Chapitre 7 : Lenod
Conformément aux souhaits du docteur Kulimi, Roy fit décoller le Crow sans tarder. Il se remit à l'écoute de la fréquence d'auto-information silencieuse puis, quand il se fut éloigné suffisamment de LS-72, bascula sur la suivante, un peu plus animée. Le jeune homme s'adossa ensuite à son siège et sortit son écran sur lequel il afficha la liste des médecins. Il hésita.
D'un côté, supprimer un nom de cette liste retirait également une chance de s'en sortir à un blessé cherchant désespérément de l'aide. De l'autre, le docteur essayait tant bien que mal de protéger les derniers membres d'une espèce éradiquée par la Suprapuissance.
Le visage souriant de Noo et ses grands yeux violets s'imposa alors dans son esprit. Il activa le logiciel de piratage qu'il avait mis au point, s'introduisit sans difficultés dans les serveurs de la résistance et effaça définitivement le nom du docteur Kulimi.
Clic-clac (comme il voulait désormais être appelé) s'était intégré le plus naturellement du monde à la vie à bord du Crow. Il insistait pour faire le ménage, la lessive, le repassage (avec un fer sorti de nulle part) ou encore la cuisine. Il appelait ces corvées sa « petite contribution ».
Pendant ce temps-là, Mina récupérait doucement grâce aux remèdes du docteur qu'elle n'avait finalement jamais rencontré éveillée. Cela n'était pas pour lui déplaire puisqu'elle n'avait jamais été très à l'aise avec le concept de télépathie.
Au bout de quatre jours, quand vint l'heure de changer son pansement, ce fut sans surprise pour Roy qu'elle le supplia de la laisser reprendre du service.
― Le docteur Kulimi a dit qu'il te faudrait cinq jours minimum pour être complètement remise, protesta-t-il.
― Je suis complètement remise ! Regarde !
Elle arracha le pansement avant qu'il ait eu le temps de le faire et lui montra ce qu'il restait de la blessure : une estafilade rose. Il fallait bien avouer que le remède du docteur était redoutablement efficace.
― Pourquoi n'iriez-vous pas attaquer un vaisseau ensemble, si c'est trop dangereux pour elle de le faire seule ? Je m'occuperai de la manœuvre du vaisseau, proposa Clic-clac.
Mina tourna vers Roy des yeux de chien battu.
― Dis-oui-dis-oui-dis-oui...
― Bon, très bien. Mais un petit vaisseau, alors, pas un bâtiment mère. C'est mon dernier mot, ajouta-t-il quand il la vit prête à protester.
Mina fit la moue quelques secondes pour la forme puis vola l'écran portable de Roy pour regarder sur le déport radar ce qui se trouvait dans le coin. Elle n'eut pas besoin de chercher très longtemps puisqu'un vaisseau de la Suprapuissance était déjà indiqué en surbrillance. Elle se saisit d'un oreiller et le lança sur Roy.
― Menteur ! Tu avais déjà tout prévu ! s'écria-t-elle en riant.
Un sourire apparut au coin des lèvres de son compagnon.
― Indicatif d'appel : Joker23. D'après les informations internes de la Suprapuissance, il doit livrer des munitions et des armes au bâtiment mère Arès. Ils ne sont que dix à bord, mais c'est bien assez pour une reprise. J'ai déjà rentré ses coordonnées dans le Crow, on devrait y être dans deux heures.
Mina aurait bondi de joie si Roy n'était pas en train de lui refaire son pansement.
Pendant que Roy vérifiait que tous les systèmes étaient opérationnels pour l'assaut, Mina ressortit son collier de sous son oreiller. Elle ne le portait pas de peur de le perdre mais le sortait au moins une fois par jour pour l'admirer. Elle ne comprenait pas ce qu'elle avait sous les yeux et cela la fascinait au plus haut point. D'ordinaire, quand elle voyait quelque chose d'inconnu, son cerveau lui donnait au moins deux ou trois réponses possibles quant à son rôle et son fonctionnement. Cependant, il restait parfaitement silencieux quand ses yeux étaient fixés sur la bille noire.
― Qu'est-ce que c'est ? demanda une voix derrière elle.
Elle sursauta et se retourna tout en fourrant le collier sous son oreiller.
C'était Clic-clac. Soulagée, elle se détendit et lui montra le pendentif. Le poulpe le prit délicatement dans ses tentacules et le fixa de ses yeux globuleux.
