Chapitre 2 : Métis

― Tada ! Comment il me va ?

Roy leva les yeux de son écran pour regarder Mina.

Ses courts cheveux blonds étaient salis par la poussière du hangar et elle portait le même t-shirt autrefois blanc et le même pantalon en toile depuis quatre jours. Elle était magnifique.

Les yeux de Roy se posèrent sur le collier qui ornait son cou.

― Tu devrais l'enlever, on pourrait te prendre pour une fille, dit-il avant de se replonger dans les données qui défilaient sur son écran.

Mina lui sauta dessus en protestant et colla ses lèvres contre les siennes.

― Merci, murmura-t-elle.

― N'oublie pas de me le passer de temps en temps, je meurs d'envie de savoir ce que c'est, marmonna péniblement Roy, étranglé par l'étreinte de Mina et essayant tant bien que mal de regarder son écran.

La jeune femme s'installa plus confortablement sur les genoux de Roy et enleva le collier pour le regarder de plus près.

Brainstorming, lança-t-elle.

Son compagnon posa son écran et s'adossa contre son fauteuil.

― Métal inconnu, commença-t-il.

― Métal magique inconnu, poursuivit-elle.

― Fragment cristallisé d'un filament cosmique.

― Orage cristallisé.

― Nouvel élément chimique.

― Clé pour comprendre les origines et les mystères de l'univers. Et avec ça, on botte les fesses de la Suprapuissance Sapiens.

Roy la regarda en clignant des yeux.

― Un point pour l'originalité. Mais tu pourrais être sérieuse, des fois ? la tança-t-il.

Elle posa la tête sur son épaule en faisant semblant de bouder.

― Mais j'aime bien quand c'est toi qui réfléchis... bougonna-t-elle.

Ils restèrent ainsi un instant, silencieux. Puis Mina se rappela que dans son empressement de revoir le collier, elle n'avait pas abordé un sujet avec Roy.

― De quoi parlait Hal quand il t'a dit de ne pas oublier, pour la mission ? Quelle mission ? demanda-t-elle en se redressant.

Son compagnon soupira.

― Il veut nous embaucher pour qu'on attaque un certain bâtiment mère et qu'on dérobe certains objets qu'il transporte.

Mina ouvrit de grands yeux.

― Une commission ? Depuis quand on accepte les commissions ? s'offusqua-t-elle.

― Depuis jamais, répondit Roy.

― Alors on peut oublier, trancha-t-elle. Bon, on va où et on fait quoi, maintenant ?

Elle se leva et se laissa tomber dans l'autre fauteuil du poste de pilotage. Roy se gratta la tête et reprit son écran portable.

― J'ai craqué les dernières informations confidentielles de la Suprapuissance. Le Métis vient de quitter l'orbite terrestre à destination de Sul.

― Ils vont faire quoi, à Sul ? Bronzer ? On va leur voler leur crème solaire ?

Roy ricana. Sul était connue pour ses nombreux îlots paradisiaques et ses eaux cristallines. La planète était la destination touristique numéro un dans cette partie de l'univers.

― Apparemment, ils vont y déposer un Conseiller et sa famille pour les vacances avant de poursuivre plus loin.

― Où ça ? demanda Mina.

― Aucune importance. Ils n'iront pas jusqu'à Sul.

La jeune femme sauta sur ses pieds en tapant des mains.

― Il y a quoi à bord ? Combien de gardes ?

Roy la regarda avec un sourire narquois.

― Parce que ça t'intéresse ? Tu restes à bord, je te rappelle, c'est à mon tour d'attaquer.

L'enthousiasme de Mina s'effondra. Elle se rassit et croisa les bras, déçue.

― Eh, c'est chacun son tour, on avait dit, lui rappela-t-il.

― Le prochain aura intérêt à être à la hauteur, grommela-t-elle.

Roy se leva et lui déposa un baiser sur le sommet de la tête.

― Promis, dit-il.

