La naissance début mars de Ronald, leur sixième neveu, n'avaient pas rendu Gideon et Fabian plus chaleureux. Leurs soupçons à mon égard restaient inchangés, mais ils n'osaient plus me provoquer. Même si je préférais les voir m'ignorer plutôt que me jauger d'un œil noir, je réprouvais le fait que ce soit parce que j'étais avec Sirius. Comme si j'avais besoin de la protection d'un homme. J'aurais aimé avoir réussi à gagner leur confiance par la seule force de ma loyauté.
Toujours est-il que ce soir-là, l'Ordre du Phénix dans son ensemble était présent. C'était la première fois que je voyais l'intégralité de ses membres dans une même pièce. Habituellement, il y avait toujours eu quelques sièges vides, absents pour les besoins d'une mission. Et c'était surtout la première fois que nous passions une soirée tous ensemble non pas pour une réunion, mais pour un repas. Un simple repas comme une grande famille, sans évoquer Celui-Dont-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, ni ses mangemorts, et encore moins leurs crimes. Non, ce soir-là, nous étions ensemble pour savourer le fait d'être en vie. Et unis. Pendant l'espace de quelques heures, nous nous interdisions de songer au traître qui pouvait se cacher parmi nous.
Des dizaines de plats garnissaient la longue table où nous étions tous assis. Tourtes, viandes en sauce, pommes de terre fondantes, assortiments de petits légumes... Plusieurs bouteilles d'hydromel, de Whisky Pur Feu, de sodas de Branchiflore et de jus de citrouille circulaient. Un festin digne de Poudlard. À ce constat, j'avais eu un petit pincement en cœur en pensant aux elfes de maison de l'école de sorcellerie, si dévoués et amicaux. À Broony tout particulièrement, ce petit être qui avait joué les mamans poules avec moi.
Les verres s'entrechoquaient, les rires fusaient d'un bout à l'autre de la pièce. Même Maugrey avait consenti à renoncer à sa flasque le temps de trinquer avec nous. Les langues se déliaient et je découvrais de nouvelles facettes des personnalités de chacun. J'avais combattu au moins une fois avec chacun d'eux, mais pouvais-je réellement affirmer les connaître ?
– ...des chimères ! s'emportait Elphias.
Subitement transformé en conteur, il ponctuait le récit de son tour du monde avec de grands gestes, tour à tour se penchant, écartant vivement les bras, agitant ses mains. Il se replongeait dans sa jeunesse avec un enthousiasme contagieux. Son attitude ne manquait pas de me rappeler les monologues endiablés de Xenophilius Lovegood chez Fleury et Bott. Tout en l'écoutant, je surveillais du coin de l'œil le fez qui vacillait dangereusement sur le haut de son crâne, un petit sourire en coin étirant mes lèvres.
– ...puis j'ai pris la direction de l'Egypte. Saviez-vous que les égyptiens connaissent des procédés alchimiques qui dépassent de très loin les nôtres ?
Un coude sur le genou, un œil plissé, il agitait son index dans la direction de son auditoire. Amusée, je tournais la tête vers Dumbledore, qui me faisait un clin d'œil complice.
Plusieurs petits groupes comme celui que je formais avec le directeur de Poudlard, Dorcas, Marlène et Elphias, s'étaient constitués. Lily et Alice, enceintes toutes deux, parlaient maternité de leur côté. Alastor et Abelforth ronchonnaient dans leur coin, animés par un débat houleux. D'autres bribes de conversation me parvenaient.
– Une affaire ! Comment voulais-tu que je passe à côté d'un truc pareil ! tonnait la voix de Mondingus Fletcher, disparu dans un nuage de fumée nauséabond en compagnie d'Edgar Bones.
– Mais enfin, Hagrid ! Un dragon ! Et ta cabane, tu y as pensé à ta cabane en bois !? s'impatientait Dedalus à quelques pas de nous.
– J'étais Oubliator à l'époque... expliquait Caradoc à Benjy et Lunard.
