La rivière de la peur

                  

Un long chemin sinusoïdal s'étendait devant lui. Maintenant qu'il était là, il réalisa qu'il avait oublié de recueillir de plus amples informations sur cette dite forêt. Par exemple, devait-il s'attendre à croiser sur sa route d'autres lions, des serpents ou d'autres animaux féroces de ce genre ? Si oui, avaient-ils aussi la faculté de parler ou se contenteraient-ils de le dévorer tout cru ? Étienne espérait qu'ils seraient dotés de paroles, comme ça au moins, il pourrait plaider sa cause avant d'être condamné à finir dans l'estomac de l'une de ces créatures.

Cependant, sa peur se révéla être injustifiée, car quinze minutes après, il n'avait toujours pas croisé la moindre bête. Il régnait un silence inquiétant, le genre de silence qui ne laissait présager rien de bon.  Pourtant, il continua de marcher, écrasant une branche par ci, contournant un arbre par là.

Finalement, il arriva au premier obstacle.

Ce doit être l'une des portes dont parlait le lion.

C'était en effet une porte en marbre blanc avec une poignée dorée. Elle se tenait là comme suspendue dans le vide. Se disant qu'il ferait peut-être mieux de l'esquiver — après tout le lion ne lui avait pas dit que c'était interdit — il se rendit compte que cela était tout bonnement impossible. Il y avait une sorte de mur invisible qui bloquait le passage.

— Bon, quand il faut y aller, faut y aller, dit-il à haute voix, histoire de se rasséréner.

Il ouvrit la porte et étouffa une exclamation de surprise. Le décor à l'intérieur était diffèrent de celui dans lequel il se trouvait. Hésitant une dernière fois, il la franchit.

Il était debout au bord d'une rivière. Le ciel était pâle, d'une humeur maussade. Un clic retentit derrière lui. Il fit volte-face aussitôt. C'était la porte qui venait de se refermer.

Au moins elle est toujours là, se dit-il. Si jamais, ça barde...

L'herbe sur laquelle il se tenait était d'un vert criard. De l'autre côté de la rivière, il y avait une autre porte similaire à celle qu'il venait de franchir, tout au bout d'une petite colline. D'instinct, Étienne sut ce qu'il avait à faire. C'était évident : traverser la rivière pour pouvoir accéder à la deuxième porte. Mais quelque chose lui disait que ce ne serait pas aussi simple.

Il commença par mettre un pied dans l'eau puis le second, et il resta figé, s'attendant au pire, mais rien ne se produisit. Il fit un pas supplémentaire, puis un autre. Toujours rien.

— Tu parles d'une épreuve ! s'exclama-t-il en pouffant de rire.

Mauvaise idée. Si la rivière avait eu une bouche, elle lui aurait surement dit quelque chose du genre : « Rira bien qui rira le dernier », ou encore : « Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué », ou encore mieux : « Il ne faut pas se moquer d'une rivière avant de l'avoir traversée ».

Étienne l'apprit donc à ses dépens. Il était presqu'arrivé à la moitié du parcours, lorsque soudainement, le niveau de l'eau augmenta à une vitesse phénoménale. En quelques secondes, il se retrouva submergé. Il rebroussa chemin aussitôt. Dans sa fuite, il eut le temps d'apercevoir un énorme requin qui semblait se diriger vers lui. Il sortit en trombe de l'eau, la respiration saccadée, le cœur haletant.

— Jésus, Marie, Joseph, furent les premiers mots qui s'échappèrent de sa bouche.

Un requin ? Ah ça non !

Il décida qu'il valait mieux battre en retraite. C'était après tout une question de survie. Il avait déjà la main sur la poignée lorsqu'une voix se fit entendre :

— Ne cesse jamais d'avancer...

La voix semblait provenir de son cœur, de l'air, du sol, du ciel, de partout.

Il y eut comme un déclic qui se fit dans son esprit. Il reprit courage. Pendant un moment, il avait perdu de vue l'objectif, mais cela ne se produirait plus. Certes, il avait toujours peur — ce qui était compréhensible vu les circonstances — mais si c'était le seul moyen pour réaliser son rêve, alors il irait jusqu'au bout.

Il plongea à nouveau dans la rivière. Au bout de quelques enjambées, le même phénomène se produisit : l'eau qui monte, le requin qui apparait, dévoilant ses crocs d'un air menaçant. Étienne continua d'avancer malgré tout.

Le requin fondit sur lui comme l'éclair. Il s'agissait d'un Galeocerdo Cuvier, le requin-tigre, réputé pour être le plus dangereux de tous les requins. Étienne le savait à cause d'un documentaire qu'il avait regardé à la télévision qui traitait du sujet. C'était le type de requin qui attaquait sans scrupule, délibérément. En résumé, c'était la mort assurée.

Le gros poisson n'était plus qu'à quelques mètres de lui. Il ouvrit la bouche, Étienne ferma les yeux. Il ne restait plus qu'à attendre...

Puis, tout à coup... plus rien. Plus d'eau, pas de sensation de morsure, rien. Lentement, ses yeux s'éveillèrent.

— Jésus, Marie, Joseph, murmura-t-il.

Non seulement il était hors de l'eau, mais en plus il était de l'autre côté de la rivière. Tout cela n'avait-il été que son imagination ? Cette rivière, avec son air titanesque et son requin, n'était-elle finalement qu'une rivière... de la peur ?

Cette expression vint naturellement à Etienne. Pourtant, il sut que c'était la vérité.

— Tu parles d'une épreuve, répéta-t-il.

Cette fois-ci le ton moqueur avait disparu. Si la rivière avait pu, elle lui aurait souri en ajoutant avec fierté : « Merci ».         

Sans perdre plus de temps, il se dirigea vers la deuxième porte, l'ouvrit et entra.

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