Chapitre 10
Il ne restait que deux semaines de vacances avant notre rentrée en septième année. Il avait fallu l'intervention du hasard pour avoir des nouvelles de Regulus. Aucune réponse ne m'était parvenue après les trois lettres que je lui avais envoyées et j'avais dû me faire violence pour ne pas l'inonder de hiboux.
Le Chemin de Traverse grouillait de sorcières et de sorciers. Le glacier de Florian Fortarôme était pris d'assaut, tout comme le Chaudron Baveur. Gringotts comptait d'innombrables allées et venues entre ses murs de marbre. La rentrée prochaine à Poudlard n'était pas étrangère à cette foule qui se pressait dans la rue, et cela, malgré l'ombre que projetait Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer sur le monde des sorciers. Pas une boutique n'était déserte le long de la longue avenue, même celles qui ne fournissaient aucune fourniture essentielle aux élèves.
Lily avait proposé de m'accompagner préparer ma dernière rentrée à l'école de sorcellerie. Plus exubérante qu'en temps normal, elle parlait et riait fort tandis que nous nous baladions sur le Chemin. J'esquissais un léger sourire devant son attitude, mettant cette dernière sur le compte de ses récentes fiançailles avec James. Il la rendait si vivante, si heureuse, que je ne pouvais pas lui reprocher son épuisante énergie.
- ...tu te souviens de Dursley ? Tu sais, le petit ami de ma sœur ? Je t'en ai déjà parlé, non ? Eh bien...
Continuait-elle de débiter à une vitesse vertigineuse. Je l'écoutais attentivement, riais à sa description peu glorieuse du fameux Vernon. Lily avait une bonne humeur contagieuse, qui agissait comme un baume sur mes perpétuelles inquiétudes. Il était bon de la côtoyer, elle et sa douceur, elle et cette insouciance qui me manquait cruellement.
Nous étions sur l'avenue marchande depuis une bonne heure déjà. Nouveaux livres acquis, léchage de vitrines fait en bonne et due forme, nous nous dirigions à présent vers l'échoppe de Fortarôme. Alors que nous attendions patiemment notre tour, je sentais Lily devenir plus fébrile. Elle se tordait les mains, regardait partout autour de nous et me renvoyait un rapide sourire, un peu gênée, quand elle croisait mon regard. Je commençais à me demander si son comportement n'avait pas autre chose à voir que James. Mais j'en avais assez de devoir tout interpréter. Gérer le silence de Regulus était suffisamment éprouvant pour que je fasse de même avec l'apparente nervosité de ma meilleure amie.
Quand une ancienne camarade de Gryffondor se précipitait vers elle, je haussais un sourcil. Le surplus d'exaltation de la nouvelle venue me laissait dubitative, plus encore lorsqu'elle m'ignorait ouvertement. Je ne m'attardais pas outre mesure et me désintéressais rapidement de la conversation. Surtout que je venais de repérer une silhouette familière.
- Regulus !
Je me lançais à sa poursuite, sans réfléchir, sans prendre le temps de dire un mot à la jolie rousse à mes côtés. Parvenant à sa hauteur, j'attrapais son bras avec un grand sourire. Mais mon enthousiasme s'étouffait aussi rapidement qu'il était apparu. Au vu de son expression marmoréenne, je comprenais qu'il ne s'attendait pas à me voir ici. La lumière crue du soleil exposait les cernes qui creusaient son visage, plus fin que la dernière fois où nous nous étions vus, sur le quai 9¾. Ses pommettes paraissaient plus saillantes, comme s'il avait perdu du poids. J'essayais de plaquer un nouveau sourire sur mes lèvres, mais le voir ainsi me bouleversait.
- Ayden, se contentait-il de dire, impassible.
- C'est bon de te voir, bredouillais-je, en le serrant dans mes bras. Tu n'as pas répondu à mes lettres, je me faisais du souci.
Je sentais ses muscles se contracter contre moi, ce qui me désolait. Sa mère était-elle dans le coin ? Était-ce pour cela qu'il restait aussi distant ? Je m'écartais, cherchais à étudier ses traits. Pour la première fois, je ne savais pas comment me comporter avec lui. Il agissait comme un étranger, raide, incapable de laisser son regard s'attarder dans le mien.
- Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Emplettes de rentrée.
Il hochait brièvement la tête, puis continuait à jeter des coups d'œil aux alentours. Comme s'il surveillait quelque chose. Enfin, ses yeux s'immobilisaient dans les miens, implacables.
- Tu ne devrais pas être ici, Ayden.
Il m'aurait jeté un sortilège d'Expulsion en pleine figure que cela m'aurait fait le même effet. À nouveau, il inspectait le Chemin de Traverse.
- Regulus, à quoi tu joues...? commençais-je.
- Il faut que tu partes, Ayden. Maintenant.
Le voir me tourner le dos et s'éloigner finissait de me désarçonner. Je l'observais tandis qu'il disparaissait dans la foule. Je restais plusieurs minutes sans bouger, interdite.
Le lendemain matin, je n'avais pas besoin d'ouvrir la Gazette du Sorcier pour savoir ce qu'il s'y trouvait.
