Un soir dans un restaurant
Chapitre 3
L'ambiance au repère de la Confrérie était franchement à l'orage. Wrath avait demandé à Rhage de lui amener Marissa sitôt rentrés et V était arrivé juste à temps pour voir la femelle suivre leur roi, tête baissée. Ce soir-là, Wrath faisait honneur à son nom. Il exsudait la colère par tous les pores de sa peau. Ses royales épaules étaient tendues et ses foulées rigides. Marissa allait avoir droit à une explication peu plaisante.
Bien entendu, Wrath ne se permettrait jamais de lever la main sur la pâle créature. Après tout, promise à lui depuis le jour de sa naissance, elle l'avait loyalement servi jusqu'à ce qu'il la rejette pour se lier à la reine, sa compagne de sang-mêlé. Et puis, aussi impressionnant que soit le roi dans ses colères, jamais il ne s'abaisserait à frapper une femme. Ce qui ne voulait pas pour autant dire que la discussion à venir serait une promenade de santé.
Curieux comme une pie, Rhage tenta de se glisser discrètement à leur suite.
_Putain Hollywood, mais quelle commère, jeta Z.
Rhage eut une moue de gamin pris en faute, mais il emboîta tout de même le pas au roi. V se dit que c'était beaucoup d'efforts pour peu de choses. D'ici cinq minutes, on entendrait la voix de centaure de Wrath résonner dans tout le manoir.
Ça ne loupa pas.
***
_Vous êtes parfaitement inconsciente. Vos petites envies de récréation nous mettent tous en danger ! [Silence] Non, pas seulement vous, nous tous. Comprenez-vous ça ?
Marissa dut donner une réponse qui ne convenait pas du tout, parce que le roi poussa un rugissement de colère.
_Et votre foutue liberté justifie-t-elle de mettre en danger toute notre race ? Êtes-vous à ce point égoïste ?
Il y eut un long moment de relatif silence. Sans doute la discussion avait-elle repris à un volume plus correct. Plus tard, la porte du bureau du roi s'ouvrit sur une Marissa défaite.
La voix de Wrath résonna comme une sentence.
_C'était la dernière fois, Marissa. Je ne le tolérerai plus. Tachez de vous en souvenir.
Elle quitta le couloir sans un regard pour les Frères.
Le lendemain soir, la femelle était à nouveau introuvable.
***
Butch se frotta la nuque, encore raide et douloureuse. Il s'était levé quatre heures plus tôt, portant les stigmates de sa cuite de la veille. Il ne se souvenait pourtant pas avoir bu tant que ça, mais il fallait croire qu'il s'était laissé aller. Maintenant qu'il y pensait, c'était lamentable. Quel genre de mec se torchait au point de se réveiller en se pelant les couilles le long de l'autoroute, sans avoir la moindre idée de comment il était arrivé là ? Franchement pitoyable.
Épuisé par sa journée menée au radar, il pensait boucler son rapport le plus rapidement possible, rentrer chez lui et se coller au pieu pour faire le tour du cadran. Son plan tomba à l'eau lorsque José, son coéquipier, regagna dans leur bureau. Il ne semblait pourtant pas apporter de mauvaises nouvelles et adressa à son collègue une bourrade complice.
_O'Neal, à ta place je ramènerais mon cul fissa à l'accueil. On te demande.
Butch haussa un sourcil surpris. Il n'attendait personne en particulier. José en rajouta une couche.
_Dis-moi, mon cochon, t'as pas fait les choses à moitié. Tu l'as trouvé où cette bombe ?
_Hein ? Mais de quoi tu parles ?
_Oh allez, fais pas l'innocent.
Butch le fixa sans comprendre, ce que José interpréta comme un refus de répondre.
_Ok, ok, tu veux rien lâcher. Mais laisse-moi te dire un truc, ce genre de gazelle ça se contente pas d'un burger chez Moxy. Alors rattache ta cravate et la fais pas attendre.
Machinalement, Butch fit ce que son coéquipier lui disait avant de se diriger vers l'accueil du poste de police. Les autres agents semblaient déjà s'être passé le mot. Butch récolta même quelques commentaires salaces et regards d'envie. Sauf qu'il voulait bien manger sa casquette des Sox si quelqu'un lui expliquait ce qui se passait.
