Je t'aime
Lieu choisi : le désert
Un souffle d'air chaud me cuit le visage alors que je descends péniblement du quatre-quatre que j'ai loué pour venir jusqu'ici. Je pose un pied dans le sable brûlant, ce sable que j'ai quitté voilà quarante ans, en même temps que mes amis, ma famille, et elle. Je soupire. Elle... Katerina... La femme de ma vie... Elle n'avait pas voulu me suivre quand j'étais parti faire des études et trouver un métier renommé. Je suis devenu un célèbre architecte, reconnu partout, mais j'ai toujours senti qu'il me manquait quelque chose. Je suis revenu le chercher, Katerina, j'arrive !
L'imposant mur de béton froid qui entoure la petite cité n'a pas changé ; toujours aussi accueillant ! Mais je le sais brûlant, gorgé de la lumière du soleil, il n'attend que moi ! Malgré mes soixante ans, je commence à courir vers les portes ouvertes de la ville. Plusieurs fois je manque de trébucher, ma hâte rends mes pas imprécis et le temps m'a fait oublier l'effort de courir dans le sable fourbe, qui ne semble vouloir qu'une chose : nous recouvrir tout entier et nous dévorer.
Je finis par ralentir, les jambes raides. Je n'ai pas eu à courir depuis longtemps, je n'ai plus vraiment d'endurance. Et ce n'est pas l'âge qui va arranger les choses ! Mais je ne m'arrête pas et continue de crapahuter jusqu'à la ville. Je me serai bien avancé avec le quatre-quatre, mais les véhicules motorisés sont interdits à moins de cent mètres de la ville, pour ne pas la polluer. Enfin, dans mes souvenirs ! J'inspire profondément. Un mélange d'épices et de plantes, mêlé à l'odeur âcre du désert s'infiltre dans mon nez jusqu'à mon cœur.
Je finis par arriver devant les imposants battants de bois repoussés sur les côtés et pénètre dans la ville. Aussitôt, une avalanche de sons, d'odeurs, d'images et de souvenirs s'imposent à moi. Les cris émanant du marché, les piaillements des oiseaux de feu qui viennent se désaltérer à l'oasis, le parfum des fruits de la boutique de Vinia, les marchants d'épices, la poussière soulevée à chaque pas...
La rue principale s'offre à moi avec ses pavés polis par le temps à moitié recouverts de sable, ses innombrables commerces, et tout au bout, l'oasis. Un sentiment d'exaltation s'empare de moi quand j'aperçois le petit lac azur au loin, avec ses innombrables bassins autour, et ses palmiers, ses dattiers et toute sa végétation si verte, qui résonne en moi au milieu de ce sable et de cette ville mordorés.
En marchant en direction de ce petit paradis de fraîcheur, je m'aperçois soudain que je ne reconnais personne. Pourtant, c'est une petite ville, tout le monde connaît tout le monde, au moins de vue. Je m'arrête, pensif. Je devrais aller voir Vinia, c'est une bonne amie, et la sœur de Katerina. Je lui demanderai où elle est et je lui achèterai quelques fruits.
Je rebrousse lentement chemin et entre dans la boutique de Vinia. Un carillon de métal sonne quand j'ouvre la porte. Aussitôt, j'ai l'impression d'être revenu dans le passé. Pourtant toute la décoration a changé, il ne reste de la boutique que j'ai connue que la disposition des pièces et le parfum harmonieux des fruits mûrs.
J'entends quelques pas précipités et une jeune femme brune aux yeux vifs et au sourire volontaire apparaît. Je reste bouche-bée.
- Vi... Vinia ?
Elle rit.
- Ah, vous cherchez ma mère ! Elle se repose à l'étage, mais je peux sûrement vous aider ! Je suis Lilas, sa fille.
Je cligne plusieurs fois des yeux, la ressemblance est frappante, et demande :
- Heu, un panier de myrtilles s'il vous plaît. Et, pourriez vous me dire où je peux trouver Katerina Solia ?