Après quelques jours de voyage, le Métis apparut sur le radar de bord qui affichait en temps réel les positions et informations des différents vaisseaux parcourant la galaxie. Les systèmes de sécurité de l'agence de contrôle spatial n'avaient pas tenu longtemps quand Roy s'y était attaqué.

Mina prit les commandes tandis que Roy revêtait sa combinaison. Il s'approcha de sa compagne.

― Par la porte cargo, d'accord ? lui rappela-t-il.

― Pff, d'accord...

Il l'embrassa une dernière fois puis se dirigea vers le sas.

Pendant ce temps-là, Mina déclencha le mode furtif du vaisseau et les panneaux extérieurs de ce dernier se soulevèrent de sorte à réfléchir totalement les ondes émises par les radars qui n'étaient pas déjà absorbées par le revêtement spécial de leur fuselage. Ils devinrent alors invisibles aux yeux de leur cible, et ce même s'ils se rapprochaient suffisamment pour la toucher. Le Crow était originellement conçu pour être furtif et ne possédait aucun système à bord pouvant trahir sa position.

Mina s'approcha de leur cible à l'aide du radar de bord jusqu'à l'avoir en visuel. Son imposante silhouette masquant les étoiles fendait la nuit éternelle de l'espace. Les bâtiments mère étaient d'immenses vaisseaux spatiaux qui parcouraient l'univers sans jamais toucher terre. Trop imposants pour être accueillis au sol, ils restaient en orbite et leurs passagers devaient emprunter de petites navettes pour y accéder et en descendre.

Le Métis, comme tous les autres bâtiments mère de la Suprapuissance Sapiens, était noir de jais. Seule pointe de couleur : les lignes vertes dessinant un oiseau, symbole de sa nation. Cette dernière, gouvernée d'une main de fer par le Supra, actuellement troisième du nom, était née de l'union de tous les pays de la planète Terre avant de s'étendre dans le système solaire puis dans la galaxie toute entière, assujettissant les planètes habitées qu'elle croisait sur son chemin et revendiquant les autres. Elle avait maintenant franchi le trou noir formant le cœur de la Voie Lactée, également appelé Première Passe, pour rejoindre une nouvelle galaxie dont elle avait obtenu le contrôle après de violents combats. C'était de ce côté que Mina et Roy avaient établi leur terrain de chasse, entre le front qui s'étendait à présent au-delà de la Deuxième Passe et les bases militaires du régime dans la Voie Lactée.

Les Passes connues étaient actuellement au nombre de six. Chacune reliait un amas de galaxie à un autre et pouvait être traversée sans danger sous réserve que le vaisseau fût protégé des effets du trou noir par une technique spéciale appelée « manteau ». Déployer un manteau requerrait énormément d'énergie, aussi n'était-il activé que lors de la traversée d'une Passe et arrêté une fois de l'autre côté. Pour se déplacer d'une galaxie voisine à une autre, le plus simple restait encore d'utiliser les filaments cosmiques.

Une alarme sortit Mina de ses pensées. Le Crow se trouvait à présent dans un rayon de dix nautiques du bâtiment mère. Elle y jeta un dernier coup d'œil dédaigneux puis vint se placer dans son sillage. Son vaisseau se trouvait encore à plusieurs kilomètres de la cible, mais cette dernière couvrait déjà tout son champ de vision. Mina afficha le plan du vaisseau sur le système tête haute et des traits verts se dessinèrent sous ses yeux sur le pare-brise, se superposant aux lignes du bâtiment. Elle avait ainsi accès à toutes les informations nécessaires sans avoir à baisser les yeux sur une carte ou un autre écran.

Elle se dirigea vers le petit rectangle vert que la légende nommait « porte cargo arrière ».

― On y est, déclara-t-elle à l'attention de Roy.

En position, lui répondit-il.

Sans perdre de temps, Mina déploya le tunnel pour Roy et largua les deux drones mitrailleurs.

