Chapitre 2
J'accueillais les vacances à bras ouverts. La plupart des élèves rentraient chez eux pour passer le réveillon en famille. Bien que j'aurais aimé retourner à Godric's Hollow pour voir Bathilda, nous avions convenu dès ma première année que je passerais toutes les vacances de Noël au château. Grindelwald n'avait plus cherché à me récupérer depuis la manifestation de ma magie près de dix ans plus tôt, pour autant, je me sentais plus rassurée en restant à l'école de sorcellerie. Et ce, même si mes camarades me battaient froid. Sans ne m'en avoir jamais parlé ouvertement, je savais que Dumbledore avait une histoire commune avec mon père et quelque chose me disait qu'en sa présence, il ne tenterait rien. Malheureusement, si les vacances signifiaient un Poudlard quasiment désert, cela signifiait aussi l'absence de Lily comme de Regulus. Je m'étais abstenue de tout commentaire sur la dernière rencontre avec son frère et il en avait fait de même de son côté. J'avais appris depuis longtemps qu'il valait mieux le laisser s'ouvrir de lui-même plutôt que de le questionner. Je regrettais néanmoins qu'il ne l'ait pas fait avant de retourner chez lui. D'autant plus que cette année, Sirius ne l'accompagnait pas. Il avait quitté le 12 square Grimmaurd un soir de l'été dernier pour ne plus jamais y remettre les pieds.
Le soir du 24 décembre, Slughorn organisait une soirée de réveillon avec le peu d'élèves qui restaient et les membres du corps enseignant. Cet homme avait une capacité extraordinaire à conserver tout son optimisme, même quand le temps était à la suspicion et à la crainte. Je n'avais pas encore décidé si c'était agaçant ou revigorant. Probablement un mélange des deux.
Le professeur McGonagall s'était laissé aller à une petite entorse à son allure sévère en ajoutant à son chapeau de sorcière un élégant ruban nimbé d'une lumière magique. Slughorn lui-même, en hôte parfait, était apprêté dans un superbe habit de soirée vert bouteille, mais toutefois quelque peu gâché par ses pommettes déjà bien rosies par l'hydromel. J'esquissais un sourire lorsqu'il me recevait d'un "Miss Grindelwald ! Quel plaisir de vous voir ici ! Entrez, entrez donc !". Je me faufilais dans le coin le plus éloigné de l'énorme sapin qui dominait la pièce, quand je croisais le regard amusé et pétillant de Dumbledore. Il n'avait pas manqué de remarquer l'état d'ébriété de son maître des potions.
L'espace avait été transformé en salle de réception, décorée en bonne et due forme aux couleurs de Noël. Sur une petite estrade remplaçant le bureau du professeur, je repérais un orchestre tiré à quatre épingles dans leur veste à queue de pie rouge vif. Des elfes de maison zigzaguaient entre les invités, chargés de montagnes de petits fours et d'autres gourmandises, alors que le long buffet agrémenté de fausse neige, de houx et de fées croulait déjà sous la nourriture. Du plafond pendaient des bouquets de gui à intervalles réguliers. L'ensemble respirait le raffinement, quoiqu'un peu kitsch, et auquel manquait cruellement une touche de frivolité.
Je m'armais à mon tour d'une coupe d'hydromel et observais le reste des invités, tous revêtus de leurs plus beaux atours. Alice, de Gryffondor, pour une fois sans l'escorte de Frank, était en grande conversation avec le professeur Flitwick. Dans un autre coin en retrait, Severus Rogue, aussi lugubre qu'à l'accoutumé, se tenait le plus loin possible de deux des Maraudeurs présents. Peter déblatérait avec vigueur devant un Sirius visiblement peu attentif. Ce dernier examinait les personnes présentes d'un air impérieux, parfaitement à l'aise, presque nonchalant. On ne pouvait lui enlever son élégance naturelle, aussi entachée soit-elle par son attitude présomptueuse. Sentant mon regard, il tournait lentement ses yeux gris vers moi. Je ne détournais pas la tête, ne voulant pas lui laisser croire qu'il m'intimidait. Sa bouche s'étirait en un sourire en coin, identique à celui de Regulus, bien que plus insolent. Quel effet cela lui ferait si je lui faisais la remarque ? Slughorn surgissait à nouveau, son corps massif me coupant du regard de Sirius.