Les anecdotes allaient bon train, dans une ambiance bon enfant. Je coulais un regard en direction de Sirius. Il était entouré de James, Franck et Emmeline. Les deux Maraudeurs leur racontaient avec force détails une course poursuite à moto avec des agents de police moldus. Mon cœur se gonflait d'amour alors que j'étudiais de loin les traits du visage de mon amant.
Une douce sensation se diffusait dans mon corps. Une profonde quiétude s'était emparée de moi, je me sentais complète, ainsi entourée par toutes ces personnes. Nous formions un groupe disparate, où des tensions ne manquaient pas de naître, mais nous étions liés par une même vision de l'avenir. Un avenir où seraient maîtres la liberté, la paix et la tolérance.
– Un petit sourire, messieurs, dames !
Sturgis, remis de ses blessures, brandissait un énorme appareil photo. Certains lui adressaient des signes de la main pendant que d'autres levaient leur coupe.
La première photographie de l'Ordre du Phénix.
Deux semaines plus tard, Marlène McKinnon et toute sa famille étaient retrouvées sauvagement assassinés.
Je ressentais la culpabilité du survivant. Le moral de notre société secrète en prenait un coup sévère. Quinze jours plus tôt, nous étions tous ensemble, à rire, boire, défier la mort. Et à présent...
Nous étions contraints d'osciller entre les instants de bonheur et ceux de désespoir. Jamais totalement sorti du deuil lors d'un évènement heureux, coupable d'avoir osé ressentir de la légèreté à l'annonce d'un cruel coup du sort. Quand pourrions-nous nous échapper de ce cercle infernal ? N'allions-nous pas devenir fou à passer sans cesse de la félicité à la désolation ?
Une profonde lassitude s'était distillée en moi. J'étais fatiguée. Désemparée face à la confusion dans laquelle avait sombré notre monde. J'étais vidée, exténuée. Sirius ne devait pas rentrer avant quelques heures, aussi attrapais-je ma cape et transplanais à Godric's Hollow. La place du village était vide. Pendant quelques minutes, je restais immobile, contemplant les maisonnettes qui m'entouraient. Ces bâtiments qui m'avaient vu grandir. La nostalgie s'emparait de moi au souvenir de mon enfance douce et innocente. Quand je ne comprenais pas encore le poids qu'était le nom de Grindelwald, quand la guerre n'avait pas encore fait ses ravages.
Je secouais légèrement la tête et prenais le chemin de la maison de Bathilda. Je frappais quelques coups à la porte avant d'entrer.
– Bathilda ? C'est moi.
– Ma petite Ayden ! Je suis dans le living.
Son visage s'éclairait en me voyant, toute trace de la fatigue due à l'âge et à l'inquiétude fondant comme neige au soleil. Mon cœur se serrait à chaque fois que je lui voyais cette expression. Je me penchais vers son fauteuil pour la serrer dans mes bras.
– Quel bon vent t'amène, ma petite ?
– Sirius n'est pas encore rentré, alors je me suis dit que je pouvais en profiter pour passer du temps avec toi et récupérer quelques affaires...
– Prends donc, prends donc, je vais aller faire du thé...
Je la regardais s'éloigner de sa démarche rendue incertaine par ses vieux os, avant de monter dans ma chambre.
Bathilda n'y avait rien touché. Sur ma droite, la bannière des Serdaigle ornait toujours le mur au-dessus de mon lit et était cernée de diverses cartes célestes. Plusieurs étagères sur le mur de gauche soutenaient de lourds grimoires, tandis que trônaient fièrement des photographies sur d'autres. Je m'avançais vers celles-ci. Plusieurs photos de Lily et moi me souriaient, retraçant notre amitié. La plupart avaient été capturées à Poudlard à différents moments de notre scolarité et la dernière en date datait de son mariage. Il y en avait même une complètement immobile, à la gare de King's Cross, prise avec l'appareil photo de ses parents. J'avais appris à m'habituer à cette étrange inertie. Une autre montrait Bathilda dans son fauteuil habituel, au coin du feu, une version miniature de moi-même sur les genoux, en pleine lecture des contes de Beedle le Barde. Plus loin, le portrait de ma mère, si magnifique qu'elle en paraissait irréelle.