Elle enfila d'épaisses lunettes noires et passa à ses mains une paire de gants surmontés d'un exosquelette métallique. Sous ses yeux s'affichèrent les informations des deux drones et elle en prit le contrôle d'un simple geste du doigt, les dirigeant vers les moteurs.

J'entre, lui annonça Roy.

― Reçu, répondit-elle succinctement.

Son cerveau carburait à plein régime. Elle déclencha l'attaque des drones pour détruire les moteurs tout en surveillant la trajectoire de leur vaisseau et celle de leur cible. Quand Roy lui signala qu'il était à l'intérieur, elle tira sur le manche pour éloigner le Crow et ramena dans le même mouvement les drones vers elle.

Une fois les machines amarrées et les deux voyants verts allumés pour lui signaler que les trappes qui les contenaient étaient verrouillées, elle ouvrit la porte cargo du Crow et activa le bras aimanté qui lui permettrait de récupérer la cargaison volée.

Mina, types en noir...

Quand elle entendit la voix de Roy à son oreille, la concentration de la jeune femme atteignit son paroxysme.

― J'arrive ! s'écria-t-elle.

Elle transféra les commandes du vaisseau à ses gants puis les enleva le temps de revêtir sa combinaison en un temps record. Quand elle atteignit le sas en titubant, maintenant tant bien que mal son équilibre dans l'appareil qui fonçait à vive allure vers le bâtiment mère, le tunnel finissait à peine de se déployer contre la porte d'accès au compartiment arrière des moteurs centraux. Si les types en noir étaient dans la salle du fret, elle serait une cible de choix pour eux en débarquant ainsi dans un espace dégagé, aussi avait-elle choisi un autre point d'entrée, le plus proche de la zone cargo d'après les informations dont elle avait disposé dans le poste de pilotage.

― J'arrive, Roy, répéta-t-elle en posant fébrilement la main sur la porte.

Elle essaya de ne pas prêter attention au silence qui lui répondit et d'écarter les souvenirs de mort et de sang qui flashaient dans sa tête.

― Merde, marmonna-t-elle en essuyant les larmes qui lui montaient aux yeux.

La porte s'ouvrit et elle ne dut la vie sauve qu'à ses réflexes. Quand le coup de feu retentit, elle se jeta sur sa droite derrière une armoire métallique contenant des fils, des boîtes et beaucoup de points lumineux qui clignotaient. Elle se laissa rouler sur encore un mètre et se réfugia sous un bureau. La jeune femme savait qui l'attendait. Ils avaient dû envoyer quelques uns des leurs dans cette salle en se doutant qu'elle n'emprunterait pas le même chemin que son compagnon.

La jeune femme respira un grand coup, avisa la paroi devant elle et la barre métallique formant l'armature du fuselage. Elle se redressa et se jeta contre le mur de sorte à placer la barre entre elle et la porte par laquelle elle était entrée.

Elle leva une main pour déployer son casque et de l'autre ferma le sas de son vaisseau, lança la dépressurisation du tunnel tout en faisant reculer l'ensemble, libérant la porte du bâtiment mère. L'air rugit tandis qu'il se déversait vers l'extérieur. Les objets mal fixés furent aspirés dans l'espace, arrachant l'embrasure de la porte au passage. Sans perdre de temps, Mina plaqua une main au sol et y envoya une impulsion électrique du bout des doigts, la seule partie de sa combinaison qui conduisait l'électricité. Les semelles aimantées que ses derniers poursuivants encore debout après ce déchaînement de violence avaient activées pour rester à bord du bâtiment se détachèrent du sol et tous furent projetés vers l'extérieur.

Une fois le vide installé dans la pièce, Mina se redressa sur ses jambes tremblantes et magnétisa ses propres semelles. Elle se dirigea tant bien que mal vers la porte et appuya sur le coup de poing rouge qui verrouillait et dépressurisait le sas d'urgence.