– Ma chère Ayden ! Je suis ravi de vous voir parmi nous !
Je retenais un rire en l'entendant se répéter d'une voix plus forte que d'ordinaire. L'alcool continuait visiblement à faire son chemin dans l'organisme de l'honorable Horace. Malgré son ambition dévorante et sa fâcheuse manie de voir les élèves comme d'éventuels trophées, il n'en restait pas moins jovial et agréable.
– Cette robe vous va à ravir ! Quel charme, quelle grâce. Votre mère était une vélane, si je ne m'abuse ?
– Elle avait du sang de vélane, oui, rectifiais-je aimablement.
Mais le moindre de mes muscles s'était tendu. Évoquer une mère que je n'avais pas connu ne manquait jamais de me déclencher des pincements au cœur.
– Ce devait être une sorcière d'une très grande beauté ! assurait-il, sans se rendre compte de mon soudain malaise. Vous êtes issu d'une union des plus incroyables.
Il avait ajouté cela d'un ton complice de conspirateur, penché vers moi, avant de s'esclaffer. Je me sentais brusquement à l'étroit dans ma robe de soirée du bleu de Serdaigle. J'avais conscience que le professeur ne cherchait pas à me mettre dans l'embarras. Au contraire, il portait un véritable intérêt à ma famille. Comme les papillons de nuit par la lumière, Slughorn était attiré par les personnes d'envergure, que lesdites personnes soient aussi peu fréquentables que Gellert Grindelwald ou pas.
– Ah ! Mr McKinnon, quel bonheur !
Le maître des potions avait trouvé une autre victime. Je terminais ma coupe d'une longue gorgée, dans l'espoir de faire disparaître le goût amer que j'avais sur la langue. Dumbledore avait reporté son attention sur moi et me dévisageait derrière ses lunettes en demi-lune. Il donnait l'impression de lire en moi comme dans un livre ouvert. Mais après tout, peut-être était-ce inévitable après m'avoir vu grandir, et cela avant même que je ne sois élève à Poudlard.
– Alors, qu'est-ce que ça fait d'être issue d'une... "union des plus incroyables" ?
La voix froide de Sirius m'arrachait au fil de mes pensées. Je ne m'étais pas aperçue qu'il s'était approché pour remplir son verre à la table la plus proche. À portée d'oreilles. Il n'affichait pas une mine narquoise, pour une fois. L'éternelle lueur moqueuse qui brillait dans ses yeux avait laissé place à une dureté implacable.
– Un autre verre ? enchaînait-il, impassible.
Je le lui tendais, sans détacher mon regard de lui. Après me l'avoir rendu, il s'appuyait contre le mur, une main dans la poche de son pantalon. Il me fixait à nouveau, attendant manifestement une réponse.
– Qu'est-ce que ça fait d'appartenir à la noble lignée des Black ? rétorquais-je.
Mon calme saisissant n'était trahi que par mes doigts contractés autour de ma coupe. Hors de question de lui montrer l'aigreur qui envahissait immanquablement mon corps à l'évocation de ma filiation. Pendant une fraction de seconde, ses traits se durcissaient un peu plus, ses lèvres se serrant jusque dessiner une mince ligne. C'était un coup bas. Son dégoût pour sa famille n'était un secret pour personne. Mais il finissait par éclater d'un rire sans joie.
– Le moins qu'on puisse dire, c'est que vous vous êtes bien trouvé... Embrasse mon petit frère pour moi, ajoutait-il, railleur, en passant à côté de moi pour s'en aller.