Arrivé dans le hall, il vit la créature la plus hallucinante qui lui ait été donné de contempler. Une femme blonde absolument superbe, éblouissante de beauté. Et quand elle se tourna vers lui avec un sourire timide, il se pinça pour savoir s'il n'était pas en train de rêver. L'impression surréaliste s'accrut lorsqu'elle marcha résolument vers lui, balançant gracieusement ses hanches parfaitement galbées. Non, ça ne pouvait pas être elle qui le demandait ? Merde, il s'en souviendrait s'il avait déjà croisé le chemin d'une fille pareille. Aucune chance de l'oublier.
Il sentit peser sur lui tous les regards du poste. Même les truands l'avaient mise en veilleuse pour contempler l'apparition. La salle qui bourdonnait d'ordinaire d'activité était désormais étrangement calme. La princesse blonde ne sembla cependant pas s'en apercevoir. Elle s'approcha et lui tendit sa main fine. Butch mit une bonne seconde à réagir avant de l'attraper le plus délicatement possible pour la serrer doucement avec sa grande paluche. Il avait peur de briser les délicates phalanges.
Puis elle parla d'une voix mélodieuse, un vrai rossignol.
_Bonsoir, Inspecteur. Je suis Marissa.
_Heu, bonsoir, M'dame.
_Je... je tenais à vous remercier pour ce que vous avez fait la nuit dernière.
La voix était timide, mais le regard chaleureux.
La nuit dernière, pensa Butch. Sérieusement ? Cette foutue nuit dernière dont il ne se rappelait rien ? Il aurait déjà rencontré cette fille ? Merde, l'oublier, c'était au moins un péché. Il essaya de se forcer à se rappeler, mais une violente douleur lui vrilla le crâne.
Bon OK, quelle était la marche à suivre lorsqu'une déesse blonde venait vous remercier pour quelque chose dont vous ignoriez tout ?
Ils ne s'étaient quand même pas envoyés en l'air ?
C'était peu probable, ce genre de fille, aussi pure qu'une déesse vierge, ne couchait pas avec le premier poivrot venu. Elle attendait plutôt le prince charmant qui l'emporterait sur son cheval blanc, non pas pour la baiser, mais pour lui faire l'amour.
Butch réprima une grimace. Pas du tout son style en somme.
Ce fut José qui lui sauva la mise sur ce coup-là.
_Dis Gros D... heu Butch. Tu ne vas quand même pas laisser ton amie poireauter dans le hall ? Je pense que personne ne t'en voudra si tu ne fais pas d'heures sup et que tu l'emmènes dîner dans un endroit un peu plus calme.
Si Butch devait en juger par les visages envieux de certains de ses collègues, il y avait quand même des risques qu'ils lui en veuillent. Mais pas pour être resté... Ce fut ce qui le décida. Après tout, ce n'était pas tous les jours que Kate Blanchett venait vous débaucher au bureau...
_Qu'en pensez-vous, Marissa ? Si vous êtes d'accord, je vais chercher ma veste et nous pouvons aller dîner où vous voudrez.
Elle baissa légèrement la tête et répondit d'une voix douce.
_Ça me plairait beaucoup.
_José, reste avec elle, j'en ai pour une seconde. À tout de suite, Marissa.
José acquiesça de bonne grâce. Après tout, même un homme marié pouvait apprécier de profiter deux minutes de la bonne fortune d'O'Neal. Avec ça, l'Irlandais allait devenir une légende.
***
Une heure plus tard, Butch se demandait encore comment il en était arrivé là. Conscient de ne pas pouvoir emmener la princesse dans le premier fast-food venu ni dans un des restaurants qu'elle devait avoir l'habitude de fréquenter – ses finances ne s'en remettraient pas –, il avait opté pour une petite auberge du centre-ville, simple et intime. Mais il s'y sentait aussi à l'aise qu'un pingouin dans un bal costumé.
Bien sûr la femme en face de lui était absolument renversante et n'importe quel homme aurait été fier de l'avoir à ses côtés, mais elle le rendait horriblement nerveux. Il passait son temps à surveiller sa manière de tenir sa fourchette ou à se retenir de jurer.
