Chapitre 6 : Remède
Roy guida le docteur à travers la forêt, suivant le chemin qu'il s'était dégagé à l'aller tandis que le petit homme pestait comme quoi il allait devoir déménager.
Noo avait quitté les épaules de Roy et les accompagnait par les hautes branches des arbres, tantôt devant, tantôt derrière, se servant de ses longues membranes pour planer. Au niveau de ces dernières, le jeune homme remarqua un étrange halo vert scintillant.
― Les clarics sont fascinants, expliqua Kulimi. Ils se servent à la fois de ces membranes et de l'énergie qu'ils puisent dans la nature pour planer sur de longues distances. Le plus long vol auquel j'aie pu assister s'est achevé trois cents mètres après le point de départ !
― L'énergie de la nature ? tiqua Roy. Comme les yéosahis ?
― Exactement comme les yéosahis, confirma le docteur. C'est ce qui m'a poussé à m'intéresser aux clarics il y de cela deux décennies. Je voulais découvrir ce qui, dans l'évolution de ces deux espèces bien distinctes, avait pu mener à une telle capacité. Savais-tu qu'ils partageaient même des gènes communs ?
Roy, plongé dans le souvenir de sa dernière rencontre (assez violente) avec un yéosahi, faillit ne pas entendre la question. Il ignorait ce fait, bien entendu, n'étant pas compétent en la matière, ni très intéressé.
Le docteur sourit quand il capta la réponse dans les pensées de son interlocuteur et poursuivit :
― Un croisement naturel entre les deux espèces est impossible. Leur génome possède quelques points identiques, mais il est autrement bien trop différent. J'ai rapidement écarté la possibilité de manipulation génétique également, cette technique étant bien plus récente que les deux groupes d'individus. Reste donc l'environnement. Les deux espèces sont connues pour apprécier la vie ombragée des grandes forêts, mais à part ça... Les clarics sont herbivores et descendent d'après mes recherches d'organismes unicellulaires s'étant développés dans les points d'eau au pied d'arbres primitifs. Quant aux yéosahis, tout porte à croire qu'ils ont les mêmes ancêtres communs que les humains normaux. Ils sont eux aussi omnivores et un mélange génétique est possible entre eux et les Hommes, comme c'est le cas pour tous les infinis. Ma conclusion sur nos origines est d'ailleurs que nous sommes une sous-espèce de l'homo sapiens. Revenons-en aux clarics : les membranes se forment à un stade précoce du développement embryonnaire et...
Roy décrocha. Le sujet ne le passionnait pas plus que cela. Les origines des infinis non plus, d'ailleurs. Ce qui le préoccupait davantage, c'était son avenir et donc sa survie. Savoir s'il était le cousin d'un singe ou d'une batterie n'allait pas vraiment l'aider à voir le prochain printemps. Pas plus qu'une rencontre avec un yéosahi mal luné.
La dernière fois qu'il était tombé nez à nez avec l'un de ces infinis, c'était deux ans auparavant, quand il avait décidé d'explorer toute la forêt amazonienne à pied. Peau mate, cheveux noirs de jais et iris jaunes, l'homme l'avait attaqué sans crier gare, envoyant une lance auréolée d'énergie verte droit vers sa poitrine. Elle se serait plantée dans son cœur si le jeune homme n'avait pas évité au dernier moment, boostant au maximum ses muscles et ses réflexes en manipulant l'électricité qui circulait dans son corps. Il avait alors baissé sa garde en sachant son adversaire désarmé et avait donc été surpris de découvrir une branche avec ce même halo vert coincée dans son bras. Son aventure amazonienne avait tourné court au bout de ce deuxième jour avec, en guise de souvenir, une cicatrice causée par un bâton.
Visiblement, le télépathe était trop occupé à parler de ses recherches pour avoir remarqué que le jeune homme ne l'écoutait plus du tout.
Roy passa donc le trajet perdu dans ses pensées, Noo à les attendre, les laisser prendre de l'avance, planer au-dessus de leur tête, les attendre, etc. et Kulimi à discuter des points communs entre la biologie d'une mare et celle d'un océan.
Pour un télépathe asocial qui n'aimait pas les humains, il parlait quand même fichtrement beaucoup.
Ils furent accueillis par un poulpe violet en napperon rose à volants équipé d'un plumeau. Roy était à peu près certain que ces derniers n'avaient jamais été à bord.
― Te voilà de retour, Roy ! Bienvenue, docteur, salua-t-il en levant un tentacule.
Kulimi s'avança sans hésitation et le lui serra.
― C'est un plaisir, monsieur. Puis-je vous demander de m'accompagner auprès de la petite ?
― Bien entendu, c'est par ici.
Le Martélien s'enfonça dans le vaisseau, suivi du docteur, visiblement très à l'aise avec la créature.
Roy s'apprêtait à leur emboîter le pas quand un petit choc sur son épaule lui fit tourner la tête. Noo était de retour sur son dos et elle fixait l'entrée du vaisseau avec curiosité, un doigt dans la bouche.
― Tu veux venir voir à l'intérieur ? lui demanda Roy en lui caressant les cheveux.
Elle pencha la tête sur le côté. Prenant cette réaction pour un oui, le jeune homme gravit l'escalier menant au ventre de l'appareil.
Roy rejoignit le Martélien et Kulimi auprès de Mina. Son cœur se serra quand il la vit transpirante et haletante. Il s'approcha d'elle et prit sa main brûlante.
― Est-elle examinable ? interrogea le médecin en ouvrant sa mallette sur le lit.
