Chapitre 5 : LS-72

Roy retourna s'installer dans le poste de pilotage et sortit son écran de sa poche. Il passa plusieurs heures à faire défiler les dernières informations, vérifiant notamment que la Suprapuissance n'était pas déjà à leurs trousses. Pour cela, rien ne valait les chaînes galactiques d'informations en continu qui, telles des prédateurs à l'affut, s'empressaient d'annoncer le moindre détail des affaires les plus juteuses sans vérifier leur exactitude. Effectivement, la déroute du Métis faisait les gros titres, attirant les spécialistes de tous bords qui débattaient sur la question : « Attentat ou défaillance mécanique ? ». Visiblement, la sortie explosive du trio avait touché plus que la salle dont ils s'étaient échappés. Sur les images qui tournaient déjà en boucle, un bon quart du bâtiment avait disparu, des débris flottant çà et là dans le vide.

Roy porta sa main à son menton, nerveux. Prendre des vies ne les avait jamais amusés, Mina et lui. Ils faisaient toujours en sorte d'épargner autant de monde que possible. Cependant, dans le cas des types en noir comme ce jour-ci, Mina hésitait beaucoup moins que lui. La Brigade avait abattu toute sa famille quand elle était petite, aussi leur vouait-elle une haine farouche qui virait au sanguinaire quand elle devait se battre contre eux. Elle prendrait sans doute leur dernière aventure un peu mieux que lui, qui passerait des nuits blanches à ressasser. Mais la mort des soldats ordinaires pris dans l'explosion lui pèserait tout autant qu'à lui. L'image des purgateurs levant les yeux sur le chasseur qu'il pilotait juste avant leur mort lui revint à l'esprit. Ils n'avaient eu aucune chance. Il ne leur avait laissé aucune chance. La panique d'avoir frôlé la mort puis d'avoir vu Mina y réchapper de peu à son tour, Mina blessée... Il n'avait pas réfléchi. Il avait oublié les principes de justice, de bien et de mal. Il avait tiré. Il les avait éradiqués.

Les images de leur mort s'imposèrent à son esprit. Il eut beau fermer les paupières aussi fort qu'il le pouvait, elles ne s'effacèrent pas. Il plaqua une main sur sa bouche, saisit de nausées.

À ses côtés, le Martélien était plongé dans son tricot et ne remarqua pas son trouble.

Quelques minutes avant la sortie prévue du filament cosmique, Roy afficha les informations relatives à la planète sur laquelle vivait apparemment le seul médecin allié de la résistance à plusieurs galaxies à la ronde. Il s'agissait plus précisément d'un docteur en biologie spécialisé dans les êtres humanoïdes qui s'était installé sur la petite planète LS-72, ou Lima-Sierra-72, voilà de cela dix ans pour protéger les derniers survivants d'une espèce quasiment éradiquée par la Suprapuissance.

La planète avait les mêmes dimensions que Mars, une atmosphère sensiblement identique à celle de la Terre et donc respirable sans équipement. Elle ne disposait pas de contrôleurs spatiaux (que Roy n'aurait pas contactés de toute façon) et l'approche comme l'atterrissage se faisaient en auto-information. Cela signifiait donc que les différents vaisseaux présents sur la fréquence dédiée devaient s'annoncer et décrire leurs manœuvres à l'attention des autres. Le jeune homme prépara dans son système radio la fréquence en question sans l'activer pour le moment.

Une alarme retentit, signalant la sortie imminente du filament cosmique. Roy posa une main sur la commande des moteurs principaux et, dès que l'alarme cessa, il les coupa, ce qui eut pour effet d'allumer automatiquement les moteurs secondaires, fonctionnant sur leur réservoir de matière noire. Lorsque les vaisseaux se trouvaient dans les filaments cosmiques, ils puisaient dans la matière noire ambiante pour se propulser. Une fois en dehors, le vide leur permettait de conserver leur vitesse. Pour tout changement de direction, pour accélérer ou décélérer, ils se reposaient alors sur leurs propres réserves et des moteurs secondaires plus maniables et réactifs que les principaux.

Leur destination ne se trouvait plus qu'à une heure de trajet. Roy régla dans sa machine la densité et l'altitude moyennes de l'atmosphère qui se trouvaient sur sa carte, la planète ne disposant pas de station météorologique pouvant les lui fournir en temps réel. Cela permettrait à l'ordinateur de calculer leurs angle et vitesse d'entrée dans l'atmosphère.

