Un soir dans les couloirs


Chapitre 5

Butch se réveilla en grognant. Désorienté, il chercha à se rappeler où il pouvait bien être. Les derniers événements se perdaient dans un brouillard flou qui fit naître une migraine presque intolérable. Est-ce qu'il s'était encore soûlé jusqu'à en oublier son nom ? Il allait devoir perdre cette sale habitude, ça devenait gênant. Il tenta de se redresser, mais une douleur fulgurante au niveau de son abdomen le coupa en deux. Le souffle court, il se recoucha en jurant.

Quand il eut repris sa respiration, il ouvrit les yeux et tourna prudemment la tête. De mieux en mieux, il n'avait pas la moindre idée de là où il pouvait être. Une chambre d'hôpital visiblement. Et qu'est-ce qui lui était arrivé au ventre ? Rejetant les draps, il remarqua qu'un bandage lui cerclait tout l'abdomen.

À ce moment, la porte de sa chambre s'ouvrit et une voix qu'il reconnut tout de suite l'arracha à ses interrogations sur les événements de la veille.

_Alors la Belle au Bois Dormant, on se remet de ses émotions ? demanda son trafiquant d'uranium préféré depuis l'embrasure de la porte.

_Essaye de me rouler un patin pour me réveiller et tu verras...

_C'est une proposition, Cop ? s'esclaffa V.

Butch grogna en réponse.

_Bon et si tu m'expliquais ce qui s'est passé ? Ça commence à me revenir, la ruelle, le gang d'albinos. C'était qui ces mecs ? Bordel, tu les as découpés comme des parts de quiche !

_Tu ne vas pas te plaindre, j'ai sauvé ton cul. Mais si tu préfères qu'on y retourne et que je te laisse pisser le sang dans cette cour pourrie, ça peut se faire.

Butch écarquilla les yeux. Ce type lui avait donc sauvé la vie... Délibérément...

Depuis quand les truands ramassaient-ils les flics agonisants ?

L'autre homme le regardait, une lueur amusée au fond des yeux, comme s'il était conscient des millions de questions qui agitaient Butch. Peut-être était-ce donc le bon moment pour les poser...

_Nan, ça ira. Mais ça n'empêche pas que je veux des rép...

Butch fut interrompu par l'arrivée d'un mec en blouse blanche, visiblement un toubib.

_Je vois que vous êtes revenu parmi nous. Parfait. Et...

Le doc s'interrompit en découvrant la présence de V qui s'était avancé dans la pièce.

_Qu'est-ce que tu fais là, Bouc-du-diable ? Si tu as réveillé mon patient, je jure que je te botte le cul.

Bouc-du-diable ? Ouais, c'était pas mal ça, se dit Butch.

Ledit Bouc-du-diable adressa un sourire carnassier au nouveau venu.

_J'adorerais te voir essayer.

Un courant de tension à fleur de peau courait entre ces deux-là. Intéressant. Ça pourrait se révéler utile pour la suite.

_Hey Doc, c'est vous qui m'avez rafistolé ?

_Bonjour. Je m'appelle Manello et, oui, c'est moi qui vous ai soigné. Le katana vous avait transpercé de part en part. Nous avons arrêté l'hémorragie et refermé tout ça. Tout devrait bien se passer maintenant, mais il va vous falloir du repos. Ce qui exclut la présence d'abrutis tatoués dans votre chambre.

_Ne pousse pas ta chance trop loin, grogna V.

_Le Doc n'a pas tort, coupa Butch. Et puis une fois que tu auras viré ton cul, peut-être que je saurai enfin quel est cet endroit et ce que je fais là. Je doute que l'hôpital du district ait des chambres individuelles tout confort...

_Bonne déduction, s'amusa le médecin. Mais pour les détails, il faudra tout de même voir avec V.

_V ?

_Bouc-du-diable, le type à côté de ton lit. Je pensais que vous vous connaissiez pour que tu le ramènes ici, V ?

Manello avait pris un air goguenard et V se renfrogna.

_Mêle-toi de tes oignons. Ton boulot c'est de nous recoudre, point barre.

Au même moment, le portable de « V » sonna. Il consulta le message et sortit en marmonnant qu'il allait revenir.

Quand la porte se referma, Butch jaugea le toubib en silence, se demandant s'il obtiendrait de lui les informations qu'il cherchait. Visiblement pas. Manello s'était détendu une fois le dénommé V sorti, mais ne semblait pas pour autant disposé à parler à tort et à travers. Il demeurait professionnel.

_Vous devez encore vous reposer. Si on essaye de vous déplacer trop tôt, votre blessure va se rouvrir. Je pense que V vous ramènera chez vous dès que tout sera rentré dans l'ordre.