Le jeune homme comprit ce qu'il voulait dire. Il posa Noo à côté de lui, serra la main de Mina et abaissa ses barrières. Il sentit alors une douce chaleur se répandre dans ses mains puis ses bras à mesure que l'électricité encore stockée dans le corps de sa petite amie se déversait dans le sien. Il aurait été dangereux pour un humain ordinaire de la toucher quand elle était dans un état de faiblesse tel qu'elle ne pouvait plus contrôler ses capacités. Il acquiesça ensuite à l'adresse du docteur.
Ce dernier se désinfecta les mains, se pencha sur le pansement sommaire réalisé quelques heures plus tôt par Roy, prit des ciseaux et découpa le bandage. La jambe de Mina était gonflée au niveau de la plaie et cette dernière commençait à suinter par endroit. Roy blêmit.
― Elle n'a été blessée qu'il y a quelques heures, dit-il, la gorge sèche. J'avais tout désinfecté, mes mains, sa blessure, les pansements étaient stériles... Comment la plaie a-t-elle pu s'infecter en si peu de temps ?
― Je parie qu'ils ont mis quelque chose sur leurs balles, grommela Kulimi. Le but de la Brigade est de tuer, pas de blesser. Ils veulent s'assurer que tout le monde y passe, que ce soit sur le coup ou dans les heures qui suivent. Vous avez eu de la chance de me trouver aussi vite. Si tu avais campé dans ma clairière, tu ne l'aurais jamais revue vivante.
Il sortit une feuille verte et une petite poignée d'herbes de sa mallette.
― De l'eau claire et un bol propre, s'il vous plaît.
Roy se précipita vers la salle de bain et en revint avec un petit flacon d'eau déminéralisée. Il prit un bol, l'aspergea d'antiseptique et le frotta avec une lingette stérile avant de tendre le tout au docteur. Ce dernier plaça les plantes et l'eau dans le récipient puis les malaxa avec ses doigts jusqu'à en faire une pâte presque liquide qu'il étala sur la blessure.
Il se tourna vers Noo qui rivait des yeux fascinés sur le poulpe violet depuis son arrivée dans la pièce.
― Noo, peux-tu aller me chercher une jolie fleur bleue comme celle que je t'ai montrée hier ? lui demanda-t-il doucement.
La petite pencha la tête et partit en courant à quatre pattes.
Roy gardait les yeux rivés sur sa bien-aimée. Il avait l'impression d'être au bord d'un abîme, un pied dans le vide.
― Est-ce qu'elle va s'en sortir ? trouva-t-il la force de demander, terrifié par la réponse qu'on pourrait lui donner.
Le docteur haussa les épaules. Roy ne savait pas si son air indifférent signifiait que Mina était hors de danger ou s'il s'agissait simplement du manque d'empathie dont il faisait preuve depuis leur rencontre.
― Aujourd'hui ? Oui, annonça Kulimi. Demain ? Ça dépendra de vous. Si vous vous cachez très loin sur une planète inhabitée – je dis bien très loin et inhabitée, je ne veux pas de vous ici – alors peut-être. Si vous vous jetez une nouvelle fois à bras-le-corps au-devant des ennuis, absolument pas.
Roy poussa un profond soupir de soulagement accompagné d'un rire nerveux.
― Je ne peux rien promettre, avoua-t-il.
Le docteur soupira bruyamment.
― Je sais à quoi m'en tenir avec les électras, grommela-t-il. Et tu as beau garder un mauvais souvenir des yéosahis, vous êtes pourtant étonnamment semblables quand il s'agit de vous fourrez dans des situations délicates...
Ah, donc Kulimi n'avait pas été si absorbé que cela par son monologue pendant le trajet, finalement...
― Bref, essayez de rester en vie au moins quelques jours, que je ne me sois pas déplacé jusqu'ici pour rien.
Roy lui adressa un sourire embarrassé.
Un bruit de course dans le couloir détourna l'attention du docteur, permettant au jeune homme de souffler. Noo apparut dans l'embrasure de la porte, une immense fleur bleue d'au moins vingt centimètres de diamètre dans une main. Elle sauta sur le dos du docteur et posa la plante sur la tête de ce dernier, ses yeux se fixant une nouvelle fois sur le poulpe.
Kulimi saisit la fleur en remerciant la petite claric et en détacha un pétale qu'il glissa dans la bouche de Mina.
― Donnez-lui un pétale de cette fleur par jour, dit-il. Elle accélère les fonctions de guérison du métabolisme et permet une cicatrisation plus rapide. Pour ce qui est de la plaie en elle-même, je vais vous préparer un peu du mélange que je lui ai appliqué aujourd'hui, vous lui en mettrez également une fois par jour au moment de changer le pansement. Ce n'est pas un produit miracle, mais il empêchera la plaie de s'infecter le temps que son corps combattre le poison. Elle devrait être totalement rétablie d'ici cinq ou six jours.
Le soulagement saisit le cœur de Roy. Il se leva et serra le docteur dans ses bras. Kulimi essaya tant bien que mal de se dégager en protestant, mais il cessa de se débattre quand Noo se joignit aux embrassades, passant les bras autour de la tête de Roy en roucoulant.
― Merci infiniment ! le remercia le jeune homme.
Au bout de trois secondes, Kulimi eut l'air de se dire que c'était suffisant et repoussa Roy, sortant rapidement d'autres herbes pour préparer davantage de son mélange. Ceci fait, il rangea son matériel et se dirigea sans plus tarder vers la sortie.
― Je ne sais comment vous remercier... lui dit Roy en le suivant.
― Ne remettez plus jamais les pieds ici. Et dégagez mon nom de cette liste ! Je ne suis pas le seul que vous avez mis en danger en venant sur cette planète...
Sur ce, il tourna les talons et s'enfonça dans la forêt sans un regard en arrière. Noo agita la main en sautant sur place puis disparut rapidement dans les branches d'un arbre, portée par un léger halo vert.
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