Chapitre 25

J'avais passé sept ans à côtoyer les mêmes personnes, à partager un dortoir, des repas, des cours avec elles. J'avais grandi, connu l'amitié entre ces murs. J'avais ri, pleuré. Mais nous y étions. Le jour du grand départ. L'émotion était palpable parmi les septièmes années, après la tension des examens. Moi qui avais attendu le moment de quitter Poudlard, j'étais soudainement nostalgique et désemparée. Les derniers mois m'avaient fait ardemment souhaités en avoir terminé avec les études. Mais n'avais-je pas trouvé un second foyer au château ? Je n'aurais jamais connu Lily et Regulus sans Poudlard. Je n'aurais pas dû laisser cette période difficile empiéter tous mes souvenirs heureux. Mais il était trop tard pour les regrets, il était temps de partir pour la vie réelle, aussi dangereuse soit-elle.


Je regardais le château s'éloigner, la gorge nouée, assise à la fenêtre du compartiment que j'occupais. La volière, où j'avais rencontré Lily pour la première fois. La tour d'astronomie, où j'aimais tant passer du temps. La tour des Serdaigle, où je m'asseyais près du feu ronflant dans la cheminée chaque hiver. Le parc, où se trouvait le hêtre sous lequel je m'étais assise nombre de fois au moindre rayon de soleil. La Forêt Interdite, où les hauts sapins avaient bien failli me faire tourner de l'œil à plusieurs reprises. Les serres, où j'avais passé ma retenue avec Sirius. Le terrain de Quidditch, où Regulus aimait tant voler.

Regulus... Je ne l'avais plus revu depuis l'altercation avec les Carrow. J'ignorais ce qui l'avait poussé à les attaquer, furieux à un point qui me laissait frissonnante. Il aurait été capable de les tuer si je ne l'avais pas arrêté. Pourquoi ? Il ne connaissait pas Broony. Était-ce à cause de Kreattur, l'elfe de maison de la famille Black, dont Broony m'avait dit qu'il était profondément attaché à son jeune maître ?

Je me souvenais du trajet dans ce même train, lorsque je lui avais conseillé de parler à Sirius avant de ne plus jamais en avoir l'occasion. De ne pas partir sur des non-dits. Il était temps que j'applique mon propre conseil. Même si nos chemins s'étaient séparés, même si j'avais admis le fait que jamais plus les choses ne redeviendraient telles qu'elles avaient été.

Poudlard avait disparu à l'horizon depuis quelques heures déjà. Nous allions bientôt arriver à Londres. Je n'avais que trop tardé.

Il fallait que je trouve mon meilleur ami.



Le Poudlard Express était en effervescence. Les vacances d'été échauffaient les esprits. J'entendais les adolescents rire et s'interpeller d'un wagon à l'autre. Je regardais à l'intérieur de chaque compartiment à la recherche de Regulus. Certains de mes camarades me remarquaient, me suivaient parfois des yeux, et je poursuivais mon chemin sans leur accorder d'attention. Je repérais notamment Benjamin, qui m'adressait un hochement de tête au passage. Je croisais également Barty Croupton Jr, un Serdaigle d'un an de moins que moi. Très intelligent, mais sournois. Voire vicieux. Sa façon d'épier les autres m'avait toujours mise mal à l'aise. Il se dégageait de lui quelque chose de malfaisant.

J'y réfléchissais justement quand je tombais sur un compartiment plein de Serpentard. Une nouvelle bouffée de colère m'envahissait en reconnaissant Rabastan, Amycus et Alecto. Ces derniers portaient encore quelques marques des sortilèges de Regulus. Ils me repéraient à leur tour. Je ne dissimulais ni le dégoût ni la haine qu'ils m'inspiraient. Ma main se crispait sur ma baguette, mais ils avaient le bon sens de ne rien tenter. Et mon meilleur ami n'était pas avec eux, aussi reprenais-je mon chemin.


J'étais presque parvenue jusqu'à la salle du machiniste quand je le dénichais enfin, seul. La tête tournée vers la fenêtre, il ne remarquait pas ma présence. J'en profitais pour détailler son profil anguleux à travers la vitre de la porte. Ses joues étaient anormalement creusées, son teint d'une blancheur de craie, maladive. Je contractais ma mâchoire, détestant le voir dans cet état. Je craignais qu'il ne me renvoie sèchement, à l'instar de cette soirée avant les vacances de Noël, qu'il refuse tout bonnement de m'adresser la parole. Le besoin de lui parler, de ne pas partir sans avoir au moins essayé était cependant plus fort. J'ouvrais la porte du compartiment et me glissais sur la banquette en face de lui.

Aucune réaction de sa part.

    – Reg.

Au son de ma voix, éraillée par l'appréhension, il daignait enfin me regarder. Je contenais un mouvement de recul. Ses yeux étaient pire que le reste. Enfoncés dans leurs orbites, cernés d'ombres profondes, vide de toute émotion. Je déglutissais difficilement mais lorsqu'il me reconnaissait, je croyais voir une infime étincelle s'allumer au fond de ses pupilles.

    – Regulus, je... je t'en prie, parle-moi.