― Magnifique, souffla-t-il. Absolument incroyable. C'est du glofrimskg, mais on dirait qu'il y a quelque chose d'enfermé à l'intérieur... C'est fascinant... Qu'est-ce donc ? Où l'avez-vous trouvé ?
Mina reprit le collier et le regarda à son tour. Elle commençait à comprendre les quelques mots que leur ami s'obstinait à prononcer dans sa langue maternelle. Ainsi, le pendentif était en martène ? Cela expliquait sa teinte noire de nuit. Malheureusement, c'était tout ce que pouvait lui dire Clic-clac à son propos, semblait-il.
― On l'a trouvé sur Phizon, mais on ignore ce que c'est, répondit-elle. Vous connaissez quelqu'un qui pourrait nous en dire plus ?
Le poulpe soupira.
― Malheureusement, j'ai bien peur que non. J'ai beau être un expert en la matière, ce procédé de lissage du glofrimskg m'est inconnu. Il doit être ancien... Peut-être a-t-il même été réalisé il y a plusieurs centaines d'années...
― Je vois, regretta-t-elle.
Elle fit tourner le pendentif entre ses doigts encore un peu puis le replaça sous son oreiller avec regrets, toujours autant tiraillée par la curiosité.
Roy les rejoignit à ce moment-là et lança à Mina sa combinaison de rechange qu'elle s'empressa d'enfiler par-dessus ses vêtements, toute heureuse. Elle ceignit ensuite sa sacoche à sa taille et fit l'inventaire de son contenu. Cette fois-ci, elle s'assura d'avoir deux poignards. Elle en glissa également un dans un fourreau qu'elle passa à sa ceinture. Une fois armée, elle vérifia le bon fonctionnement de son casque puis leva le pouce en direction de Roy.
― Parée ! dit-elle.
― Alors en piste, répondit-il.
Roy avait expliqué à Clic-clac leur plan d'attaque et lui avait montré comment opérer le vaisseau en leur absence. Le poulpe avait rapidement maîtrisé les commandes, faisant montre de son savoir-faire en tant que facteur professionnel. C'est donc en toute sérénité que Mina et Roy se tenaient prêts à l'assaut devant le sas.
Une fois le signal donné, ils s'engouffrèrent dans le tunnel, déverrouillèrent la porte du vaisseau ennemi et neutralisèrent le comité d'accueil qui ne tarda pas à venir à leur rencontre. Ils se dirigèrent ensuite vers le compartiment cargo, suivant les indications de Clic-clac. Ils l'atteignirent rapidement et l'ouvrirent sans efforts. La lumière s'alluma automatiquement quand ils pénétrèrent dans la pièce et ils s'immobilisèrent.
Un soldat en combinaison spatiale se tenait entre les caisses de munitions et d'armes, les mains levées.
― Je me rends, dit-il calmement.
Mina et Roy se regardèrent, interdits. Jamais un soldat de la Suprapuissance ne s'était rendu. Ils se battaient tous jusqu'à la perte de connaissance ou la mort, tels des robots de guerre.
Quand il vit que les deux électras ne s'approchaient pas, il baissa les bras.
― Lenod Steve, première escouade des forces résistantes terriennes, en mission sous couverture au sein de l'armée de la Suprapuissance Sapiens, récita-t-il en saluant rapidement.
― Qu'est-ce que vous nous voulez ? lança Roy, sur le qui-vive.
Lenod Steve sourit.
― Oh, trois fois rien... Vous n'auriez pas avec vous un certain monsieur... euh... un Martélien qui ressemble à un poulpe violet, par hasard ?
Mina et Roy furent abasourdis. Ils se tendirent plus encore, prêts à attaquer si besoin. Le visage de l'homme s'éclaira quand il vit leur réaction.
― Oh, génial ! J'aurais un petit service à vous demander... Pourriez-vous me prendre avec vous ? Je vous donnerai alors ceci.
Il tendit devant lui une petite carte carrée d'un centimètre de côté.
Roy s'approcha prudemment et observa attentivement l'objet.
― Une carte mémoire... Qu'est-ce qu'elle contient ?
L'inconnu haussa les épaules.
― Le moyen de communiquer avec quelqu'un de très important qui veut discuter avec vous d'un truc... très important. Peut-être même notre seul espoir de vaincre la Suprapuissance Sapiens pour de bon, déclara-t-il avec un clin d'œil. Alors, intéressés ? Moi seul connais le mot de passe, par contre. Donc m'assommer, me voler la carte et partir en m'abandonnant ici ne vous mènera nulle part.
