Chapitre 16

Il nous avait fallu cinq bonnes minutes pour nous calmer, après quoi Sirius avait fini par se remettre debout en me tendant la main. J'acceptais son aide volontiers pour me relever. L'effet de l'adrénaline dissipée, mes blessures se rappelaient à présent brutalement à moi. Ma cheville enflée, pas plus que mon mollet écorché, n'acceptaient de me porter et je me serais lamentablement effondrée dans les toilettes s'il ne m'avait pas rattrapé. Je grimaçais pendant qu'il examinait rapidement ma jambe.

    – Il faut faire quelque chose pour ça.

    – Je dois rentrer. Ma grand-tante doit être complètement paniquée. Elle doit avoir de l'essence de dictame.

Il hochait la tête et avec son appui, nous quittions la salle de bain, laissant dernière nous le fantôme de notre rire, ce rire qui marquait le départ de notre nouvelle relation.

Difficilement, nous parvenions au bas des marches. Je n'avais pas attentivement regardé l'état dans lequel se trouvait les autres mais ils ne valaient guère mieux que nous. Chacun présentait des marques, des traces de sang et de poussière. Mais ils étaient vivants. Euphemia, fidèle à ses habitudes, avait préparé des litres de thé pour tout le monde.

    – Je vais raccompagner Ayden, annonçait Sirius.

Nous n'avions pas convenu cela et je m'apprêtais à protester, avant de me souvenir que j'avais manqué atterrir les fesses dans la cuvette sans son soutien. La mère de James ainsi que Lily se redressaient comme des ressorts.

    – Vous êtes sûrs ? Ayden, tu es la bienvenue ici... proposait Fleamont.

    – Merci beaucoup, mais Bathilda est sûrement en train de se faire un sang d'encre... refusais-je gentiment, touchée.


Une dizaine de minutes plus tard, nous étions à Godric's Hollow. Je guidais Sirius dans les rues jusqu'à la maison où nous vivions. Le trajet ne m'avait jamais paru aussi long, avec son bras qui entourait ma taille et ma minable démarche, moitié sautillante, moitié boitillante. Lorsqu'il frappait à la porte, c'était une Bathilda folle d'inquiétude qui nous ouvrait. Et me voir revenir couverte de sang, à moitié appuyée contre un inconnu, n'arrangeait pas les choses. Une fois n'est pas coutume, je m'en voulais de lui causer autant de souci. Elle couinait mon prénom et nous faisait précipitamment entrer. L'aîné Black m'accompagnait jusqu'au salon pour me déposer dans l'un des fauteuils qui occupaient la pièce. Je soulevais avec une nouvelle grimace ma jambe sur le repose-pied tandis que Bathilda disparaissait chercher l'essence de dictame.

Voir Sirius dans ma maison, entre les murs qui m'avaient vu grandir, avait quelque chose de perturbant. Mon cerveau s'activait pour analyser la pièce, recherchant tous les indices qu'il pouvait trouver en regardant autour de lui. Les photographies sur les étagères, la décoration légèrement dépassée. Il pénétrait dans mon espace, dans mon intimité. Je reprenais la parole pour le distraire.

    – Merci de m'avoir ramené. Attention, elle va te proposer à boire, ajoutais-je dans un souffle en entendant la vieille dame revenir.

    – Je n'ai plus d'essence de dictame, débitait-elle, agitée. Il va falloir que je te prépare un onguent, Ayden. Jeune homme, pourriez-vous prendre la bouteille de Whisky Pur Feu qui est dans cette commode ? J'ai bien besoin d'un remontant.

Je haussais un sourcil et retenais un éclat de rire. Mais mon envie de rire s'étouffait rapidement en la voyant aussi nerveuse. Je me redressais et attrapais les mains tremblantes de ma grand-tante pour les serrer dans les miennes.

    – Bathilda, je vais bien. Je suis là et ce n'est pas une blessure grave. Je vais bien. Excuse-moi de t'avoir inquiété...