Manello hésita comme s'il envisageait d'ajouter quelque chose, puis se ravisa.

_Pas de nourriture pour le moment, je passerai changer votre perf' d'ici deux heures. Reposez-vous.

_Hey attendez, Doc. Vous ne voulez vraiment pas me dire où je suis et ce que votre pote fait au juste dans la vie ?

_Je doute que V ait prévu de vous le dire... Alors, pour votre propre bien, laissez tomber. Dès que vous serez sur pied, vous rentrerez tranquillement chez vous.

Sur ce, Manello s'éclipsa rapidement, empêchant Butch d'insister.

Trop agité pour se rendormir, ce dernier tenta de trouver une position plus confortable. Il se demanda combien de temps il était resté inconscient. En fait, il ne se sentait plutôt pas mal pour quelqu'un qui avait été transpercé de part en part, avec à peine un gros tiraillement dans l'abdomen. Le toubib avait bien bossé.

Butch commença à examiner son environnement, pensant y trouver des indices qui lui permettraient de localiser cet endroit. Mais, bien que moins impersonnelle qu'une chambre d'hôpital, la pièce n'avait rien à lui apprendre. Un lit surélevé, une table de chevet en pin, une fenêtre occultée par de lourds volets en fer qui ne laissaient filtrer aucune lumière (les proprios ne plaisantaient pas avec la sécurité) et une porte qui devait donner sur le couloir.

Butch l'examina plus attentivement : le panneau n'était pas pourvu de serrure. Les flics fouineurs ne devaient pas avoir été prévu comme des clients réguliers de l'établissement. Grossière erreur.

Avec précaution, Butch se releva jusqu'à s'asseoir. La sensation de tiraillement s'accentua, mais rien d'insupportable. Qui que soient V et ses acolytes, ils devaient le penser trop affaibli pour représenter une menace quelconque. Si Butch voulait en savoir plus, il devait donc mettre ce moment à profit.

Une fois redressé, il balança prudemment ses jambes hors du lit. Il ne portait que son boxer, plus un large bandage blanc qui lui ceignait l'abdomen et la poitrine. Il avisa son jean et sa chemise posés sur une chaise dans un coin de la pièce. Ok, première étape : récupérer ses vêtements.

Avant de se lever, il décrocha avec précaution la perfusion plantée dans son bras. La tête lui tourna légèrement quand il posa ses pieds au sol. Il testa prudemment son équilibre avant de lâcher la barre du lit et grimaça. Sa blessure commençait à le lancer, mais il n'aurait sûrement plus d'aussi belle occasion d'en savoir plus avant un bon moment. Il lui suffirait d'aller doucement.

Lâchant le montant du lit, il commença à traverser la pièce et arriva hors d'haleine à la chaise sur laquelle se trouvaient ses vêtements. Il faillit renoncer quand la douleur dans son abdomen se fit perçante, mais la curiosité fut la plus forte. Il fouilla le tas de vêtements. Sa chemise et son Tee-Shirt étaient maculés de sang en plus d'être transpercés de part en part. Évidemment, son holster et son arme de service étaient introuvables. Tant pis, le jean suffirait.

Il s'assit lentement sur la chaise pour pouvoir le passer. Après deux minutes d'efforts, Butch était couvert de sueur et haletant, mais il avait réussi à attacher son pantalon.

Étape deux : sortir et fouiner en évitant de se faire remarquer.

Se redressant, il se dirigea vers la porte de chambre. Comme il le pensait, elle n'était pas verrouillée. Avant de l'ouvrir, il colla son oreille au panneau. Bon, tout semblait calme à l'extérieur.

Il opéra prudemment et entrouvrit le battant. Rien ne bougea. Il risqua finalement un rapide coup d'œil de chaque côté. C'était bien un couloir, tout à fait désert.

Supposant que le reste des pièces devait aussi servir de chambres, Butch préféra ne pas s'attarder dans le secteur. Il nota cependant que toutes les fenêtres du complexe étaient occultées par le même type de volets métalliques que ceux observés dans sa chambre. Le promoteur redoutait une invasion zombie ou quoi ?

Avançant toujours, Butch finit par tomber sur un palier. Les couloirs s'enfonçant dans le bâtiment étaient juste en face de lui. Au moment où il allait s'y engager, une voix gouailleuse s'éleva depuis un des angles morts. Butch se rejeta vivement en arrière, mais la voix poursuivit tout à fait normalement. Celui qui parlait n'avait pas dû l'entendre et s'adressait à quelqu'un d'autre.

