Un soir dans une voiture


Chapitre 2

En entraînant Marissa hors du bar, Vishous bouillonnait encore de son petit accrochage. Rares étaient les gens à ne pas craindre le fils du Bloodletter, même parmi ceux de la Race. Personne ne l'avait encore accosté avec une telle agressivité. Soit ce mec avait la plus grosse paire de couilles de ce côté de l'Atlantique, soit il était complètement inconscient. Sans doute un peu des deux, pensa V. Et ça lui plaisait. Beaucoup. Certainement trop.

Vishous aimait la violence, dans son boulot, dans sa vie, dans son lit. Et comment aurait-il pu rester indifférent à l'appel brûlant que faisait naître un tel tempérament ? Il aurait aimé avoir plus de temps, histoire de poursuivre un peu l'échange, cette empoignade abrupte à peine masquée par un vernis de civilisation. Il s'était rarement senti aussi vivant.

Dès qu'il avait compris que les yeux noisette de l'humain ne se détourneraient pas, sa queue s'était mise au garde-à-vous. Il aurait tout donné pour que le flic cède à son impulsion et lui saute sur le râble, comme il avait manifestement eu l'intention de le faire.

Un intermède aussi rapide que brutal. Vishous aurait voulu pouvoir le plaquer contre le mur, son visage écrasé contre le crépi. L'autre se serait débattu en grognant, mais il n'aurait eu aucune chance contre la force surhumaine d'un vampire. V se vit écarter de sa cuisse les jambes de sa proie pour se coller plus étroitement à lui, logeant son érection douloureuse contre le dos musculeux. Il réprima un grondement d'excitation, se sentant tout à coup très à l'étroit dans son pantalon de cuir.

Le petit cri que poussa Marissa lorsque Rhage l'entraîna vers l'Escalade ramena V sur terre. Merde, il était parti tellement loin dans son rêve éveillé qu'il n'avait même pas remarqué qu'ils étaient arrivés à la voiture. Le regard interrogatif d'Hollywood lui suggéra que celui-ci venait de poser une question. V répondit le premier truc qui lui vint à l'esprit, sans chercher à savoir.

_Heu ouais.

_V, t'es malade où quoi ? Tu me laisses conduire ton carrosse ?

Et merde !

V grogna, mais changer d'avis maintenant mettrait la puce à l'oreille de Rhage.

Vite, trouver quelque chose...

À ce moment, une ombre portant un blouson de cuir élimé se glissa discrètement au coin de la rue. Cela n'échappa pas à V qui réprima un sourire carnassier. On allait se marrer...

_Ouais, vas-y, je vais surveiller nos arrières. Je le sens pas ce flic.

_Comme tu veux. Allez, en route.

V installa Marissa à côté de Rhage et monta nonchalamment sur la banquette arrière.

Il vit le flic rejoindre le plus discrètement possible une vieille Crow Vic toute cabossée – sa voiture de service qui avait visiblement connu des jours meilleurs. La bouche de Vishous se para d'un sourire moqueur. Le mec voulait vraiment prendre son Escalade en filature dans ce tas de boue ? Ce gars-là, c'était quelque chose. Il ne doutait de rien une fois lancé, comme une foutue torpille à tête chercheuse braquée sur son objectif. Il avançait et envoyait valser les obstacles sur son chemin à grands coups de pied au cul.

Pendant ce temps, Hollywood manœuvrait habilement l'énorme SUV hors de la ruelle où ils étaient garés. Il s'engagea sur le boulevard quelques secondes plus tard. Vishous vit l'autre voiture démarrer et quitter doucement sa place. Un sourire joueur étira ses lèvres pâles.

***

Butch suivait les deux guignols et la Princesse à bonne distance depuis un petit moment. Il ne savait pas dans quel genre de trafic louche ces mecs trempaient, mais ça devait foutrement rapporter si on en croyait leur bagnole. Heureusement qu'ils roulaient sans se presser, sans doute soucieux de ne pas trop attirer l'attention, sinon il aurait été impossible de leur coller au train.

L'Escalade s'engagea alors sur une bretelle d'autoroute. Les beaux quartiers, hein ? Vraiment pas de quoi s'étonner. Ces mecs boxaient visiblement hors catégorie. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien faire à Caldie ?

Un gros truc devait se préparer dans le coin pour que ce genre de pointure y traîne. Butch ferait mieux d'ouvrir les yeux. Avec un peu de chance, ces abrutis allaient le mener tout droit à leur planque. Il savourait déjà le plaisir qu'il aurait à passer les bracelets à ce fumier tatoué. Nul doute que le mec se débattrait. Enfin un peu d'action...

_Tu sais, Cop, c'est pas que je sois contre le fait de tester tes menottes, mais ce n'est pas très prudent de se mêler de ce qui ne te regarde pas.

En entendant cette voix froide et ironique résonner depuis le siège arrière, Butch frôla la crise cardiaque. Sa vieille voiture fit une embardée et évita de justesse la bordure. Butch remit le véhicule sur sa voie en donnant un grand coup de volant qui faillit les éjecter de l'autre côté. Le sang pulsait à ses oreilles lorsque, dans un grand crissement de pneus et de frein à main, il stoppa finalement la Vic sur la bande d'arrêt d'urgence.

_Bordel, mais qu'est-ce que...

