Chapitre 24
C'était la dernière ligne droite jusqu'aux examens de fin d'année. Si je réussissais mes ASPIC, je partirais de Poudlard pour ne jamais revenir. C'était une perspective effrayante, même après ces derniers mois passés dans la solitude. L'école de sorcellerie avait été mon foyer.
Mais l'heure n'était pas encore aux adieux. Les nerfs des septièmes années étaient plus que jamais mis à rude épreuve. Comme chaque année à cette période, l'infirmerie était prise d'assaut. Mrs Pomfresh devait faire face à l'habituelle épidémie de stress avec ces élèves prêts à tout pour survivre à cette période d'examens. La bibliothèque ne désemplissait pas. J'y passais mes soirées, veillant le plus tard possible et oubliant souvent d'aller prendre mes repas. Je n'échappais pas à la tension ambiante, qui avait au moins l'avantage de détourner notre attention de la guerre qui faisait rage hors de l'enceinte.
Un soir de mai, je voyais Mrs Pince rôder de plus en plus fréquemment dans les parages tandis que j'étais penchée sur un manuel d'arithmancie. Je consultais ma montre et décidais qu'il était temps de déserter les lieux. Je n'avais pas envie de me faire jeter une fois de plus dehors par la bibliothécaire revêche.
Pendant que je rassemblais mes affaires, je remarquais avec un pincement au cœur la présence de Regulus, à une table non loin de la Réserve. La tête entre les mains, les jointures blanches à force de serrer ses cheveux comme pour les arracher, il avait le nez plongé dans un grimoire à l'aspect miteux. Je ne reconnaissais pas Secrets les Plus Sombres des Forces du Mal. Depuis les vacances de Pâques, je le voyais de moins en moins accompagné. Taciturne, ses yeux sombres baissés vers le sol. Pendant un instant, j'hésitais à aller le voir, puis l'image de cette funeste soirée au stade de Quidditch me revenait à l'esprit et j'abandonnais l'idée. Je balançais mon sac sur mon épaule, le regret au ventre, et quittais la bibliothèque.
J'avais la tête pleine de calculs compliqués et des dernières paroles échangées avec mon meilleur ami. Mes pieds réglés en mode automatique, j'avais pris un passage secret, raccourci jusqu'à la tour des Serdaigle, lorsque j'entendais des ricanements et une petite voix fluette. Je fronçais les sourcils en me rapprochant de la source de ces bruits.
– S'il vous plaît, miss, monsieur !
Ma bouche s'asséchait brusquement. Je détalais, tout en tirant ma baguette magique de ma poche. Au moment où retentissait un cri de souffrance, je dérapais au détour d'un couloir. Je remarquais d'abord un sandwich éventré au sol, ses composants éparpillés sur la pierre. Un peu plus loin, acculé contre le mur, Broony. L'elfe de maison qui veillait à ce que je mange correctement depuis mon intrusion dans les cuisines en février. Au-dessus de lui, Amycus et Alecto Carrow gloussaient méchamment en l'observant se tordre de douleur, leurs baguettes pointées sur son petit corps frêle. J'entrais dans une fureur noire qui dévorait mes entrailles.
– Expelliarmus !
Les baguettes du frère et de la sœur sautaient de leur main pour atterrir dans la mienne. Ils cessaient de s'esclaffer en se retournant d'un bond dans ma direction.
– Miss Ayden ! couinait Broony.
– Espèce de...
Je levais ma propre baguette pour leur infliger un sort qui leur ferait regretter leur naissance même, mais avant que je n'aie eu le temps de prononcer la moindre incantation, un éclair de lumière sifflait à mes oreilles et les percutait de plein fouet. Ils s'écroulaient comme si on leur avait fauché les jambes.
– IMBÉCILES !
C'était un Regulus enragé qui entrait dans mon champ de vision. Il avait les yeux exorbités, déments, et les criblait de maléfices, encore et encore.
S'il continuait, il allait les tuer.
– Regulus ! REGULUS ! hurlais-je en cherchant à l'écarter.
Mais il semblait fou et n'entendait rien. Aucune injonction ne pouvait interrompre ce déferlement de haine. Les corps des Carrow se tordaient, se convulsaient violemment sur le marbre froid. Pour la première fois, le fils cadet Black m'effrayait.
– Petrificus Totalus !
Mon meilleur ami s'immobilisait enfin, les genoux serrés, les bras collés le long de ses flancs, avant de tomber à la renverse. Le souffle court, je l'enjambais et me précipitais vers l'elfe de maison recroquevillé et tremblant.
Je n'avais pas été élevé dans le mépris des elfes de maison. Je n'avais pas appris à les considérer comme des moins que rien.
Les larmes aux yeux, je prenais Broony dans mes bras, pour le serrer doucement contre ma poitrine.
Un peu plus tard, j'étais dans le bureau du professeur Dumbledore avec Regulus. Amycus, Alecto et Broony avaient été emmenés à l'infirmerie. Assis derrière son bureau, les moins jointes, la mine grave, le directeur nous observait l'un après l'autre. Les professeurs Flitwick et Slughorn, nos directeurs de maison respectifs, l'encadraient.