Marissa, elle, n'avait visiblement pas ce genre de problèmes. Chaque geste était un condensé de grâce et de parfaite éducation. Elle entretenait presque toute seule une conversation délicate à propos de leur nourriture ou des fleurs disposées au centre de la table.
Quoiqu'il ait pu se passer la nuit dernière, cette fille n'était franchement pas pour Butch. Ça, il en avait la certitude.
Il n'eut cependant pas le temps de s'interroger beaucoup plus avant sur sa capacité à incarner le parfait gentleman. Les yeux de la princesse s'écarquillèrent soudain en fixant un point derrière lui. Avant que Butch puisse se retourner, une voix calme, légèrement moqueuse, s'éleva derrière sa chaise.
_Cop, tu as la mauvaise habitude de jouer avec ce qui n'est pas à toi...
Butch pivota sur son siège et dut lever les yeux pour rencontrer le regard de diamant du mec qui l'avait interpellé. En dépit de la familiarité de cette entrée en matière, il était bien certain de n'avoir jamais vu ce type. Comme la princesse, ce n'était pas le genre qui se laissait facilement oublier.
_Bordel, t'es qui toi ? On se connaît ?
Une étincelle amusée flotta dans les yeux glacés, comme s'il savourait une bonne blague, connue de lui seul.
_Jiminy Cricket. Et la voix de ta conscience te dit que la fête est finie. Notre amie commune va gentiment enfiler sa veste et me laisser la raccompagner avant que la situation ne devienne embarrassante.
Merde, ce gorille tatoué était le copain de la Princesse ?
Pourtant, copain ou pas, elle n'avait pas l'air enchantée par cette apparition. À dire vrai, elle paraissait même terrorisée.
Butch s'interposa.
_Tu sais dans quelle voie tu peux te la mettre ta conscience ?
***
V éclata de rire.
En se lançant à la poursuite de Marissa, il était loin de se douter qu'il retomberait sur l'humain de la veille et qu'ils reprendraient là où ils en étaient restés. Enfin presque...
Le rire de Vishous s'éteint quand Z passa la porte de l'auberge. Hollywood était de repos ce soir-là et le Frère balafré avait été désigné pour accompagner V dans son opération baby-sitting.
Espérant que les choses se passeraient en douceur, V lui avait demandé d'attendre dans la voiture, mais la patience n'avait jamais été le fort de Z. Vu le noir d'encre de ses pupilles, il n'était pas de bon poil.
Il se figea en arrivant à leur hauteur, jaugeant le flic.
_Merde, V, c'est l'humain dont Rhage a parlé ? Qu'est-ce qu'il fout là ? Je croyais que t'avais fait le nécessaire.
_C'est le cas, mais je parierais que cette chère Marissa a trouvé un moyen de le ramener dans l'équation. N'est-ce pas ?
_Peuh, cracha Z tandis qu'un sourire sadique étirait ses lèvres. Il n'y a qu'à les emmener tous les deux cette fois-ci et faire en sorte qu'elle ne puisse plus l'approcher... Définitivement.
La menace contenue dans les propos de Zsadist n'échappa pas à V. Cette idée ne lui plaisait pas, mais pas du tout. Mais avant qu'il ait pu en informer le Frère, le flic s'était dressé sur sa chaise.
_Dis-moi, face de raie, tu ne serais pas en train de me menacer par hasard ?
V se retint de nouveau d'éclater de rire ; ça commençait à devenir une habitude.
Non, il ne rêvait pas. Cette foutue tête brûlée d'humain venait bien de traiter Zsadist de « face de raie ». Ce mec n'avait décidément aucun instinct de survie.
Hier lui, et maintenant il emplafonnait Z ? Non pas que le Frère ne l'ait pas cherché, mais ses prunelles charbon prenaient désormais des reflets d'obsidienne. Vishous se dit qu'il était temps d'intervenir avant que les choses ne dégénèrent pour de bon.
Quand il attrapa le bras de Z pour le retenir, celui-ci lui lança un regard qui aurait fait fuir GI Joe. Non seulement il en fallait plus pour faire reculer V, mais il était également décidé à sauver les miches de cet humain inconscient. Après tout, il n'avait pas souvent l'occasion de se divertir autant.
