Chapitre 18
– Chaud devant ! claironnait Sirius, baguette levée en direction d'une soupière et d'un saladier en lévitation.
L'intervention de l'aîné Black me ramenait les pieds sur terre. Un sourire apparaissait sur mes lèvres tandis que je m'écartais de la course des deux objets. Les vacances d'hiver avaient débuté depuis quelques jours. Cette fois-ci, je m'étais inscrite sans réfléchir à la liste du professeur McGonagall, comptant les élèves retournant dans leur famille. Cette pause hors des murs de l'école m'offrait un répit bienvenu.
– Par Merlin, Sirius... entendais-je Lily soupirer depuis la salle à manger.
Les mains encombrées par deux bols, j'entrais à mon tour dans la pièce. Sous mes yeux s'étalait une table débordant de victuailles. Parmi les plats, des fleurs de perce-neige et d'hellébore étaient disséminées. Des sphères emplis d'une douce lumière, semblables à des bulles, flottaient dans l'air. Euphemia s'était surpassée. Aurais-je un jour imaginé fêter un anniversaire dans la maison de James Potter ? Certainement pas. Mais pour fêter la venue au monde de Lily, les parents de James avaient insisté pour organiser un dîner. Ils étaient allés jusqu'à retarder la soirée aux vacances pour être certains que nous puissions être présentes Bathilda et moi. Une invitation qui n'avait pas manqué de nous réchauffer le cœur.
Remus était en grande conversation avec ma grand-tante, pendant que James et son père débattaient du vin moldu qui s'accorderait le mieux avec le rôti. Euphemia terminait de concocter un énième met et enfin Sirius raillait Peter. Je prenais deux verres d'hydromel pour en tendre un à Lily, puis nous embrassions du regard cette petite assemblée, suffisamment sereines pour se passer de mot.
– À table tout le monde !
Une fois tous assis et armés d'une coupe, Fleamont prenait la parole, sa main posée sur celle de son épouse.
– Merci à tous d'être présent ce soir pour fêter l'anniversaire de notre chère belle-fille. Euphemia et moi-même sommes ravis de vous avoir avec nous. Nous vivons une époque bien sombre, mais elle nous permet de chérir d'autant plus ces instants de bonheur et d'amour.
Le couple échangeait un regard vibrant de tendresse. Une étrange mais agréable sensation de chaleur envahissait mon corps tandis que nous levions nos verres à la santé de ma meilleure amie.
– Et là ! Qui on voit apparaître, les cheveux en pétard et prête à en découdre !? lançait James.
Je m'esclaffais avec les autres. Sirius et lui s'employaient à nous raconter, avec force détails, l'une de leurs nombreuses escapades nocturnes. Ces deux-là avaient le sens du spectacle, chacun terminant la phrase de l'autre et ponctuant leurs discours de gestes et de mimiques.
– Lily ! aboyait le jeune Black en riant.
Les rires redoublaient. Remus pouffait également, mais personne n'avait remarqué les doigts qu'il portait à sa tempe, comme s'il avait mal au crâne, ou ses traits se contractant régulièrement. Ma meilleure amie secouait la tête, faisant mine de désapprouver les deux amis, bien qu'elle soit aussi hilare que nous. Les fiancés échangeaient un baiser et comme à chaque fois que je les regardais, je songeais qu'il était impossible de douter qu'ils étaient fait l'un pour l'autre.
J'étais habitée par un bien-être total, comme je ne pensais plus en connaître. Les délicieux plats d'Euphemia emplissaient nos estomacs et les anecdotes de chacun maintenaient à distance tout ce qui pouvait nous tourmenter. J'avais ainsi appris beaucoup de frasques des Maraudeurs et Bathilda et les parents Potter nous avaient autant régalés d'histoires.
– Nous passons au dessert ? proposait Euphemia.