Lorsque la petite planète verte et bleue fut visible, le jeune homme passa sur la fréquence d'auto-information. Il ne comptait pas se faire connaître, mais savoir s'ils étaient seuls et, si ce n'était pas le cas, où se trouvaient les autres vaisseaux et ce qu'ils faisaient pour rester hors de leur champ de détection. Comme il s'y attendait, la fréquence était silencieuse. Roy approcha donc le Crow de la planète, pénétra dans l'atmosphère et se dirigea vers les coordonnées géographiques indiquées dans la liste de la résistance. Il se retrouva au-dessus d'une forêt dense d'un vert resplendissant où apparaissaient ici et là des feuillages mauves et rouges. Se rendant compte qu'admirer le paysage ne l'aiderait pas à trouver le docteur plus rapidement, il se concentra donc sur le plus urgent : dénicher un endroit où poser le vaisseau, aucune zone d'atterrissage n'étant indiquée sur la carte dont il disposait. Il finit par repérer une clairière suffisamment grande pour les accueillir et s'y posa en douceur.

Il coupa les réacteurs et les différents systèmes de bord du vaisseau puis activa le mode furtif. Il savait que le vaisseau était en train de prendre une teinte verte identique à la forêt qui l'entourait. Roy jeta ensuite un nouveau coup d'œil à son écran.

― A priori, le médecin devrait se trouver dans les parages, annonça-t-il au petit poulpe qui tricotait à côté de lui.

Il se leva et se dirigea vers sa chambre. Mina dormait toujours mais son sommeil n'avait pas l'air paisible : elle suait à grosses gouttes et respirait de manière saccadée. Roy récupéra le tissu qui était tombé de son front, le plongea une nouvelle fois dans la bassine d'eau à côté du lit et le replaça sur sa tête. Le Martélien l'avait suivi et l'observait.

― Je m'occupe d'elle, proposa-t-il. Va vite chercher ce docteur.

Roy ne se fit pas prier. Il posa ses lèvres sur le front de Mina puis essuya une goutte de sueur sur sa tempe. Il prit ensuite son sac à dos d'urgence, le mit sur ses épaules et quitta le vaisseau.

Mina et lui possédaient chacun un sac prêt en toutes circonstances contenant une couverture, de l'argent et de quoi manger et boire pendant une semaine en cas de coup dur. Roy espérait ne pas avoir à puiser dans ses réserves, mais il ignorait combien de temps il lui faudrait pour dénicher le docteur. Sa carte lui indiquait la position du campement, à quelques kilomètres à peine de là, mais il ne savait pas si l'homme qu'il souhaitait voir l'y attendrait bien sagement sachant qu'il souffrait d'un brin de paranoïa. C'était compréhensible, étant donné que ce dernier avait sauvé les derniers membres d'une espèce d'êtres vivants et s'était réfugié avec eux sur cette planète pour les protéger. Roy ne serait pas surpris qu'il ait pris la fuite en entendant un vaisseau atterrir à proximité. Il se mit en marche entre les arbres et les herbes hautes.

Après une bonne demi-heure à se frayer un chemin dans les plantes, le jeune homme déboucha enfin sur un espace dégagé et ombragé où se dressait une cabane de fortune en bois et en terre. Il s'en approcha sans essayer d'être discret, ce qui paraîtrait plus suspect qu'autre chose, pensant de toutes ses forces à son amour pour Mina et à la peur qu'il avait de la perdre. Il comptait sur la petite particularité du docteur pour que celui-ci se montre de lui-même.

Ce ne fut pas le cas et Roy se retrouva bientôt à la porte d'une cabane vide. Une petite paillasse d'herbes et de feuilles était étalée dans un coin à côté d'un bac rempli d'eau sur le rebord duquel séchait une petite serviette marron. De l'autre côté, une malle ouverte débordait de vêtements en vrac de toutes les couleurs.

Le jeune homme se retourna et observa la petite clairière. Il pouvait bien s'installer par ici en attendant le docteur, quitte à monter sa tente pour quelques jours.

― Non mais ça va pas ! hurla une voix derrière lui.

Roy se retourna et aperçut un petit homme chauve d'une soixantaine d'années à la peau sombre qui le fusillait du regard entre deux arbres. Il portait un vieux pantalon qui avait dû être blanc dans sa vie antérieure et une chemise aux manches retroussées. Ses bras regorgeaient de fruits qui auraient pu paraître forts appétissants au jeune homme après des jours de barres énergétiques lyophilisées si la situation n'avait pas été aussi urgente.

― Tu vas dégager d'ici, oui ! Du vent !

― Docteur Kulimi ? Mon amie a besoin de votre aide, expliqua Roy sans bouger.

― Ce n'est pas parce que tu le dis à voix haute que ça va changer quoi que ce soit ! Je déteste les humains ! Déguerpis !

Sur ce, il passa devant Roy sans le regarder et pénétra dans sa cabane pour y déposer ses fruits. Le jeune homme l'observa trier sa cueillette et ses yeux s'arrêtèrent sur le nombre deux cent soixante-huit inscrit à l'arrière de son crâne. Il repensa alors aux événements de la veille : aux types en noir, à Mina blessée, à leur évasion, aux débris et aux hommes qui flottaient dans l'espace, le brassard noir...