Un jeune serveur, tremblant de la tête aux pieds, s'approcha sur ces entrefaites de leur table.
_Messieurs, je... je dois vous demander de partir. Vous gênez les autres clients, acheva-t-il presque plaintivement.
Le flic et Zsadist se retournèrent et lâchèrent dans un bel ensemble :
_Toi, TA GUEULE !
Le jeune homme recula, plus mort que vif, pour courir se réfugier en cuisine.
Ok, pensa V, il va sûrement appeler les flics.
C'était le moment ou jamais de calmer le jeu et de se barrer. Il prit la parole d'un ton qu'il espérait conciliant.
_Écoute, Cop, on ne veut aucun mal à Marissa. C'est une vieille connaissance et son... ex-compagnon s'inquiète pour elle. Elle est un peu perturbée depuis leur séparation et il nous a demandé de l'emmener quelque part où elle pourrait se reposer.
_Ha ouais, et dans ce cas-là pourquoi il ne se déplace pas lui-même cet enfoiré ?
Un grondement menaçant monta de la gorge de Zsadist et ce fut une Marissa à la voix un peu chevrotante qui les sauva du désastre.
_Je... je vais rentrer au manoir, mais, je vous en prie, ne lui faites pas de mal, plaida-t-elle en désignant son protecteur.
_Ça ne dépend que de toi, femelle, répondit Z d'une voix gutturale.
_Laissez-moi une minute, je voudrais... me rafraîchir. Je vous promets que je n'essaierai pas de m'enfuir.
Voyant qu'elle disait vrai, Vishous hocha la tête et désigna le fond de la salle. Marissa quitta la table, laissant les trois hommes plongés dans un silence tendu. Le flic, faussement détendu, déplaça le poids de son corps vers l'arrière et toisa ses vis-à-vis des pieds à la tête. Quand il ouvrit la bouche, V sut qu'une nouvelle connerie allait suivre – avec ce foutu accent de Boston qui lui collait des frissons –, mais il avait trop envie de savoir ce que c'était.
_Et sinon, les gars, vous êtes dans quelle branche ? Trafic de plutonium ? Démolition au C4 ? Non ? Porno gay alors, hein, parce que vous avez l'air de bien aimer le cuir.
Vishous explosa de rire sans pouvoir se contenir, mais dut dans le même temps maîtriser un Zsadist furibard.
_Je vais t'arracher la tête !
L'humain avait basculé vers l'avant, en position d'attaque, visiblement pressé d'en découdre. Mais voyant que Vishous retenait toujours son coéquipier, il lui jeta un regard ironique.
_Allez, fais pas ton macho, laisse ta copine s'exprimer.
_Sérieusement, Cop, je crois que tu ne préfères pas, lâcha V, toujours amusé.
Zsadist rua de plus belle, échappant presque à la prise de Vishous qui devait quasiment l'étrangler pour le retenir.
_V, bordel, lâche-moi, rugit le Frère. Je vais apprendre à ce sac à merde à fermer sa grande gueule !.
Le retour inopiné de Marissa désamorça à nouveau la situation. Vishous attrapa fermement le bras de Z et lui confia la femelle en les poussant tous deux vers la sortie. Mais son équipier d'un soir semblait encore trop énervé pour entendre raison. V se plaça donc entre lui et le flic, puis planta son regard désormais illuminé dans les prunelles d'obsidienne.
_Z, je m'occupe de lui. Toi, tu emmènes Marissa au manoir. Maintenant.
Sa voix devait contenir une note d'avertissement suffisante. Grondant toujours, Z empoigna le bras de Marissa qui gémit et la traîna sans ménagement vers la porte. Bousculant Vishous, le flic essaya de suivre le couple, mais il dut comprendre que ça ne serait pas aussi facile que ça. Il prit V à partie.
_Et quoi Ducon ? Tu comptes m'attacher pour m'empêcher de vous suivre ? Parce qu'il est hors de question que vous l'emmeniez comme ça.
_Ça, c'est une idée foutrement tentante, Cop !
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