J'y étais. J'étais là quand la vitrine de l'apothicaire avait explosé, envoyant une gerbe de verre sur les passants. J'étais là quand d'épaisses fumées noires, caractéristique des transplanages des mangemorts, avaient fendu la foule, provoquant des hurlements à glacer le sang et semant la désolation. Je sentais encore l'odeur de brûlé qui s'était répandu dans toute la rue, les cris de terreur continuaient de me transpercer les oreilles. J'étais hantée par l'épouvante qui avait imprégné chaque fibre de mon corps, par la vision de ces gens paniqués. Les adultes comme les enfants, sans distinction, victimes d'une folie meurtrière.
L'assaut avait été aussi rapide que dévastateur.
J'avais instinctivement lancé des sorts, mais je n'étais pas certaine de leur utilité. Déjà, les traînées noires des mangemorts s'étaient dissipées. Des aurors avaient surgi, mais c'était trop tard.
Une cascade de cheveux roux envahissait mon champ de vision, me dissimulant ce décor de désolation. Mon corps subissait brutalement une pression énorme, je suffoquais comme si on faisait passer mes poumons dans un tube étroit. Pendant un instant, je croyais avoir reçu un maléfice, mais une fraction de seconde plus tard, nous étions devant la porte de James Potter. Dans la précipitation, sur le coup de l'émotion, Lily avait directement transplané chez lui. J'étais trop préoccupée pour me sentir embarrassée de débarquer ainsi à l'improviste chez les parents Potter, moi qui ne les avais rencontrés qu'une seule fois. Leur fils était absent, mais ne devait pas tarder à rentrer.
Euphemia Potter nous avait préparé à chacune une immense tasse de thé fumant. Installés dans le living-room, Lily s'employait à leur relater les évènements, tandis que j'avais les yeux fixés dans le vide. Là sans être là, l'esprit embrumé par ma rencontre avec Regulus et le malheur qui avait suivi.
Jusqu'à ce que je voie par la fenêtre, dans le champ qui bordait la maison familiale, un cerf escorté par un grand chien noir. Ce dernier me rappelait étrangement le molosse du Poudlard Express, presque deux mois plus tôt. Les sourcils froncés, penchant un peu la tête sur le côté, je les regardais s'approcher. Et j'assistais à la transformation de James Potter et Sirius Black, riant aux éclats.
Je sautais brusquement sur mes pieds, comme montée sur ressort, faisant sursauter Fleamont, Euphemia et Lily. Sans leur accorder un regard, je quittais la pièce. Mue par la rage, j'émergeais de la maison comme une tornade.
- Tu te fous de moi !? tonnais-je à l'intention de Sirius.
Il se figeait en me voyant approcher. Ma vision se teintait du rouge de la colère en me remémorant les paroles que j'avais échangé avec Regulus dans le train, pendant que je caressais le poil lustré du chien.
- Espèce de... commençais-je, en tirant ma baguette de ma poche.
Je n'avais pas l'occasion de proférer la délicieuse injure que je lui réservais, ni de lui lancer un sortilège.
- Expelliarmus !
Ma baguette s'envolait soudainement de ma main, pour atterrir dans celle de James. La surprise me clouait brièvement sur place, le temps de lui jeter un regard vénéneux, avant de reporter mon attention sur l'aîné Black. Ce dernier me dévisageait, les sourcils légèrement froncés, les lèvres pincées. Ma fureur redoublait d'intensité. J'aurais pu hurler en me remémorant mes pitoyables roucoulades. J'avais dorloté ce crétin arrogant !
- Par Merlin, Ayden, qu'est-ce qu'il te prend ! s'exclamait le fiancé de Lily, indigné.
Mais je ne comptais pas me laisser démonter, car mon engouement enfantin face au chien n'était même pas le pire dans cette histoire. Franchissant les derniers pas qui nous séparait, je giflais Sirius. Le claquement sec résonnait dans mes oreilles.
James restait médusé devant mon geste, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte, mais je l'ignorais. J'avais beau faire une tête de moins que lui, je n'étais pas le moins du monde impressionnée quand je plantais mes yeux dans ceux de l'aîné Black. Il encaissait ma claque sans broncher mais je voyais ses prunelles flamboyer et sa mâchoire se contracter. Je disais à voix basse, véhémente :
- T'es vraiment qu'un enfoiré. Tu l'as entendu. Tu savais qu'il avait besoin de te parler. Et tu lui as tourné le dos. Encore une fois.
Depuis que j'étais rentrée à Godric's Hollow la veille, peu de temps après mon coup d'éclat, je ne cessais de voir les deux visages des frères Black dans mon esprit. Se superposant et s'éloignant tour à tour. Je revoyais Regulus fuir mon regard, m'exhorter à quitter le Chemin de Traverse, peu de temps avant qu'il ne soit attaqué. Je revoyais Sirius soutenir ce même regard, ne prononcer aucun mot tandis que je déversais ma colère sur lui.
Je repensais à l'été où tout avait basculé pour les deux frères, un an plus tôt. Je songeais aux dernières vacances de Noël, à la manie de mon ami de se gratter l'avant-bras gauche ensuite. Je réentendais les avertissements successifs de Sirius pendant notre retenue commune et ceux de Remus à la bibliothèque. Je rejouais dans mon esprit notre dernier voyage dans le Poudlard Express et l'expression de dégoût qu'avait affiché Regulus en voyant Benjamin.
Je déglutissais difficilement.
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