Un soir à la Piaule
Chapitre 20 : Un soir à la Piaule
Butch peinait à redescendre sur terre. Les cheveux de V étaient incroyablement doux sous ses doigts calleux et il sentait son souffle puissant lui chatouiller le nombril. Le mec avait l'air aussi secoué que lui. Une bonne chose, parce que Butch se demandait encore ce qui venait de se passer. Un instant, ils se sautaient à la gorge et celui d'après ils se sautaient tout court.
Un rire nerveux le secoua. V releva la tête, une note de vulnérabilité s'attardant dans ses yeux de diamant.
_Qu'est-ce qui te fait marrer, Cop ?
Butch secoua la tête et retrouva son sérieux.
_J'ai pensé... Non rien... Un mauvais jeu de mots. Mais je ne ris pas à cause de ce qui vient de se passer.
Il repoussa une mèche noire qui barrait le front de V et la glissa derrière son oreille. Les tatouages sur sa tempe ressortaient plus que jamais sur sa peau dorée, lui donnant une allure sauvage et débraillée. Butch commença à en tracer les lignes de la main, fasciné par les complexes enchevêtrements. V ferma les yeux, essayant en vain de dissimuler la souffrance qui l'habitait.
Repoussant doucement la main de Butch, V se remit debout et rattacha avec douceur la braguette de son compagnon qui trouva ce geste terriblement intime. Il prit même la pleine mesure de ce qui venait de se passer entre eux. Plus moyen de faire demi-tour mais, bizarrement, ça n'effrayait plus Butch. Il aurait dû paniquer, ou du moins se sentir gêné, mais V se dégagea sans un mot pour rejoindre la salle de bain et rien de tout cela ne se produisit.
V, par contre, avait l'air d'avoir besoin d'un moment.
Détendu comme il l'avait rarement été, Butch gagna la cuisine pour leur servir un verre. Le contraste entre le liquide doré qu'il se versa et la vodka de V le fit sourire. Si différents et pourtant... Quand V le rejoignit derrière le comptoir, il souriait un peu bêtement en regardant leurs boissons.
Entre temps, V avait enfilé un pantalon propre et passé un t-shirt neuf. Butch lui tendit son verre avant de lui faire signe de le suivre. Toujours silencieux, l'autre homme lui emboîta le pas jusqu'au canapé et ils s'y laissèrent lourdement tomber, V fixant d'un air absent l'écran plat éteint. Le flic renversa la tête sur le dossier et ferma les yeux, écoutant la respiration de son compagnon. Il aurait pu s'endormir dans la chaleur tranquille de l'instant si la voix un peu tendue de V n'avait pas dissipé le brouillard.
_Ça va, Cop ?
Butch ne bougea pas, mais un grand sourire de fauve repu joua sur ses lèvres.
_J'ai l'air d'aller mal peut-être ?
_Un peu éteint...
_Ça fait toujours ça aux mecs après. Tu ne savais pas ?
V partit d'un franc éclat de rire avant de redevenir sérieux.
_Tu sais, Cop, je ne sais pas bien où tout ça nous emmène. Mais je veux te dire que tu n'as aucune obligation. Ce qui vient de se passer ne change rien, offrit-il un peu hésitant.
_V ?
_Ouais ?
_T'es franchement con pour un génie quand tu t'y mets !
Butch releva la tête pour fixer V demeuré interloqué.
_Je viens de laisser un autre mec me tailler la pipe de ma vie, mon cerveau a failli me sortir par les oreilles et toi tu me dis que ça change rien ? Bien sûr que ça change quelque chose ! Une bonne partie de ce que je pensais savoir en tout cas. Mais ça, c'est pas nouveau.
Les yeux de V exprimaient tant de confusion qu'il était évident que ce mec avait rarement dû exprimer tant de vulnérabilité. V tenait à lui, c'était palpable, même s'il se serait fait arracher un rein plutôt que de l'admettre ouvertement. Et ça allait bien au-delà de la simple amitié si on en jugeait par sa réaction à l'épisode Marissa. Pour autant, Butch n'était pas non plus certain de savoir où tout ça les entraînait. Il était pourtant prêt à tenter le coup, surtout quand ses tripes se retournaient de douleur en voyant le vide se faire dans les yeux de V. Avec le recul, son amorce de discours n'avait rien eu de rassurant.