La jeune femme attrapa un petit panier plein de myrtilles et répondit :
- Oh, mmmh... Je crois qu'elle prend le soleil près de l'oasis, vers le bassin du Sagittaire.
- Merci beaucoup ! Et vous pourrez dire à votre mère que David est passé et qu'il reviendra bientôt ?
Elle écarquilla les yeux.
- David... Tréomne ?
- Heu, oui, pourquoi ?
- Mais vous êtes une vraie légende ici ! Vous savez quoi ? Allez voir Katerina, ça fait quarante ans qu'elle vous attend ! Puis revenez ici, maman va être folle de joie !!!
Elle commença à sautiller partout, surexcitée.
- Hum, combien je vous dois ?
Elle me regarda comme si j'étais devenu fou.
- Oh, pour vous c'est gratuit ! Aller, filez retrouver votre chérie !
Je ne lui demande même pas comment elle sait qu'on était amoureux Katerina et moi, mais que je suis parti alors que nous venions de nous avouer nos sentiments et je sors en vitesse de la boutique. Dehors, le brouhaha de la cité me semble être un bourdonnement alors que je m'engage d'un pas rapide sur la grande rue.
Il me faut une bonne dizaine de minutes pour parvenir à l'oasis, ça me semble interminable ! Dans mes souvenirs, de la porte principale à l'oasis, il y avait cinq minutes, tout au plus. Après, j'étais jeune et j'y allais en courant. Je souris.
Finalement, j'arrive au petit lac. Je prends un chemin bordé de buissons et de palmiers qui descend vers le sud du lac, où se trouve le bassin du Sagittaire. Le soir commence doucement à tomber, la chaleur étouffante se mue en agréable tiédeur et le soleil se fait doré. Finalement, au détour d'un virage, je la vois. Elle est en face, de dos, assise sur un rocher, les pieds dans le bassin. Je devine son regard, perdu dans le lointain, imaginant mille et une formes aux nuages vagabonds.
J'ai l'impression que ce sentier sur lequel je marche est en réalité le chemin de toute ma vie, qui après bien des tours et détours, me mène finalement à Katerina, la femme de ma vie. Trop aimée pour être oubliée, trop rêvée pour y renoncer, trop crainte pour revenir. Mais maintenant c'est terminé. Envolés mes peurs et mes doutes, seule compte la femme derrière laquelle je me tiens à présent, un panier de ses fruits préférés dans une main, et l'autre suspendue au-dessus de son épaule.
Je retiens mon souffle. J'ai tellement imaginé ce moment ! Finalement, je pose ma main et murmure :
- Katerina ?
Elle sursaute et se retourne vivement. Durant quelques instants nous restons figés. Nous nous dévisageons, nous reconnaissons peu à peu. Son visage est toujours aussi beau, même marqué de rides, et ses yeux rient encore, eux, ils n'ont pas changé. Elle a laissé pousser ses cheveux roux sombre, qui se sont transformés en une longue et épaisse tresse posée sur son épaule.
- David ? demande t-elle.
Je frissonne. Sa voix est si belle, vibrante et caressante, comme une rivière forestière. Maladroitement, je lui tends mon panier :
- Tiens, c'est pour toi.
Elle attrape le panier et le regarde avec tendresse.
- Des myrtilles... Tu t'es souvenu de mon fruit préféré ?
- Oui. Je tenais vraiment à t'en offrir.
Elle sourit.
- Merci.
- Écoute je suis désolé d'être parti aussi longtemps et aussi brusquement, et de ne pas avoir donné de nouvelles. Je suis venu ici rattraper le temps perdu et me faire pardonner. Y arriveras-tu ?
- Bien sûr. Je ne suis pas rancunière. Mais il faudra quand même du temps. Même si je comprends parfaitement pourquoi tu es parti et que je l'ai accepté, je ne t'ai pas pardonné.
- Je ferai tout ce qu'il faudra, je t'aime.
Elle sourit de plus belle.
- Moi aussi, je t'aime. Alors, on les mange ces myrtilles ? On commencera à rattraper le temps perdu.
1254 mots
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top