― Vous avez tué Vorzuen ? lança tout à coup le docteur.

Alors que Roy était perdu dans ses pensées, le petit homme s'était retourné et le regardait d'un œil où l'agacement avait fait place à une lueur vengeresse.

Roy avait oublié l'espace d'un instant qu'il parlait à un télépathe. Il n'avait pas l'habitude de traiter avec d'autres infinis et les gens possédant le talent que son interlocuteur étaient très souvent difficiles à aborder.

― Vorzuen, leur commandant... Vous l'avez eu ? répéta le docteur, qui n'appréciait visiblement pas que Roy ne réponde pas immédiatement à sa question ni oralement, ni par la pensée.

― Oh... Il semblerait, oui... grimaça-t-il, se rappelant la menace qui pesait à présent sur Mina et lui.

― Vous êtes dans de beaux draps, les gosses, poursuivit Kulimi en reprenant son tri. Même si je sauve ton... amie... aujourd'hui, vous ne verrez pas la fin du mois.

― On ne le saura pas avant d'avoir essayé, rétorqua Roy.

Le docteur ricana.

― Et on peut savoir comment vous m'avez trouvé ? demanda-t-il.

― Votre nom était sur la liste de la résistance, expliqua Roy. Celle des médecins dignes de confiance.

Le petit homme soupira.

― Qu'est-ce qu'il fiche dedans ? Je ne suis pas résistant, je m'oppose simplement aux massacres auxquels s'adonne le Supra sans raisons... Et je ne suis pas vraiment médecin non plus... Mais qu'est-ce qu'ils vont inventer, ces ahuris ?

Tandis que le docteur maugréait, un mouvement à la limite de son champ de vision fit réagir Roy au quart de tour. Il se retourna, main posée sur son poignard. Il aperçut alors une petite créature humanoïde à la peau de miel et aux longs cheveux noirs. Elle était recroquevillée sur le sol, la tête enfoncée dans son cou et les épaules relevées, sans doute effrayée. Mais ce qui retint le plus l'attention du jeune homme, c'était la membrane translucide qui pendait de ses bras. Elle le fixait de ses grands yeux noirs sans autre mouvement que de légers tremblements.

― Noo, viens là, n'aie pas peur, l'appela le docteur.

La créature releva la tête en entendant la voix et se précipita à quatre pattes vers la cabane, ralentissant subrepticement en passant devant Roy. Elle entra et se percha sur le dos de l'homme. Ce dernier se leva en lui caressant la tête. Quand il se retourna, elle avait les yeux fermés et un sourire aux lèvres. Roy put alors l'observer plus attentivement. Son petit nez pointu, ses pommettes saillantes et ses longues oreilles pointues auraient pu être ceux d'une fée dans les vieux contes pour enfants terriens. Il remarqua également que la membrane n'était pas uniquement attachée à ses bras mais qu'elle s'étendait jusqu'à ses chevilles, comme chez les écureuils volants. Elle ne portait pas de vêtements mais une courte fourrure recouvrait son corps.

― C'est... ? commença-t-il, fasciné.

― Une petite claric, expliqua-t-il. Je me trouvais sur leur planète pour les étudier quand la Brigade des Purgateurs, menée par Vorzuen, a débarqué. Je pensais qu'ils venaient pour moi, mais ce sont les clarics qu'ils ont exterminé. Leur planète comptait pourtant d'innombrables espèces, je ne comprends pas pourquoi ils se sont acharnés sur eux... Je n'ai pu en sauver que sept. Noo est née après, ici, il y a maintenant cinq ans.

La créature ouvrit les yeux et fixa Roy avec curiosité. Ce dernier s'aperçut alors que ses pupilles s'étaient rétractées pour ne plus former qu'une fente verticale et que ses iris brillaient d'un splendide violet.

Elle pencha ensuite la tête sur le côté et bondit sans prévenir sur la tête de Roy. Celui-ci laissa échapper un petit cri de surprise et recula de deux pas, essayant de recouvrer son équilibre. Noo descendit sur son dos et posa ses mains sur les épaules de son nouveau perchoir.

Le docteur regarda sa protégée avec amusement. Il poussa ensuite un profond soupir et se dirigea vers sa malle.

― Conduis-moi à ta petite amie, lui commanda-t-il. Je ne cautionne pas la violence, mais pour ce salop de Vorzuen, je veux bien faire une petite exception. Vous nous avez débarrassés de lui, vous aider est le moins que je puisse faire.

Noo donna un petit coup de tête à Roy, le fixant de ses grands yeux violets. Le jeune homme tendit une main timide et lui caressa les cheveux. La petite sourit et ferma les paupières de bonheur.

Le docteur Kulimi s'approcha de Roy, une mallette blanche à la main, et leva les yeux vers lui.

― Allons-y, dit-il.

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