Il s'empressa donc de continuer sa petite mise au point.
_Depuis que je te connais tu me mets le cerveau à l'envers. Mais je suppose que c'est plutôt une bonne chose, ajouta-t-il en posant sa paume à plat sur la cuisse dure de son compagnon.
Il ne cherchait pas à l'exciter, simplement à lui transmettre sa chaleur.
_Tu me plais, V... Vraiment. Même si je sais pas bien où j'en suis. C'est assez nouveau pour moi, tu sais... eh bien... faire ça avec un autre mec. J'aurais jamais pensé, un jour... Mais ça m'est tombé sur la gueule sans prévenir. Tu m'es tombé dessus. Et je n'ai pas envie de me voiler la face. J'ai jamais été doué pour ça de toute façon. Alors je suppose qu'on pourrait essayer de prendre les choses comme elles viennent, un pas après l'autre ?
D'un coup, la température dans la pièce devint tropicale. Toute douleur s'était évaporée des yeux de diamant. V était transfiguré par une expression ouverte comme elle l'avait rarement été. Sans sommation, Butch se trouva coincé sous un corps puissant, mais ça lui allait très bien. V lui souriait d'un air gourmand et serein. Sa chaleur enveloppa Butch.
Entre eux, quel que soit celui qui prenait la main, il n'existait aucun rapport de domination. Non, Butch était bien trop fasciné par cet enfoiré qui avait foutu son existence sens dessus dessous pour ça.
Ouais, la vie était chouette.
Il se redressa sur les coudes pour embrasser le sourire de V et ajouta malicieusement :
_Et puis ça simplifiera nettement les choses...
V haussa un sourcil interrogateur.
_T'auras plus besoin d'être discret quand tu me mates...
Quand V se mit à rire, Butch se sentit empli de fierté. Il avait rendu V heureux, au moins un peu, et Dieu sait qu'il le méritait.
Le passé du vampire demeurait un mystère impénétrable, mais même vu de loin, cela ressemblait surtout à un beau paquet de merde. V était aussi abîmé que sa carapace de froideur le suggérait. Pourtant, à cet instant, calé contre le torse de Butch, le sourire aux lèvres, il avait l'air en paix.
Et c'était lui, Butch O'Neal, ancien flic au sale caractère et au nez cabossé, qui en était responsable. Il se serait prêt à enchaîner les vannes les plus débiles pour contempler cette expression-là plus souvent.
Merde, ça pourrait devenir une vocation : rendre V heureux.
V qui ne le laissa pas aller au bout de ses pensées et se pencha pour reprendre ses lèvres. Son bouc chatouillait doucement le menton de Butch. Ils n'avaient plus rien des bêtes avides qui s'étaient jetées l'une sur l'autre un peu plus tôt. La bouche de V explorait paresseusement, sa langue ne cherchait pas à forcer le passage mais caressait doucement la lèvre inférieure de Butch qui soupira d'aise. Comblé, il incita son compagnon à prendre son temps.
La main gantée du vampire flatta doucement son ventre et V ajouta d'un air faussement indifférent :
_Donc, je peux te mater quand je veux ? Je peux toucher aussi ? insista-t-il quand Butch hocha la tête, amusé.
_Si ma mémoire est bonne, t'as pas eu besoin d'une autorisation écrite y a un quart d'heure...
V lui mordilla la lèvre en réponse, mais une petite chose tracassait tout de même Butch. Et il voulait poser sa question avant que le désir qui grignotait de nouveau son contrôle ne lui fasse perdre la tête.
_N'empêche, t'es quand même un sacré emmerdeur. Tu viens de me faire douter trois mois. D'abord tu me roules un patin et après, tu fais comme si rien ne s'était passé. Je commençais à me dire que t'en avais rien à foutre...
_Des siècles d'expérience, Cop, répondit V en arborant son sourire arrogant.