Je prenais délicatement le dernier cadre entre mes doigts et m'asseyais au bord du lit. Elle avait été prise peu de temps avant la fin de notre cinquième année. On devinait le soleil de mai resplendissant au-dessus du terrain de Quidditch de Poudlard. Quelques boucles s'étaient échappées de ma queue de cheval à force de tirer dessus dans la frénésie du match et mes efforts pour assister à toutes ces acrobaties aériennes. À côté de moi, un bras passé dans mon dos, les ailes du Vif d'or s'agitant dans son autre main, Regulus dans sa tenue d'attrapeur vert et argent. Il venait de faire gagner la coupe de Quidditch à Serpentard. Son visage était détendu, son éternel expression d'impassibilité frôlant l'arrogance envolé. Un large sourire, image même du bonheur, fendait ses lèvres. Un franc et éclatant sourire qu'il n'affichait que trop rarement. Nous rayonnions. Nous avions l'air si jeunes, et pourtant, à peine quelques années avaient passés depuis ce jour-là. J'avais les poumons douloureusement oppressés en nous regardant ainsi. C'était avant que tout bascule.
La dernière fois que j'avais vu mon meilleur ami remontait à moins d'un an et j'avais pourtant le sentiment que cela faisait un siècle. Aucun on-dit ne m'était parvenu depuis. Je n'avais pas la moindre idée d'où il était, ce qu'il faisait. S'il allait bien.
S'il était seulement vivant.
Je refoulais mes sanglots puis me relevais pour m'approcher du secrétaire situé sous la fenêtre. La plaque de cristal représentant la voûte céleste qu'il m'avait offert pour le Noël de notre sixième année était posée dessus. Un échiquier version sorcier abandonné au beau milieu d'un fatras de plumes et parchemins le côtoyait. Autant de traces de l'absence de Regulus... Détournant rapidement les yeux, j'entreprenais de fouiller dans un des tiroirs du bureau. J'en tirais délicatement un journal noir. Mes doigts frôlaient le croissant de lune argenté, sans oser l'ouvrir.
" Pour écrire tes mémoires. Et regarde. Comme ça tu pourras penser à moi en épanchant tes sentiments... "
" Écrire mes mémoires... Je ne sais pas si c'est une bonne idée... "
" Je serai ta première fan lorsque tu sortiras ton autobiographie. "
Nos voix résonnaient dans mon esprit. À cette époque, il venait de rejoindre les rangs du mage noir. Je ne cherchais plus à me contenir. Les épaules secouées de tremblements, le visage ruisselant de larmes, je lâchais prise et m'abandonnais corps et âme à la tristesse. Je m'apitoyais sur notre sort, sur le sort de toutes ces personnes que nous avions perdu et que nous perdrions encore. Je pleurais l'insouciance disparue, je pleurais les terribles décisions que nous avions dû prendre, je pleurais mon meilleur ami qui avait pris les traits d'un ennemi.
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Hello ♥
Alors, petite précision en ce qui concerne la photo de l'Ordre du Phénix : si mes souvenirs sont bons, Marlène meurt deux semaines après mais en juillet. Or, ce chapitre se situe plutôt en mars 1980. J'ai fait cet écart parce qu'il n'est mentionné nul part (ou j'ai mal cherché, et je m'en excuse, dites moi si c'est le cas!) que sur cette photographie, Lily est enceinte jusqu'aux yeux. Voilà, je trouvais "plus plausible" que Lily soit enceinte mais pas encore au point d'être prête à accoucher. De même, je ne pouvais pas situer la photographie en juillet 1981, alors que Harry va avoir un an et que les Potter sont déjà cachés à ce moment-là (dans la lettre de Lily, on apprend que Sirius a offert un balai-jouet à son filleul pour son anniversaire et James s'impatiente d'être enfermé) donc ne pouvaient décemment apparaître sur la photo.
Je sais pas si j'explique bien ahah enfin voilà, initialement j'avais prévu complètement autre chose, mais ce détail plus une autre information du canon m'a fait refondre toute ma chronologie il y a deux ans (je vous raconte pas la joie pour tout modifier ahah)
Qu'en pensez-vous ? L'écart vous semble correct ?
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre et à dimanche pour la suite ♥
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