Toutes les pièces des vaisseaux en étaient équipées. En cas de dépressurisation irrémédiable comme celle qu'elle venait de provoquer, les survivants avaient ainsi la possibilité de rejoindre les zones sûres du vaisseau sans compromettre l'herméticité de ces dernières.

La porte devant elle s'ouvrit sur une étroite pièce blanche ne pouvant accueillir que deux hommes adultes au plus et se referma derrière elle. Un chuintement lui signala que de l'air était en cours d'injection dans le sas pour égaliser la pression avec la pièce l'attendant de l'autre côté. Sur la porte qui lui faisait face, le voyant rouge passa au vert et le panneau coulissa, révélant un couloir éclairé d'une lumière rouge, signe d'une situation d'urgence à bord.

Mina sortit son couteau de sa sacoche, prête à en découdre si quelqu'un lui tendait une embuscade. Personne ne lui bondit dessus. Elle s'immobilisa quelques secondes pour réfléchir. Elle ignorait la configuration du bâtiment, les plans et ses lunettes étant restés dans le poste de pilotage du Crow. Elle se maudit intérieurement de ne pas avoir pensé à les prendre et essaya tant bien que mal de se remémorer l'emplacement de la porte cargo par rapport à celle du compartiment arrière des moteurs centraux. Plus bas, sur la droite. Elle prit donc à droite.

Mina s'attendait à rencontrer de nombreux soldats sur sa route ou d'autres types en noir, il n'en fut rien. Au bout de cinq minutes de course dans la même direction en descendant dès qu'elle le pouvait, elle s'arrêta. La distance séparant son point d'entrée de celui de Roy ne lui avait pas paru si importante vue de l'extérieur... La crainte d'avoir manqué la zone de fret ou de s'être complètement trompée de direction la saisit. De plus, dix minutes s'étaient déjà écoulées depuis la dernière communication de Roy. Rien n'indiquait qu'il se trouvât toujours au même endroit.

Ni qu'il fût encore...

Elle secoua la tête et reprit sa course. Si elle se laissait aller au désespoir, c'était terminé. Il lui fallait bien commencer ses recherches quelque part. Son point de départ serait cette salle cargo, dernière position connue de Roy. Il lui fallait à tout prix la trouver.

Soudain, un coup de feu retentit.

Le son lui fit l'effet d'un bac d'eau glacée qu'on avait dévidé sur sa tête. Il venait de sa gauche, un ou deux étages plus bas. Elle reprit son avancée dans un état second en direction du bruit, craignant plus que jamais ce qu'elle allait découvrir une fois son but atteint. Un nouveau couloir illuminé de rouge... Une volée de marches... Une nouvelle porte nécessitant un badge d'accès et un code qu'elle ouvrit d'un frôlement de la main... Une porte identique à la précédente mais disposant cette fois d'un hublot. La lumière blanche qui s'en déversait la fit cligner des yeux. Elle s'approcha mécaniquement et tendit le cou pour voir ce qui l'attendait de l'autre côté.

Dans son champ de vision se trouvait la rambarde de sécurité d'une passerelle métallique qu'elle estima suspendue à deux mètres du plafond. Cette dernière faisait visiblement le tour de la salle puisqu'elle aperçut ce qui devait être son prolongement sur le mur d'en face, une cinquantaine de mètres plus loin. Le sol était sans doute plusieurs dizaines de mètres plus bas puisqu'elle ne le voyait pas depuis sa position.

Les dimensions de la salle ne laissaient pas de place au doute : c'était la zone de fret. Le soulagement de l'avoir trouvée se mêla à l'angoisse qui lui tiraillait l'estomac. Mina faillit se sentir mal. Elle inspira et expira plusieurs fois de suite pour rassembler ses pensées.

Que pouvait-elle faire ? Entrer et poignarder tous ceux qu'elle croisait.

Et s'ils étaient armés ? Elle aviserait.

Comment s'échapper ensuite ? Elle aviserait.

Et si Roy ne pouvait pas la suivre ? ...

Elle posala main sur la poignée et ouvrit doucement la porte.

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