Butch lui envoya une bourrade et V ajouta plus sérieusement :
_Je ne voulais pas te foutre la pression.
Collant sa queue à nouveau raidie contre celle du vampire, Butch gloussa.
_C'est raté.
Puis il avala sa salive en sentant V répondre à sa sollicitation. D'un léger mouvement du bassin, celui-ci les plaqua l'un contre l'autre. Mais Butch voulait clarifier une toute dernière chose.
_Ah, attends... À propos de faire comme si de rien n'était... Je voudrais, enfin, je préférerais, qu'on n'en parle pas aux autres... Enfin, pour l'instant, tu vois. Je ne suis pas certain que...
_Relax, Cop, le rassura V qui s'était redressé en l'entendant bafouiller. Ça ne regarde que nous. Du moment qu'on dégomme notre quota d'albinos, personne n'a à savoir ce qui se passe entre nous une fois la porte de la Piaule refermée.
Butch hocha la tête et V se rassit à côté de lui pour attraper son tabac à rouler qui traînait sur la table basse. Des fois que Butch ait encore envie de le couper avec une dernière question... Mais, désormais rassuré, ce dernier ne l'entendait pas de cette oreille. Il ceintura V pour l'obliger à se rallonger sur lui.
_Dis donc, où tu vas comme ça ? Je n'en ai pas terminé avec toi. En fait, j'ai même pas commencé...
Le regard noisette était éloquent et les crocs de Butch émergèrent alors qu'il approchait sa bouche de la gorge offerte de V. L'odeur de son amant le submergea et son érection se pressa contre la hanche du vampire qui laissa échapper un long frisson d'anticipation. Maintenant qu'ils avaient mis les choses à plat, il était temps de passer au second round.
Leurs beaux projets s'envolèrent quand on frappa presque timidement à la porte de la Piaule. Les deux mâles se séparèrent d'un bond, mais le battant demeura clos. Butch poussa un soupir de soulagement.
De l'autre côté, la voix de Rhage, teintée d'une allégresse feinte, s'éleva.
_Hey, les mecs ? Vous êtes vivants là-dedans ou il faut que j'envoie Manello remettre vos boyaux à l'intérieur ?
Les deux mâles se regardèrent sans comprendre.
_Euh, ouais... Pourquoi ?
_Bah, vu comme vous étiez parti pour vous foutre sur la gueule y a même pas une heure... Enfin, juste pour dire que si vous êtes entiers, on vous attend en bas...
_Donne nous cinq minutes. On arrive, temporisa V en se rajustant.
_OK. Bon, par contre, déconnez pas. J'ai parié 50 dollars à Z que Butch se faisait étaler.
_Oh ça, j'en ai bien l'intention, ajouta doucement V.
Il fixa son compagnon avec un sourire prédateur tandis que les pas d'Hollywood décroissaient dans le couloir.
D'une démarche féline, il força Butch à reculer, le ramenant à l'endroit même où ils s'étaient jetés l'un sur l'autre un peu plus tôt. Le flic finit par buter dans le mur, emprisonné entre les bras de V. Sa pomme d'Adam monta et descendit en tressautant.
_On a dit à Rhage qu'on les rejoignait dans cinq minutes, bredouilla-t-il.
V se pencha pour prendre le lobe de son oreille entre ses dents.
_Sans blague ?
Butch déglutit bruyamment et attrapa V par les épaules comme pour le repousser. Mais la pointe d'une langue inquisitrice s'attarda sur l'arrête de sa mâchoire jusqu'à descendre sur sa gorge.
_Ouais, bredouilla Butch plus du tout certain de vouloir stopper la délicieuse torture.
_T'as raison, Cop. C'est pas poli de faire attendre les copains, s'esclaffa tout à coup V en le plantant là avec une érection à assommer un éléphant.
_Reviens ici, enfoiré ! éructa Butch après une seconde de flottement.
Mais l'autre homme avait déjà quitté la pièce d'un pas tranquille, un sourire narquois aux lèvres. Butch renversa la tête en arrière et partit d'un grand rire heureux.
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