ?

Il haussait les épaules, sans soutenir mon regard.


Si j'étais parvenue à me calmer, c'était pour être encore plus tourmentée. Le dernier échange avec mon meilleur ami avait rajouté à mon malaise. J'étais distraite lorsque cet élève de Poufsouffle, à côté duquel je m'étais assise au repas de Noël, m'apportait un mot de la main de McGonagall. La mission n'avait pas l'air de le ravir. Je me consolais en songeant que la retenue me permettrait de ne pas rester dans la salle commune le soir même. Même l'expression peu chaleureuse de Rusard ne réussissait pas à me faire regretter la tour de Serdaigle. En revanche, l'arrivée d'un autre élève me faisait rapidement déchanter.

Le concierge reniflait d'un air dégoûté en voyant Sirius Black entrer dans la serre où nous étions déjà. L'aîné de Regulus, égal à lui-même, était parfaitement à son aise. Ce n'était qu'une retenue qui suivait un nombre incalculable d'autres pour lui. Après nous avoir regardé l'un après l'autre d'un œil soupçonneux, le concierge avait désigné les hautes tables qui accueillaient jour après jour les plants étudiés par les cinquièmes années. Des tables couvertes de terre et autres substances que je ne préférais pas identifier.

    – Vous ne quitterez pas cette serre tant qu'elle ne sera pas nettoyée. J'en ai assez de passer mon temps à récurer les bêtises de jeunes ingrats et indisciplinés.

Je levais un sourcil peu convaincu. Ces tables avaient pris racine bien avant nos débuts à Poudlard. Avaient-elles seulement été propres un jour ?

    – Pas de magie, ajoutait-il avec mauvaise humeur.

Je prenais soin de m'attaquer aux saletés du fond de la serre, éloignée autant que possible de Sirius. Je ne voulais pas lui laisser l'occasion de m'adresser la parole. Malheureusement pour moi, Rusard quittait la serre une demi-heure plus tard, quand il repérait des éclats de couleurs teinter les vitres du château au loin. Maugréant, maudissant chaque génération de jeunes sorciers qui étaient passé par l'école de sorcellerie, il prenait la direction de Poudlard. Sirius ne perdait pas son temps.

    – Qui l'eut cru ! La fille Grindelwald en retenue !

    – Ce qui est le plus étonnant, c'est que tu sois seul... Où est donc James ?

Il haussait les épaules, me rappelant sans conteste Regulus.

    – Lily a une mauvaise influence sur lui... soupirait-il, avant de renchérir, faussement pétillant, mais peut-être qu'on va pouvoir faire les quatre cents coups ensemble ? On propose à Reg de nous rejoindre ?

Je pinçais les lèvres et baissais la tête, m'interdisant de répliquer quoi que ce soit.

    – Je suis sûr qu'on pourrait s'amuser comme des petits fous, tous les trois !

Grattant frénétiquement une croûte peu ragoutante d'une couleur verdâtre, je tâchais d'occulter le bruit de ses pas de plus en plus proches.

    – A moins que... vous n'ayez d'autres projets...

Je continuais à m'acharner sur le morceau profondément incrusté dans la table. Cette immondice avait une tendance incroyable à s'accrocher. Qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Les résultats désastreux d'un élève peu attentif aux instructions du professeur Chourave ?

    – C'est vrai... Il y a tellement de choses à faire à l'extérieur... de personnes à voir... d'occasions à ne pas rater... pour rejoindre une cause, faire ses preuves... s'intégrer.

Sa voix se rapprochait toujours, mais j'étais absorbée par ma tâche. J'empoignais la spatule des deux mains, m'escrimant à frotter encore et encore. J'étais presque parvenue à arracher cette substance répugnante du bois. Peut-être du jus de Mimbulus Mimbletonia ? Non, c'était une plante trop rare pour être laissée entre des mains novices. Sûrement du simple bubobulb.

    – C'est important de s'intégrer. Dans un groupe qui partage nos opinions. Pour faire de grandes choses. Changer le monde, le modeler à notre vision. Regulus aime bien s'intégrer. Se fondre dans la masse, tu vois ? Il aime bien faire plaisir aux autres, aussi, tu sais. Il a toujours tout fait pour satisfaire notre mère, c'était trop mignon.

Sirius ne cherchait même plus à feindre la légèreté. Son ton était froid, irrité. J'inspirais longuement pour tenter de conserver mon sang-froid.

    – On ne peut pas lui enlever ça. Il adore correspondre à ce qu'on attend de lui.

    – Bon, qu'est-ce que t'espères ? Me voir craquer encore une fois ? Un duel ?

J'avais plaqué avec violence le racloir que j'utilisais sur le plan de travail, incapable de feindre l'indifférence plus longtemps. Il avait les yeux rivés sur moi, avec le même regard dur qu'à la soirée de réveillon. Il n'y avait plus que la table derrière laquelle je me tenais qui nous séparait.

    – Vas-y, crache le morceau ! T'en meurs d'envie depuis Noël ! Qu'est-ce que t'essaye de faire !?

    – J'essaye de t'ouvrir les yeux, Ayden ! s'exclamait-il avec véhémence.

Sa réponse me désarçonnait.

    – Arrête de faire semblant, tu es loin d'être stupide, ne vas pas me faire croire que tu ne vois pas ce que tu as sous le nez ! Regulus est comme cet enfoiré de Lestrange, et tu le sais !

Sirius semblait déverser une rage longtemps alimentée dans l'ombre.

    – Tu ne vois pas qu'il compte le rejoindre, lui !? Arrête de t'accrocher à du vent !

Si l'accentuation du mot "lui" m'avait fait l'effet d'un mauvais sort dans le plexus, ce n'était rien face à ces derniers mots. Je reprenais instantanément mes esprits, le sang battant à mes tempes.

    – M'accrocher à du vent !? répétais-je, avant d'enchaîner avec un rire ironique. Oh oui, c'est vrai que c'est tellement mieux de lui tourner le dos et de l'abandonner, comme tu l'as fait ! C'est sûr que ça ne le pousse pas du tout à devenir l'un d'eux !

Nous nous défions du regard. L'air crépitait presque autour de nous sous l'effet de notre colère conjuguée. Des étincelles s'échappaient de nos baguettes respectives.

    – Qu'est-ce qu'il se passe ici ! s'exclamait la voix de Rusard, de retour dans la serre.

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