Les pirates se regardèrent, surpris. Était-ce un piège ? Pourtant, l'homme n'était pas armé, Mina s'en était assurée grâce au magnétisme. Aucun objet métallique de forme suspecte ne se dessina sous la combinaison du prénommé Lenod quand elle fit de son corps un aimant géant. Mais pourquoi venir à eux ? En quoi un plan destiné à détruire la Suprapuissance pouvait bien les concerner ? Ils travaillaient en indépendants et ne faisaient que vendre leur butin à la résistance, ils n'en avaient jamais vraiment fait partie... Pourtant, la perspective d'être débarrassés du régime tyrannique et de pouvoir mener une vie tranquille sans risquer de se faire tuer à tout moment était alléchante. Mina soupira quand elle vit les yeux de Roy briller d'intérêt.
― Pourquoi pas, mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude, on ne va bientôt plus avoir de place à bord... dit-elle à son compagnon.
Roy se retourna vers Lenod Steve.
― Marché conclu, déclara-t-il. Mais que ce soit bien clair : au moindre geste suspect...
Il laissa sa phrase en suspens. La menace dans sa voix avait été suffisamment claire.
― C'est un plaisir de me joindre à vous, mes chers capitaines, répondit Lenod sans se départir de son sourire.
Il activa son casque et montra la porte cargo qui se trouvait derrière lui.
― C'est par là qu'on sort, j'imagine ? dit-il.
Roy déploya son propre casque en guise de réponse.
― On récupère quand même les caisses, non ? fit remarquer Mina.
Une fois toutes les lanières retenant leur butin sectionnées, Roy avertit Clic-clac de leur sortie imminente. Roy saisit Lenod par le bras et Mina ouvrit la porte. Ils se retrouvèrent alors aspirés dans le vide.
Tous trois regardèrent le bras aimanté du Crow récupérer les caisses puis les électras jouèrent sur le magnétisme de leur corps pour se diriger vers leur vaisseau, Roy traînant Lenod à côté de lui. Une fois tout le monde à bord et la pression rétablie dans la pièce, ils purent enlever leurs casques et souffler.
― Vous voilà officiellement démobilisé, annonça Roy au soldat.
― Ils sont encore vivants là-dedans ? s'enquit Lenod, tendant un pouce vers le vaisseau qu'ils venaient de quitter.
― On fait au mieux, soupira Mina.
Lenod acquiesça, pensif, puis sortit une petite télécommande noire sur laquelle ne se trouvait qu'un bouton.
― C'est bien ce que je me disais après avoir lu vos dossiers... marmonna-t-il.
Roy comprit alors. Il se précipita sur l'homme, mais ce dernier avait déjà appuyé.
― Qu'est-ce que vous avez fait ? s'écria l'électra, blême.
― La résistance ne peut se permettre de perdre un agent infiltré. Nous ferons en sorte qu'officiellement, je ne sois jamais monté à bord de ce vaisseau.
La porte de la pièce s'ouvrit à la volée et Clic-clac se précipita vers eux, ses tentacules s'agitant dans tous les sens.
― Le vaisseau a explosé ! Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il, paniqué, avant de s'arrêter net. Qui est-ce ?
― Lenod Steve, première escouade des forces résistantes terriennes, en mission sous couverture au sein de l'armée de la Suprapuissance Sapiens, salua à nouveau Lenod, ne quittant Roy que brièvement des yeux.
Mina était blême. Elle non plus n'avait pas eu le temps d'intervenir quand Lenod avait sorti le détonateur. Elle pensa aux neuf personnes qui se trouvaient à bord au moment de l'explosion et sa gorge se serra.
Roy saisit Lenod par le col de sa combinaison.
― Pourquoi être monté à bord si votre présence nécessitait de le faire exploser par la suite, dans ce cas ? hurla-t-il. Pourquoi ne pas avoir placé votre carte mémoire dans une des caisses ? Vous savez qui on est, on aurait très bien pu craquer le mot de passe !
― Il voulait être certain que vous la receviez en mains propres. Et croyez-moi, même vous, vous auriez eu du mal avec ce code. Quant à ces hommes, ils étaient condamnés, de toute façon, ils auraient été exécutés dès leur retour pour faute grave.
La voix de l'homme s'était accélérée à mesure qu'il parlait, ses pieds quittant progressivement le sol.
― Roy, murmura Mina à son compagnon en posant une main sur son bras.
Le jeune homme lâcha Lenod qui retomba lourdement au sol.
― Qui est ce « il » ? Qui vous a demandé de nous remettre cette carte ?
― Le génie qui fait trembler la résistance, répondit Lenod en se remettant difficilement debout.
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