Elle me regardait au son de mes paroles qui se voulaient réconfortantes. Ses yeux brillaient. Elle se calmait quelque peu et l'ébauche d'un infime sourire étirait sa bouche. Libérant une de ses mains, elle la passait sur ma joue et sous mon menton dans une caresse maternelle. Le fait que Sirius assiste à cette tendresse intime m'aurait mise mal à l'aise si je ne culpabilisais pas autant d'être la source de tant de tracas à Bathilda.

Le jeune Black avait fini par prendre congé, après avoir refusé un verre d'alcool, un bol de bouillon et un morceau de pudding. Elle l'avait néanmoins obligé à repartir avec l'excès d'onguent cicatrisant qu'elle avait préparé.


Le lendemain, c'était avec les membres ankylosés et chacun de mes muscles douloureux que je me levais. J'étais parvenue à faire disparaître toute la crasse et le sang coagulé avant d'aller me coucher, mais me restait une coupure à l'arcade et une légère claudication. Je n'avais que peu dormi, l'esprit survolté.

Un peu plus tard dans la journée, Lily venait nous rendre visite. Nous restions avec Bathilda, jusqu'à ce qu'elle nous annonce avoir besoin de se reposer un peu. En la regardant s'éloigner vers l'escalier, la vieillesse fragilisant son maintien, les remords se rappelaient à moi. Je n'avais de cesse de chambouler son existence depuis qu'elle m'avait accueilli comme sa fille.

    – Comment tu te sens ?

Nous étions sorties et marchions à présent à travers le village. C'était une journée semblable à celle où ma magie s'était manifestée. La neige tombait paresseusement autour de nous, étouffant le bruit de nos pas.

    – Comme toi, je suppose... soupirais-je.

J'étais hantée. Mais après tout, nous l'étions tous, n'est-ce pas ?

    – Je sais, je veux dire...

Je savais ce qu'elle voulait dire. Elle pensait à Regulus. Elle ne l'avait jamais apprécié, elle m'avait mise en garde contre lui, mais elle avait également conscience de l'importance qu'il avait pour moi. Bien trop souvent, j'oubliais qu'elle aussi, elle avait perdu son meilleur ami à cause de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.

    – J'ai encore du mal à.... commençais-je, avant de m'interrompre pour prendre une inspiration. ...me rendre compte. J'étais persuadée que je pourrais le sauver...

Elle lâchait un long soupir et glissait son bras sous le mien. Les yeux levés vers le ciel d'une blancheur virginale, elle semblait en proie à la mélancolie.

    – Quand Severus m'a traité de sang-de-bourbe, j'ai cru que tout implosait. Il était mon pilier depuis tellement longtemps, c'est lui qui m'avait appris que j'étais une sorcière. Nous avions parlé de Poudlard encore et encore, nous étions inséparables...

Je me souvenais de ce jour-là, près du lac. Lily venait de passer son épreuve de BUSE de Défense contre les forces du mal. J'étais avec elle lorsque James et Sirius avaient une fois de plus humilié le fils Rogue. Je n'avais jamais vu Lily aussi furieuse. Aussi blessée.

    – Je l'avais tellement défendu. Je lui avais trouvé tellement d'excuses...

Elle secouait doucement la tête, comme si elle cherchait à chasser tous ces souvenirs de son esprit. Je comprenais que sa blessure ne s'était jamais complètement refermée.

    – Je savais depuis un moment que Regulus était devenu un mangemort. Et tu sais, même s'il n'y avait pas eu l'attaque sur le Chemin de Traverse, ce jour-là avant la rentrée, je ne sais pas si j'aurais eu le courage de te l'avouer.

    – A ta décharge, je n'ai jamais été très commode quand il s'agit de Reg...

J'avais même été une piètre amie en me comportant aussi sèchement avec elle. Elle se stoppait pour se tourner vers moi.

    – Non, j'aurais dû te prévenir dès que je l'ai appris. C'est ça aussi, l'amitié. Dire honnêtement les choses à l'autre, les bonnes comme les mauvaises. Surtout les mauvaises, malgré la peur de blesser ou d'être rejeté, si c'est pour son bien... Je n'aurais pas dû te laisser vivre la même chose que Severus et moi.