Il se contentait de me regarder. On eut dit qu'il portait un masque qui m'interdisait de lire en lui comme j'avais appris à le faire durant tout ce temps passé ensemble. J'avais le souffle coupé en comprenant que je ne parvenais plus à le décrypter d'un simple coup d'œil. Ce gouffre dans ses pupilles, ce visage qui ne laissait rien transparaître de ce qu'il pensait, c'était encore pire que le voir me tourner le dos. Ces quelques mois passés depuis les vacances de Noël avaient-ils vraiment suffit à réduire à néant des années d'amitié ? Nous n'appartenions plus au même camp, nous étions des ennemis à présent, j'en avais bien conscience. Je l'avais accepté. Mais j'étais incapable de tirer un trait définitif sur le lien qui nous avait uni. Je refusais d'oublier. Était-ce aussi le cas de son côté ? J'en doutais.

Je voulais le prendre par les épaules, le secouer, l'exhorter à prononcer un mot. Au lieu de ça, les yeux humides, j'attrapais sa main froide, glaciale même, pour la serrer entre les miennes.

    – Laisse-moi t'aider. Je t'en prie...

Il baissait les yeux sur nos doigts, mais ne se dégageait pas de mon étreinte.

    – Je sais ce que je dois faire, Ayden, disait-il enfin, avec un timbre plus grave que d'ordinaire, presque guttural.

Il finissait par retirer sa main et sortait un carnet noir orné d'un croissant de lune argenté. Je ne l'avais pas remarqué, bloqué entre sa cuisse et la paroi du train. Ma bouche s'asséchait, une boule se formait dans ma gorge.

Le journal que je lui avais offert.

    – Je ne vais plus en avoir besoin. Garde-le.

Il l'avait glissé entre mes mains. Je fixais la reliure, mais ma vue se floutait rapidement. Une larme dévalait ma joue pour s'y écraser. Il faisait preuve d'un calme détaché, peu naturel. Dans son geste, j'entrevoyais le signe qu'à ses yeux, il ne restait plus rien de notre amitié. Qu'aurait-il pu signifier d'autre ?

Dans une secousse, le train s'arrêtait. Autour de nous, les étudiants jaillissant de leurs compartiments étaient atrocement bruyants et pourtant, leur vacarme me paraissait tellement lointain. Si indifférent à la détresse qui se jouait dans mon esprit. Regulus se levait sans que je n'esquisse un geste. Je ne voulais pas le voir partir.

Je sentais alors sa main sur mon épaule, puis ses lèvres sur le haut de mon crâne. La pression de ses doigts trahissait son attitude jusque-là apathique.

Puis il s'en allait.



Je descendais à mon tour du train, serrant fermement le journal contre ma poitrine, ma valise dans l'autre main. Je me sentais complètement désorientée face à l'euphorie qui accompagnait chaque retour du Poudlard Express à Londres. J'étais étrangère à tous ces parents radieux qui enlaçaient leurs enfants. J'avais rallié le quai comme une automate.

    – Bonjour, toi.

Sirius surgissait dans mon champ de vision, un séduisant sourire aux lèvres, et me délestait de mon bagage. Il étudiait attentivement les traits de mon visage. Mon hébétement ne lui échappait pas, je le devinais à ses lèvres soudainement serrées.

    – Rentrons.

Je hochais la tête, incapable de prononcer un mot. Passant un bras autour de ma taille, il m'entraînait vers le pan de mur qui dissimulait la voie 9¾ du reste de la gare King's Cross. Je le laissais faire, soulagée de le voir prendre les choses en main.

Soulagée de l'avoir près de moi.

Nous quittions la gare sans chercher du regard Regulus. Ni l'un, ni l'autre.


    – Bathilda m'a demandé de venir te récupérer. Elle t'organise une fête surprise avec Fleamont et Euphemia.

Je grimaçais à cette idée.

    – Ouais, je sais. J'ai essayé de les dissuader. Si tu ne te sens pas, je suis prêt à te cacher dans mon appartement.

Un maigre sourire flottait sur mes lèvres à sa proposition. C'était tout ce que je parvenais à faire. Sirius s'arrêtait au beau milieu du trottoir pour me faire face, sans se préoccuper des londoniens forcés de nous contourner.

    – Ayden.

Je levais la tête pour le regarder. Son regard paraissait tellement vivant après l'abysse de celui de Regulus. Ses iris grises frémissaient de détermination, de toute la passion qui avait déserté son cadet. Il n'essayait plus de m'arracher un sourire. Il me contemplait avec sérieux.

    – Je te promets que ça ira mieux.

    – Je sais, murmurais-je.


Les parents de James, Lily, le reste des Maraudeurs et Bathilda nous attendaient à Godric's Hollow. Je feignais un ravissement surpris pour ne pas froisser ma grand-tante, elle qui se donnait tant de mal pour moi. Durant le dîner, je parvenais petit à petit à me détendre et à rire sans trop me forcer. Sirius était près de moi tout du long, un bras nonchalamment posé sur le dossier de ma chaise, nos genoux se frôlant sous la table de temps à autre.

À plusieurs reprises, lorsque je tournais la tête vers lui, je le découvrais les yeux déjà posés sur moi.

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