Nous étions plusieurs à passer la main sur nos ventres déjà bien tendus. Attrapant quelques plats où ne subsistaient plus que de la sauce, je retournais dans la cuisine, le sourire aux lèvres. Je m'efforçais de trouver une place pour la vaisselle dans l'évier ou sur le plan de travail déjà surchargés lorsque je jetais un coup d'œil vers la fenêtre. Mes yeux se posaient sur la lune qui se découpait dans le ciel noir. Ronde et pleine. Mes gestes se suspendaient, les sourcils froncés. Sirius entrait également mais je ne bronchais pas tandis qu'il se postait à côté de moi. Il suivait mon regard.
Un grand fracas me sortait de ma torpeur, lorsque les assiettes qu'il apportait s'écrasaient au sol. Le Maraudeur avait déjà disparu dans la salle à manger.
– CORNEDRUE !
Je lui emboîtais le pas, baguette tirée. Un immense cerf se tenait dans la pièce, acculant un Remus au visage tordu par la douleur, secoué de violents tremblements. Le même chien noir que celui du Poudlard Express montrait les canines et émettait un grondement sourd. Les pupilles de Lunard se dilataient, des grognements inhumains s'échappaient de sa gorge. Son corps s'agrandissait et se couvrait de poils, déchirant les coutures de ses vêtements. Le faciès de notre ami perdait toute trace de sa gentillesse. Il s'allongeait et se déformait pour ne plus laisser devant nous qu'un impitoyable loup-garou.
Je me plaçais comme rempart devant ma grand-tante, Lily déjà dans la même position devant Euphemia et Fleamont. Le hurlement lupin me glaçait le sang. Patmol aboyait, féroce. Cornedrue repoussait de ses bois la créature vers la porte. Mais la bête ne l'entendait pas de cette oreille et cherchait à nous atteindre. C'était une scène absolument terrifiante. D'affreux claquements de mâchoire résonnaient, le loup rendu fou par toute cette chair humaine. La salle à manger, vaste d'ordinaire, semblait terriblement exiguë pour accueillir un loup guidé par un instinct meurtrier, un cervidé, un canidé et cinq personnes. Le cerf frappait le sol de ses sabots et s'efforçait toujours de l'éloigner, tandis que le chien lui venait en aide en l'assaillant, mordant sa patte pour le tirer également. J'envoyais valser la porte d'entrée d'un sortilège pour leur faciliter l'accès. Ce fut au prix d'une lutte agressive qu'ils parvenaient à lui faire franchir le seuil. Patmol détalait dans la neige, le lycanthrope à ses trousses. Cornedrue tournait la tête dans la direction de Lily avant de les suivre.
Les glapissements disparaissaient petit à petit, rendant le silence presque assourdissant. Les cœurs battant la chamade, hébétés, nous n'avions plus esquissé le moindre mouvement. La table et les décorations avaient été piétinés, les sièges renversés. Plusieurs des sphères magiques avaient implosés, nous plongeant dans une demi-obscurité. Les restes de notre repas si chaleureux étaient éparpillés à même le sol. Nous échangions un regard avec Lily. Je me dirigeais vers la porte défoncée pendant qu'elle s'occupait de l'accès arrière de la maison, disposant des sorts de protection tout autour.
– Comment...? Comment avons-nous pu oublier...? balbutiait-elle lorsque nous fermions le cercle du bouclier.
Je me posais la même question. Comment était-ce possible ? Nous n'aurions jamais, jamais, dû nous laisser surprendre par la pleine lune. Incapable de lui fournir une réponse, je l'entraînais à nouveau à l'intérieur.
– Où est Peter ?
Je ne remarquais que maintenant que le dernier des Maraudeurs avait lui aussi disparu.