    – Tu n'as rien à te reprocher, Lily. J'avais les réponses sous les yeux depuis longtemps et c'est moi, et moi seule, qui ai décidé de rester aveugle. Je m'en voudrais toute ma vie de ne pas avoir réussi à le sauver, mais... je commence aussi à comprendre qu'on ne peut pas sauver une personne qui ne le veut pas...


L'attaque du Ministère de la Magie avait fait couler beaucoup d'encre. Chez les sorciers, la Gazette évoquait une lutte sans merci pour protéger le symbole de l'autorité contre les mangemorts. Un combat pour la liberté, une victoire contre les forces du mal. On vantait la puissance du ministère, qui était parvenu à repousser l'envahisseur. Un ramassis patriotique qui passait sous silence la boucherie qui avait résulté de cet affrontement. Les journaux moldus, eux, comptabilisaient les morts mais peinaient à en trouver une explication. Explosion de gaz ? Guerre de rue ? Attaque terroriste ? Les agents du ministère avaient bien travaillé, et tous les moldus qui avaient assisté aux échanges de sort et aux transplanages avaient soigneusement été oublietté. Valaient-ils mieux faire disparaître toutes ces images ? Ignorer combien la période que nous vivions était sombre ? Faire semblant ? Je ne parvenais pas à décider s'il était cruel ou si c'était rendre service de la part des sorciers d'effacer les souvenirs de tous ces gens.

Pour ma part, je ne pouvais occulter cet évènement de mon esprit. Tout comme ce qu'il laissait supposer. À de nombreuses reprises, pendant le peu de jours qui me restaient à Godric's Hollow, je me surprenais à me remémorer cette nuit devant la cabine téléphonique, à la recherche d'indices sur la présence de Regulus. Hormis Bellatrix et Greyback, rien ne différenciait un mangemort d'un autre, caché comme ils l'étaient par ces masques d'argent sans âme. Un frisson me parcourait tandis que j'y songeais une fois de plus, la veille du retour à Poudlard.

    – Je vais me doucher ! disais-je me levant brusquement du fauteuil dans lequel je lisais la biographie d'un sorcier astronome libanais.

Bathilda me suivait du regard tandis que je quittais le salon. Je restais un long moment sous l'eau chaude, la laissant dénouer les nœuds de mes muscles. Les yeux fermés, je tentais de me délasser et de ne plus penser à rien. Mais depuis quand étais-je capable de stopper le régime de mon cerveau ? Je m'étais toujours tournée vers Regulus lorsque j'étais préoccupée. Que je choisisse de parler ou non, il savait me comprendre, à travers quelques mots ou un simple regard. Mais à présent que c'était pour lui que je me tourmentais le plus, qui saurait m'apaiser comme il le faisait ?


Après une petite éternité, je sortais de la douche et affrontais mon reflet dans le miroir. La jeune fille qui me faisait face avait beaucoup changé depuis son entrée en première année à Poudlard. Son visage de femme portait déjà les marques de l'inquiétude, si on y prêtait assez d'attention. Il suffisait de gratter un peu sous l'aura de vélane héritée d'Anjelika, pour découvrir ce que cachaient ces cheveux blonds et ces yeux verts. Je me détournais pour m'habiller, notant quelques nouvelles cicatrices sur ma peau, puis attrapais ma brosse à cheveux. Une fois revenue dans le salon, ma grand-tante levait une nouvelle fois les yeux sur moi. D'un signe, elle m'invitait à m'asseoir sur le repose-pied, devant son propre fauteuil, comme je l'avais si souvent fait petite. Elle prenait ensuite la brosse de ma main et entreprenait de démêler elle-même mes boucles avec des gestes empreints d'amour. Je fermais les paupières pour en savourer la caresse. Nous avions instauré ce rituel depuis ma plus tendre enfance.

Ce soir-là, je retrouvais ces douces sensations avec bonheur.

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