Chapitre 31
Nous n'avions pas reparlé de notre danse, ni du tête à tête qui avait suivi. Nous n'avions pas évoqué cette étincelle dans ses yeux, ni les pétillements qu'avaient déclenchés ses doigts sur moi. Nous n'avions pas mentionné ce léger mouvement qu'il avait amorcé pour se pencher vers moi, ni de mon affolement qui m'avait poussé à fuir.
Lorsque la porte de ma chambre s'était refermée sur moi, cette nuit-là, j'étais restée un moment debout dans le noir. Mes mains tremblaient légèrement et je ne parvenais toujours pas à contrôler mon pouls. J'avais des difficultés à rétablir l'ordre dans mes pensées. Que venait-il de se produire ? Venais-je vraiment de me sauver lâchement ? Venais-je de tout gâcher ?
Quand j'avais finalement retrouvé ma capacité à bouger, je m'étais rapprochée au ralenti du lit, tout en enlevant la broche puis les épingles qui retenaient mes cheveux. Et même une fois débarrassée de ma robe et glissée sous les draps, je n'avais toujours pas réussi à éclaircir mon esprit. J'étais restée longtemps à fixer le plafond et à triturer le pendentif de ma mère. Dès le moment où Peter avait ri, la magie entre nous s'était évanouie. Non... elle ne s'était pas évanouie. C'était moi qui avais soudainement paniqué.
J'avais peu dormi, et j'avais été la première à me relever quelques heures plus tard. J'appréhendais de retrouver Sirius. Allait-il m'ignorer ? Ou, au contraire, vouloir mettre les choses au clair avec moi ? Dans le premier cas, j'aurais du mal à supporter la situation. Dans le second, je ne saurais quoi lui dire. C'était donc fébrile que je quittais l'abri de ma chambre. Je m'attardais peu dans la maison pour retourner dans la clairière. J'aurais pu tout ranger d'un coup de baguette, mais ensuite il m'aurait fallu trouver une autre occupation pour m'empêcher de réfléchir. Je venais de retirer tous les lys des tables quand j'entendais des bruits de pas. Les poils sur mes bras se hérissaient. Je reconnaissais cette silhouette tant redoutée du coin de l'œil.
– Bonjour, jolie demoiselle. Besoin d'un coup de main ?
Sirius avait adopté un ton jovial. Rien qui supposait qu'il s'était passé quoi que ce soit la veille.
Rien qui laissait sous-entendre qu'il avait voulu tenter de m'embrasser.
Nous avions repris le court de nos vies comme si de rien n'était. Aucune gêne. Aucun éloignement. À tel point que je venais à douter de ce qu'il s'était réellement passé au mariage de James et Lily. Notre relation restait inchangée. Plusieurs fois, j'avais hésité à aborder moi-même le sujet. Mais je n'avais jamais eu le cran de passer à l'action. Qu'aurais-je bien pu dire ?
Puis petit à petit, les jours s'étaient transformés en mois. Le nombre de disparitions inquiétantes n'avaient pas faibli. Sorciers et moldus avaient essuyés nombre de pertes tragiques. Au ministère, Harold Minchum était chaque jour plus critiqué au profit de Millicent Bagnold. Sa décision de multiplier les détraqueurs à Azkaban était jugée insuffisante par la communauté magique. Le Département de la justice, mené par Barty Croupton Sr, travaillait d'arrache-pied. Edgar nous avait confié que sa sœur cadette, Amelia, en était presque venu à camper dans son bureau. Ils étaient en liens directs avec la Brigade de police magique et le Bureau des aurors. Selon Franck, la frontière entre les deux secteurs s'avérait ténu. Les tireurs de baguette magique étaient censés se charger des criminels quand les aurors s'occupaient des mages noirs. Mais à notre époque, quelle différence y avait-il encore entre les deux ? Et c'était sans compter sur les sorciers qui clamaient avoir été sous l'emprise de l'Imperium. Comment déceler les vraies victimes du sortilège impardonnable ?