Le reste de la nuit fut long et difficile. Des heures passées dans l'attente. Toute trace de combat avait été effacé. Je m'étais échinée à tout ranger et nettoyer, refusant de rester les bras ballants. J'avais auparavant raccompagné Bathilda à Godric's Hollow. Elle n'était plus de toute prime jeunesse et je lui en faisais suffisamment voir comme ça. Elle avait besoin de repos et Lily et moi avions également forcé les parents de James à tenter de faire de même. Une fois la maison remise en état, nous nous étions employés à mijoter des potions et autres baumes cicatrisants. Nous ne parlions qu'à demi-mots, trop préoccupées pour avoir une discussion cohérente. Encore et encore, je m'interrogeais. Il y avait quelque chose d'étrange. Comment se faisait-il que nous avions tous, sans exception, omis la pleine lune ? C'était comme si... comme si nous avions tous été atteint d'un sortilège de Confusion.
Ce n'était qu'au lever du soleil qu'ils réapparurent. James s'était délesté de sa chemise pour cacher tant bien que mal la nudité de Remus. Celui-ci était soutenu par ses deux amis. Son visage était anormalement pâle et ses cicatrices ressortaient plus crûment qu'à l'accoutumé. Chacun d'eux portait des traces de leur affrontement.
Ils escortaient Lunard à l'étage pour qu'il puisse se reposer dans la chambre d'ami. Lily restait en haut afin lui de lui administrer quelques soins, avant de s'occuper de James. Sirius redescendait et s'écroulait lourdement dans le canapé. Du sang coagulé couvrait une bonne partie de son avant-bras, ainsi que le haut de son dos. Je lui tendais une des potions sans un mot, qu'il avalait sans rechigner.
– Montre, disais-je en m'emparant d'un bol rempli d'onguent.
Il se débarrassait à son tour de sa chemise en piteux état. Je pinçais les lèvres en découvrant ses blessures, mais je tâchais de ne rien laisser paraître. Il ne bronchait pas tandis que j'appliquais la pommade. Plusieurs minutes passaient ainsi.
– Ça n'aurait pas dû se produire. J'aurais dû y penser.
Sa voix était basse et rauque lorsqu'il prenait la parole. Mes doigts se figeaient quelques instants au-dessus de sa peau labourée.
– Tu n'es pas responsable, Sirius. Nous... aucun de nous n'y a pensé.
À nouveau, ce constat me sautait à la gorge. Mes réflexions revenaient au galop. Par la barbe de Merlin, que s'était-il passé pour que nous ayons tous été comme frappés d'amnésie !
– Non, tu ne comprends pas... soupirait-il. Il s'est déjà passé quelque chose de semblable quand on était en cinquième année... Et c'était entièrement ma faute. Lunard s'en était terriblement voulu.
L'idée que Remus soit à jamais hanté par son acte le tourmentait bien plus que les plaies qu'il avait récoltées.
– Je me souviens quand on a découvert que c'était un loup-garou... reprenait-il.
À nouveau, je suspendais mon geste pour l'écouter en examinant son profil.
– Il était terrifié. Il était persuadé qu'on allait le rejeter.
Je n'étais pas sans savoir la peur viscérale qu'avait Remus d'être répudié. Il avait eu bien du mal à me dévoiler son secret, et sûrement ne l'aurait-il jamais fait si je n'avais pas commencé à avoir des soupçons. Je revoyais parfaitement son expression pleine d'appréhension. Mais je n'imaginais pas que Sirius puisse être à ce point inquiet de ce que ressentirait notre ami. Oh j'avais conscience que les Maraudeurs partageaient un lien solide, qu'ils étaient comme des frères, mais c'était différent de le constater au détour d'un couloir à Poudlard et ici, dans l'intimité de la maison Potter.
Sirius avait les yeux perdus dans le vide. C'était la première fois que je le voyais aussi désemparé.
– J'aurai dû lui épargner ça... concluait-il.
Je découvrais de nouvelles facettes de la personnalité de l'aîné Black, rééquilibrant progressivement l'image hautaine et impétueuse que je m'étais construite de lui pendant toutes ces années.
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