– Que s'est-il passé ? demandait calmement Dumbledore.
Regulus ne levait pas les yeux de ses pieds. Je prenais une profonde inspiration.
– Je retournais dans mon dortoir quand j'ai entendu du bruit. J'ai reconnu la voix de Broony alors je me suis précipitée. Alecto et Amycus l'avaient coincé dans un coin et le torturaient. Je les ai désarmés puis...
Je jetais un coup d'œil au jeune Black à mes côtés, hésitant à poursuivre mon récit.
– Comment se fait-il qu'un elfe de maison traînait dans les couloirs à cette heure-ci ? intervenait le professeur Slughorn.
– Il m'apportait un sandwich. Il voulait...
Ma gorge se serrait et je me forçais à contrôler mes émotions pour ne pas laisser échapper de sanglots.
– Il s'assurait que je ne saute pas de repas.
Le directeur penchait la tête pour me fixer par-dessus ses lunettes en demi-lune pendant de longues secondes. Enfin, il hochait la tête.
– Bien, Ayden. Tu peux retourner à la tour des Serdaigle.
– Professeur... est-ce que... est-ce que je peux aller voir Broony à l'infirmerie ?
Il me dévisageait encore puis opinait du chef. Avant de quitter la pièce, mon regard s'attardait sur mon meilleur ami qui n'avait toujours pas daigné relever la tête. C'était la première fois que je le voyais d'aussi près depuis des mois. Son aspect décharné déclenchait des frissons dans tout mon corps.
Il n'était plus que l'ombre de lui-même.
La nouvelle avait fait le tour de l'école. Les Carrow s'en prenant à un elfe de maison, la fille Grindelwald et le fils Black les expédiant à l'infirmerie pour leur acte. On chuchotait que Regulus était devenu fou. Une rumeur avait même été lancé sur son possible internement à Ste Mangouste. Une fois les méprisables frère et sœur guéris, ils furent punis, à l'instar de Reg. De mon côté, je ne prêtais pas attention aux commentaires des autres élèves. Certains surmontaient même leur méfiance pour venir m'interroger et nourrir leurs ragots. Je les ignorais tous et allais voir aussi souvent que possible Broony.
C'était à mon tour de veiller sur lui.
Le samedi suivant la dernière épreuve d'ASPIC, je me rendais à Pré-au-Lard. Le soleil était éclatant et promettait une journée magnifique, mais je ne parvenais pas à savourer l'idée d'avoir terminé mes examens. Le départ de Poudlard approchait à grands pas.
Je remontais la rue, des souvenirs plein la tête. Mes premières visites avec Regulus en troisième année, à l'aube de notre amitié. Les emplettes avec Lily au cours de notre scolarité. Mon premier rendez-vous avec Benjamin dans le salon de thé de Madame Pieddodu. Le jour pas si lointain où Remus m'avait avoué son secret devant la Cabane Hurlante. L'après-midi avec Sirius avant les vacances de Pâques.
Je me dirigeais vers Honeydukes et achetais plusieurs paniers de patacitrouilles et de fizwizbiz. Sans m'attarder, je retournais au château et me rendais directement devant le tableau représentant la coupe de fruits. A peine entrée dans les cuisines, j'étais assaillie par les elfes de maison, un Broony rétabli en tête.
– Miss Ayden ! Que pouvons-nous faire pour vous ? Une part de cette tarte que vous aimez tant ?
Je secouais doucement la tête, brusquement émue.
– C'est pour vous remercier que je suis venue aujourd'hui.
Je leur tendais alors les paniers remplis de confiseries. Le silence se faisait dans l'immense salle. Ils me regardaient avec des yeux ronds, abasourdis.
– Vous avez pris soin de moi, balbutiais-je, presque intimidée. Ce n'est pas grand-chose, mais voilà... c'est pour vous.
Ils échangeaient des regards, puis soudainement ils s'inclinaient les uns après les autres, certains les larmes aux yeux. Les remerciements pleuvaient, et je ne parvenais pas à y mettre fin, gênée.
Au bout de quelques minutes, quand ils commençaient à goûter aux sucreries d'Honeydukes, je prenais Broony à part. Je tirais le paquet que j'avais sous le bras pour le lui tendre.
– C'est pour toi.
Je l'encourageais d'un regard et il se décidait à le déballer pour découvrir une couverture d'un bleu profond et d'une douceur inégalée, aussi soyeuse que le pelage de Demiguise. Bathilda l'avait faite elle-même pour moi, quand je n'étais encore qu'un nourrisson. Je n'étais pas en droit d'offrir un vêtement à un elfe de maison, si tant est qu'il en aurait voulu, mais je tenais à le remercier tout particulièrement. Son attitude envers moi m'avait touché plus qu'il ne pouvait l'imaginer.
– Miss Ayden... disait-il, des sanglots plein la voix.
Moi-même, je peinais à contenir mes larmes.
– Merci pour tout, Broony.
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