L'Ordre s'acharnait à riposter, mais c'était comme se battre à un contre vingt. Pas un jour ne passait sans que l'un d'entre nous ne revienne blessé. Emmeline Vance avait échappé de justesse à une embuscade près de Glascow. Dedalus Diggle et les frères Prewett avaient essuyé une violente confrontation avec des mangemorts, dont Rabastan Lestrange. J'avais moi-même été confronté à Karkaroff et Macnair lors d'une mission avec Dorcas.
La Grande-Bretagne était acculée de toutes parts par Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. J'avais dû repousser mes propres interrogations vis-à-vis de Sirius dans un coin de mon esprit.
Octobre était à peine entamé lorsque le sort frappait une fois de plus. Cela faisait plusieurs jours qu'Euphemia et Fleamont perdaient en énergie. Nous avions d'abord mis cela sur le compte de la vieillesse, mais bientôt, leur teint était devenu verdâtre. Quand leur visage s'était mis à grêler, il n'y avait plus eu de doute possible : la dragoncelle.
Je venais de rentrer de chez Fleury et Bott lorsqu'une grande chouette effraie venait frapper de son bec la vitre de la cuisine. Celle-ci m'apportait un mot griffonné à la hâte par Lily, m'annonçant qu'ils étaient à Ste Mangouste. Sans prendre le temps de la réflexion, j'informais rapidement Bathilda, qui ne pouvait m'accompagner car trop vulnérable à son âge, puis m'éclipsais pour aller prévenir Sirius. Cinq minutes plus tard, après avoir transplané à l'abri d'une ruelle peu fréquentée, je toquais à la porte de son appartement. Lorsqu'il m'ouvrait, il tenait à la main un parchemin semblable à celui que j'avais moi-même reçu.
– Allons-y, se contentait-il de dire.
Nous n'étions qu'à quelques minutes à pied de Purge & Ponce Ltd, l'ancien magasin de vêtements qui abritait l'hôpital des sorciers. La rue était bondée de passants à cause de l'heure de pointe.
– Nous venons voir Fleamont et Euphemia Potter, admis à cause de la dragoncelle, exposais-je au mannequin de la vitrine.
Pendant un instant, le mannequin ne bougeait pas. Puis il hochait presque imperceptiblement la tête, nous autorisant à traverser le verre pour déboucher dans le hall de l'hôpital.
Nous nous rendions directement au deuxième étage, là où étaient traitées les maladies contagieuses. Je toquais doucement à la porte de leur chambre avant d'entrer, Patmol dans mon sillage. Les murs de la pièce étaient nus autour des lits jumeaux. Sur chacun d'eux, les parents Potter étaient étendus, les yeux clos, la respiration hachée. James était assis entre les deux lits, le visage lugubre, les traits tirés par la fatigue et l'abattement. Lily se tenait derrière son mari, les mains sur ses épaules. Elle se tournait vers nous, mais Cornedrue n'esquissait pas un geste. Ma meilleure amie avait les yeux rouges et gonflés de quelqu'un qui a beaucoup pleuré. Sirius passait devant moi, serrait Lily dans ses bras avant de rejoindre son meilleur ami. Ce dernier se réanimait légèrement, tiré de sa torpeur par ce frère qu'il s'était trouvé dès leur rentrée à Poudlard.
Nous tombions également dans les bras l'une de l'autre. Mes yeux me picotaient, mais je m'efforçais de chasser les larmes de plusieurs battements de cils.
– Ils leur ont administré le remède, alors ils ne sont plus contagieux... mais ils nous ont recommandé de ne pas nous faire trop d'espoir, compte tenu de leur âge...
La gorge nouée, je me contentais d'un hochement de tête, incapable de prononcer le moindre mot. Les voir ainsi me serrait les entrailles. Ils avaient toujours fait preuve d'une extrême gentillesse, ils débordaient d'amour pour la joyeuse bande que nous formions. Ils m'avaient accueilli à bras ouvert dans leur maison et leur famille. Je me mordais l'intérieur de la joue pour ne pas céder aux pleurs.