J'avais quitté la soirée peu de temps après mon échange avec l'aîné des Black. J'avais plus que mon compte. En regagnant la tour vide des Serdaigle, le peu de paroles que nous avions échangés se répétaient en boucle dans mon esprit. Je ne m'étais jamais trop attardée sur l'attitude de Sirius envers moi et lui-même ne s'intéressait pas vraiment à ma personne en temps normal. Jusqu'à présent, les rares mots que nous nous étions adressés relevaient de la simple salutation en présence de Lily et des autres Maraudeurs. Son intervention m'avait surprise. Et piquée à vif.
En me réveillant le lendemain, le traditionnel panier rempli de victuailles envoyé par Bathilda m'attendait, accompagné d'une magnifique plume aux reflets cuivrés. Je découvrais également un grimoire d'astronomie à la reliure incrustée des différentes phases de la lune, de la part de Lily. J'en caressais la couverture avec un sourire béat et posais délicatement la plume sur ma table de chevet. Une fois le panier mis de côté, je quittais mon lit pour me préparer et prendre le chemin de la Grande Salle. Professeurs et élèves étaient rassemblés autour d'une unique table en ce matin de Noël. Les éclats de rires ponctuaient les conversations et apaisaient ces dernières semaines de doute. L'ambiance était chaleureuse, adoucie par l'esprit de fête qui régnait, et moins guindé que la veille. Slughorn paraissait d'ailleurs moins enthousiaste, assommé par une vilaine gueule de bois.
Après avoir fusillé du regard les douze sapins qui se dressaient le long des murs comme d'épouvantables sentinelles, je me glissais sur le banc, à côté d'un Poufsouffle de troisième année. Le délicieux fumet qui se dégageait des plats me mettait l'eau à la bouche et je ne tardais pas à céder à l'appel lancinant de mon estomac. Des pétards surprises avaient été dispersés un peu partout sur la table, et leurs claquements rythmaient les chansons de Noël qui s'élevaient des quatre coins de la Grande Salle. Je passais toutes les fêtes de fin d'année à Poudlard depuis six ans, et j'étais toujours incapable de déceler la source de ces chants.
J'attaquais mon petit monticule de pancakes quand quelques hiboux faisaient irruption dans la pièce, bien moins nombreux qu'en temps normal. L'un d'eux m'apportait quotidiennement la Gazette des Sorciers. Je le payais distraitement, mon attention détournée par mon appétit. L'épaisse et savoureuse crêpe se transformait cependant en cendres dans ma bouche quand un tintement assourdissant éclatait. Les conversations s'étouffaient à ce son étrangement funèbre. Mathilda Vane avait laissé tomber sa fourchette dans son assiette. Tous les regards convergeaient vers elle. La lèvre tremblante, le visage blafard, elle serrait dans sa main la Gazette. J'attrapais mon propre exemplaire et mon sang se figeait. Sous mes yeux, à la une du journal, s'étalait un crâne de fumée d'où s'échappait un serpent morbide.
La Marque des Ténèbres.
Je gardais mon sang-froid, alors même que j'avais l'impression d'avoir plongé dans l'eau glaciale du lac noir. Ce n'était qu'à ce moment-là que je remarquais l'enveloppe déposée près de mon assiette. Avec des gestes mal assurés, je l'ouvrais et découvrais la photographie en noir et blanc d'une sorcière. Son visage fin était d'une beauté peu commune, presque surnaturelle. Elle était dotée de longs cheveux soyeux que je devinais blonds, savamment arrangés sur une de ses épaules. Celles-ci étaient dénudées par l'élégante robe à l'ancienne mode qu'elle portait. Digne et droite, elle me renvoyait mon regard comme un miroir, l'esquisse d'un sourire flottant sur ses lèvres. Son cou gracile était orné d'une pierre noire montée en pendentif.
Ma gorge se serrait en contemplant les traits délicats de ma mère. Je me forçais à m'en détacher pour lire le message qui accompagnait la photographie. Seulement trois mots.
" Joyeux Noël, Ayden."
Je déglutissais difficilement et faisais habilement disparaître la carte et la photo dans ma robe de sorcière. Mais quand je relevais les yeux, je surprenais le regard de Sirius sur moi.
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