Le flic risqua un coup d'œil dans la direction du bruit. Ce ton ironique appartenait à un homme aux longs cheveux bicolores – certaines mèches d'un brun presque noir, d'autres platine – qui lui tournait le dos. Il paraissait avoir coincé un beau blond qui n'en semblait pas spécialement ravi.

Le premier, nonchalamment accoudé au mur, empêchait de son autre bras son vis-à-vis de se dégager. Butch se fit la réflexion qu'on aurait du mal à trouver un couple moins assorti. Vu de trois quarts, le premier était massif, le visage bardé de piercings dorés, tandis que son compagnon, plus mince, portait avec beaucoup d'élégance un costume qui valait sans doute plus cher qu'une voiture de luxe.

Butch se tenait trop loin pour saisir leurs paroles, mais Monsieur Piercing cherchait visiblement à convaincre l'autre de quelque chose. Tous deux parlaient à voix basse, mais « Sax » – Butch venait de saisir son nom à la faveur d'un haussement de ton – ne semblait pas du tout d'accord et secouait sa tête au port aristocratique. L'autre ne se laissa pas démonter et se pencha un peu plus en avant. Son torse frôlait celui de l'homme blond et son souffle devait lui caresser le visage.

Qu'est-ce que foutaient ces deux-là ? Une parade nuptiale ?

Ok, l'heure n'était plus aux suppositions. Passant à l'attaque, Mr Bicolore venait d'enfouir sa tête dans le col de son compagnon et lui mordillait doucement le cou. Mr Costard-Italien, Sax, sursauta, prit une grande inspiration, et ferma les yeux en renversant la tête. Butch espérait de tout cœur que les deux hommes en resteraient là.

Il se foutait éperdument que ces deux-là soient gay, mais il n'était pas vraiment préparé à assister à du porno live. Ses craintes furent rapidement apaisées lorsque Mr Piercing remonta, suivant la mâchoire de Sax de ses lèvres. Après s'être abandonné l'espace de quelques secondes, ce dernier se reprit, ouvrit les yeux et repoussa vivement son compagnon.

Le geste dû déplaire à Mr Piercing, car il jura. Butch sentit sa colère rayonner dans la pièce. Il s'attendait donc à le voir plaquer son récalcitrant comparse contre le mur d'un instant à l'autre, au lieu de quoi il se contint. Se produisit alors une chose à laquelle le flic ne s'attendait absolument pas : ce type se mit à briller au sens propre.

Une intense lumière blanche émanait de lui et rayonnait dans la pièce, comme si un morceau de soleil s'était détaché pour venir illuminer l'endroit, aveuglant de limpidité.

Butch ne put retenir sa surprise.

_Merde, mais c'est quoi ce bordel ? Ce mec est un putain de lampadaire !

Son exclamation alerta les deux autres qui se tournèrent comme un seul homme. La lumière se tarit d'un coup et Butch se demanda s'il ne venait pas d'avoir une hallucination. En tout cas, c'était foutu pour la discrétion.

Quelques instants plus tard, une lourde cavalcade, façon troupeau de rhinocéros, résonna dans les couloirs. Le premier à arriver fut son sauveteur, celui que le toubib avait appelé V. Il était suivi de deux mecs, l'un que Butch reconnu comme le balafré avec lequel il s'était accroché la veille. Quant à l'autre qui aurait fait passer Brad Pitt pour une erreur génétique.

***

En voyant l'humain debout, à béer de surprise face à Lassiter, Vishous prit la mesure de la situation. Cet abruti d'ange, se pensant seul avec Saxton, avait dû faire un truc pas naturel – ainsi qu'un geste offensant les bonnes mœurs catholiques, s'il en croyait l'air profondément humilié de l'avocat.

Ouais, vu la tension permanente entre ces deux-là, la scène qu'O'Neal avait surprise devait être privée, très privée. Mais c'était loin d'être la priorité et il devenait urgent de faire du ménage dans le cerveau de cet humain fouineur. En espérant qu'il ne soit pas déjà trop tard !

Si Wrath n'avait pas appeler V pour qu'il « ramene son cul dans la seconde » au plus mauvais moment, tout ça aurait pu être évité.

Vishous soupira et s'avança au milieu de la cohue ambiante. Lassiter s'égosillait en demandant qui était l'humain, Z fulminait contre V et contre Manello qui n'avait pas attaché le blessé à son plumard, Butch l'envoyait se faire foutre et Rhage suivait les échanges en tournant la tête de l'un à l'autre, comme pour une finale de Roland Garros.

V traversa la pièce avec la ferme intention de ramener O'Neal à sa chambre, d'autant qu'à en juger par la légère coloration du bandage, la blessure s'était rouverte. Il nota au passage qu'à l'exception notable du dit bandage, Butch était nu à partir de la taille. Et le spectacle valait le détour ! Ce gars était bandant avec son torse large, ses épaules charpentées, ses cheveux en bataille et le jean légèrement descendu sur ses hanches.