Euphemia s'éteignait la première. Peu de temps après notre arrivée, ses paupières avaient papillonné pour chercher son fils du regard. Faiblement, elle avait serré ses doigts dans les siens. Elle avait tenté de lever son autre main pour caresser sa joue, mais la force l'abandonnait. James l'avait pris pour la poser lui-même contre sa pommette. Euphemia lui avait alors souri et murmuré quelques mots. Apaisée, elle avait ensuite basculé à nouveau dans un état à demi conscient. Quelques heures plus tard, elle nous avait quitté.
J'avais été incapable de contenir ma peine plus longtemps. Lorsque James emprisonnait la taille de sa femme dans ses bras, toujours debout près de lui, et pleurait contre sa poitrine, j'estimais devoir leur laisser de l'intimité. Je les laissais s'étreindre l'un l'autre, Lily caressant ses mèches rebelles, des sanglots silencieux traçant des sillons sur ses joues.
Sirius m'avait déjà précédé dans le couloir et faisait les cent pas, les poings serrés, la mâchoire contractée. Je n'étais pas sans savoir l'importance qu'avait Euphemia dans le cœur de Sirius. Elle et Fleamont l'avait accueilli avant moi au sein de leur famille, lorsqu'il avait quitté le square Grimmaurd. Ils l'avaient considéré comme leur second fils. Le mélange d'une indicible peine et d'une colère dévastatrice se dégageait de mon ami.
Je posais ma main sur son avant-bras et le forçais à s'arrêter pour me faire face. Je discernais un éclair de souffrance dans son regard. Sa rage se fendillait puis s'étouffait brusquement, me laissant entrevoir les traits de son visage tordus par la douleur. Cette vision me bouleversait d'autant plus. Me hissant sur la pointe des pieds, je passais mes bras autour de ses épaules pour l'enlacer. Ses propres bras se refermaient autour de moi pour me presser contre lui avec force, laissant libre cours à nos larmes.
– Euphe... Euphemia...?
La voix de Fleamont s'élevait difficilement dans le silence pesant de la chambre. Elle avait perdu plusieurs octaves. Deux jours avaient passé depuis la mort de son épouse. James s'était redressé et avait pris la main de son père entre les siennes. Les yeux de Fleamont essayaient vaguement de faire le point sur son environnement avant de se poser sur son fils.
– James... soupirait-il.
Son regard se dirigeait ensuite sur le lit vide derrière son enfant. Un terrible gémissement s'échappait de ses lèvres et il se détournait, secouant laborieusement la tête dans un geste de dénégation. J'avais l'impression qu'on enfonçait lentement une lame dans ma poitrine. Je me souvenais de la façon dont se regardait les parents de James. Vibrant encore d'amour et de tendresse, des années et des années après leur mariage.
Fleamont n'avait plus parlé, ni bougé après avoir compris que sa bien-aimée était décédée. Nous avions craint que le choc n'ait précipité sa mort. Pourtant, il s'était battu encore deux jours de plus contre la dragoncelle.
– Prenez soin de vous... Faites... faites attention... les uns aux autres...
Sa voix n'était plus qu'un murmure éthéré lorsqu'il nous faisait ces dernières recommandations.
– Fils... je suis si fier de toi...
J'étais postée dans un coin de la pièce, aux côtés de Remus et Peter, laissant la place à James, Sirius et Lily à son chevet. Je portais une main à ma bouche et fermais les yeux, submergée par la tristesse en entendant ces mots, tandis que Lunard entourait mes épaules de son bras.
Dans un dernier souffle au cours de la nuit, Fleamont avait rejoint Euphemia.
Le double enterrement avait rassemblé beaucoup de sorcières et de sorciers, venus de tout le pays pour honorer leur mémoire. Les Potter étaient appréciés dans l'ensemble de la communauté magique. Maugrey avait grogné que ce serait le moment idéal pour une attaque de mangemorts, mais il était hors de question de ne pas rendre un dernier hommage à Euphemia et Fleamont. Aurors et Ordre du Phénix surveillaient le périmètre durant la cérémonie et aucune offensive ne vint perturber l'adieu fait à ce merveilleux couple.
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