Butch n'eut pas le temps de se retourner ni même de se rappeler qu'un mec venait d'apparaître – ouais apparaître, comme par magie – sur le siège arrière de sa caisse, parce que ledit mec venait de lui agripper la gorge de sa main gantée.

Pendant un long moment, l'enfoiré le maintint comme ça, sans rien dire. Il ne l'étranglait pas vraiment, mais il serrait suffisamment fort pour que Butch ne puisse pas ignorer sa présence. Son esprit se mit en branle à toute vitesse, listant les options qui s'offraient à lui. Il en venait à se dire que ce n'était pas brillant lorsque l'autre s'avança sur son siège et se pencha vers lui.

Butch sentit son souffle dans son cou, régulier et brûlant. Il déglutit.

Mais qu'est-ce qu'il foutait ? C'était un nouveau divertissement pour truand de luxe ou quoi ? Cet enfoiré pensait vraiment que Butch allait le laisser jouer comme un chat avec une foutue souris ? Malheureusement pour lui, Butch n'était pas fan du rôle de la demoiselle en détresse.

Il commença à se raidir et à bander ses muscles, espérant qu'il aurait au moins le temps de dégainer avant que son assaillant ne passe aux choses sérieuses. Au pire, il pourrait toujours l'assommer avec la crosse de son flingue.

La prise sur sa gorge se resserra, comme si Butch avait énoncé ces intentions à voix haute.

_Je ne ferais pas ça si j'étais toi, Cop. Ce serait vraiment dommage que je doive te tuer maintenant.

Le ton était moqueur, mais Butch put lire une réelle détermination dans ces paroles. Il eut la certitude absolue que si le pire devait se produire, l'ennemi n'hésiterait pas une seconde. Après tout, il devait avoir l'habitude de s'occuper des témoins gênants.

_Détrompe-toi, Cop. Ça m'ennuierait beaucoup d'avoir à te tuer, surtout de sang froid...

V avait susurré ces mots à l'oreille du flic, le nez quasiment collé à son cou, à la lisière du tee-shirt. Le mec sentait un mélange de savon, de cuir et de whisky. Et puis il y avait son odeur à lui, un peu camphrée, une fragrance mâle et brute. Pas d'after-shave ou d'autre saloperie.

Vishous se dit que cette odeur allait le rendre dingue.

D'autant qu'aucune trace de peur ne se mêlait à cette fragrance. Pourtant le mec aurait eu toutes les raisons d'être nerveux. Après tout, ça n'était pas tous les jours qu'un guerrier vampire se dématérialisait sur votre banquette arrière pour vous choper à la gorge.

Bon, le fait que l'énoncé du problème n'ait pas été posée en ces termes devait aider. Toujours est-il que l'humain restait en apparence parfaitement calme. V le sentait néanmoins vibrer sous sa main, sans doute furieux de se trouver ainsi soumis à la volonté d'un autre. Cette idée, associée au festin olfactif, fit bander Vishous plus fort et ses canines émergèrent.

_Que, quoi ? Comment tu sais à quoi je pensais ?

La voix rocailleuse arracha V à ses pensées lubriques. Il soupira. Il était temps d'effacer la mémoire du flic. En plus le soleil allait bientôt se lever.

_Tu serais surpris de tout ce que je sais faire, Cop.

Butch nota que la voix de son assaillant s'était faite nettement plus rauque. L'allusion n'en était que plus claire. Il se raidit en sentant l'autre homme se pencher encore plus près, sa bouche quasiment dans le creux de son cou. Merde, ce mec n'allait quand même pas le...

Butch frissonna violemment en sentant une légère griffure le long de sa gorge. Une lame ? Non, l'autre mec était trop près pour ça. Puis Butch percuta. Cet enfoiré suivait la veine de son cou en lui égratignant légèrement la peau... avec ses dents.

Bordel !

Il ne put retenir un tremblement convulsif et sa peau se couvrit de chair de poule, tous les nerfs de son corps tendus à craquer. Puis, d'un coup, tout s'arrêta. L'autre semblait chercher à reprendre son souffle. Butch voulut profiter de l'occasion et se retourna d'un bloc, entrant ainsi violemment en contact avec la main gantée de son agresseur. Il retomba sur son volant, inconscient.

V jura bruyamment. Il avait été à deux doigts de perdre complètement pied. Cette foutue odeur l'avait rendu dingue. Le sang de l'humain l'avait appelé et la gouttelette qui avait perlé sur sa peau avait suffi à l'envoyer sur orbite. Oubliant tout ce qui l'entourait, il avait failli mordre le flic. Il aurait certainement joui dans son pantalon, juste là, sur le bord de cette autoroute, dans une vieille bagnole de service, avec sur les lèvres le goût du sang.

Merdeeee.

Vishous ne perdait jamais le contrôle, pas une seule fois en trois cents foutues années d'existence. Et il avait suffi d'un échange un peu musclé et de l'odeur de ce type pour qu'il se retrouve au bord du gouffre. Il fallait vraiment qu'il se tire d'ici...

Il effaça prestement la mémoire de l'humain, ne laissant rien de leur rencontre. En se réveillant, le mec penserait s'être soûlé au bar avant de remonter dans sa bagnole. Fin de l'histoire.

V étouffa une pointe de regret et vérifia une dernière fois qu'il n'avait rien laissé derrière lui. Puis il se dématérialisa au manoir.

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