Occupé à invectiver Zsadist, qui le lui rendait bien, l'humain ne remarqua pas le regard affamé du Frère tatoué. Mais Vishous fut rapidement tiré de sa contemplation par l'arrivée tonitruante de Wrath.

_Bordel, qu'est-ce qui se passe encore ici ?

***

Butch vit débarquer le mastodonte le plus impressionnant qu'il ait vu de sa vie. Une montagne de plus de deux mètres de haut entièrement vêtue de cuir noir – ça semblait être une habitude ici – et précédé d'un golden retriever doré. Le chien paraissait tout à fait incongru dans ce décor, a fortiori avec le harnais qui le reliait à son maître. Godzilla serait aveugle ?

Il se déplaçait pourtant avec une aisance déconcertante, sans aucune hésitation. En tout cas sa cécité n'enlevait rien à sa présence écrasante. Son arrivée avait calmé le joyeux bordel provoqué par la découverte de l'escapade de Butch.

Quand le calme fut revenu, Godzilla prit une profonde inspiration et se figea, les narines froncées.

_Merde ! V, l'humain était sous ta responsabilité, tu devais l'effacer à son réveil. Alors explique-moi ce qu'il fout là, debout, dans MON couloir ?

Butch tiqua.

L'effacer ? Qu'est-ce que...

_Si ta Majesté ne m'avait pas plaisamment convié il y a une heure à, je cite, ramener mon cul immédiatement dans son bureau, j'aurais pu finir ce que j'avais commencé.

Ta Majesté ? Hé ben, il s'y croyait le truand !

Butch ne comprenait décidément rien à ce qui se passait dans cette baraque.

Un bruit de course venu du couloir derrière lui stoppa la réponse du roi. Le toubib qui l'avait soigné déboula comme une furie au milieu de la conversation. À côté de la bande de catcheurs, il semblait minuscule, presque vulnérable. Pourtant ça ne l'empêcha pas de s'interposer entre eux et Butch en braillant que personne n'approcherait son patient.

Godzilla se pinça l'arête du nez, mais Manello ne s'arrêta pas pour autant de vociférer.

_Il a besoin de repos. Et vous ne pouvez pas lobotomiser tous les humains jusqu'à en faire des foutus légumes !

_Manello...

La voix du géant aveugle contenait une note d'avertissement tout à fait létale.

Son effet fut une fois de plus brisé. Ça commençait à devenir une habitude et Butch se demanda si ce mec réussissait vraiment à diriger sa bande de marioles. Une femme venait de surgir, une brune aux cheveux courts, elle aussi bardée de cuir noir. Ses vêtements moulants mettaient en valeur sa silhouette nerveuse et ses muscles fins. Elle pouvait paraître maigre, mais Butch ne s'y trompa pas. Il n'aurait eu aucune envie de l'affronter en combat singulier.

Puis il se demanda furtivement ce que Lisbeth Salander venait foutre chez les accrocs du bondage. Encore que...

La fille lui adressa le plus magnifique doigt d'honneur qu'on lui ait fait, et Dieu sait qu'il en avait vu passer. Bordel, c'était comme si elle avait deviné ses pensées... Impossible. Quoique la liste des bizarreries commençait vraiment à s'allonger.

Autre option, Butch était en train de planer sous l'effet de l'anesthésie et pensait se balader dans le Muppet Show. Si son rêve se poursuivait ainsi, ils allaient tous commencer à se poursuivre d'une porte à l'autre.

À présent convaincu de rêver, Butch se détendit et savoura l'image mentale. La dernière arrivée explosa de rire et fit un commentaire.

_Cet humain est complètement stone !

V, qui avait recommencé à débattre avec Sa Majesté, se retourna vers Butch, visiblement inquiet. Il l'évalua du regard et prit la parole d'une voix forte.

_Bon, ta Majesté, du calme. Je ramène le flic dans sa piaule et je me charge de lui.

Le gorille aveugle jaugea son subordonné et finit par acquiescer d'un bref signe de tête. Les autres s'apprêtaient à protester, mais une aura glaciale envahit la pièce, faisant frissonner l'assistance. Tous se turent.

Vishous força le flic à se retourner et le poussa devant lui jusqu'à ce qu'il réintègre sa chambre.

_Hey, doucement, enfoiré ! Je suis blessé.

_T'as su faire le chemin dans un sens, Cop, tu vas pouvoir recommencer.

Butch grogna et se laissa lourdement tomber sur son lit.


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