Chapitre 1 : Phizon
Une alarme stridente, un bruit mat.
Devant Mina, la porte du sas s'ouvrit sur un tunnel en métal sombre. Elle s'y engouffra en courant et s'arrêta devant la paroi lisse qui en marquait la fin. Levant les yeux sur le symbole vert qui y était peint, elle passa la main sur la surface jusqu'à sentir un petit interstice. Elle porta une main à son oreille droite.
― J'y suis, j'entre, dit-elle.
― Ça marche, répondit une voix masculine dans son oreillette. Sois prudente.
Elle étouffa un petit rire et sut que la personne à l'autre bout faisait de même.
Une étincelle bleue jaillit sous ses doigts et une porte s'ouvrit devant elle. De l'autre côté, l'obscurité et les cris. S'ensuivit un tonnerre de crépitements tandis que ceux qui lui faisaient face tiraient en continu. Elle avança d'un pas sans tenir compte des balles qui ricochaient sur sa peau dans un éclair blanc. La porte se referma derrière elle, replongeant la pièce dans le noir total.
Des éclairs surgirent çà et là puis le silence s'installa.
Mina sortit d'une sacoche pendant à sa taille une petite lampe torche qu'elle alluma et tendit devant elle, illuminant un couloir jonché d'hommes et de femmes en uniforme vert sombre. Elle les enjamba d'un pas décidé et demanda :
― Par où ?
― À gauche au fond du couloir.
Dix bonnes minutes de course guidée à distance et quelques malheureux soldats assommés plus tard, Mina se retrouva devant une porte blindée. Elle posa la main sur le panneau métallique mais la porte refusa de bouger. Elle fit claquer sa langue.
― Ils ont sécurisé l'accès, annonça-t-elle.
― Et ?
― Non, rien, c'était trop silencieux.
― Bosse au lieu de bavasser.
Mina sourit et sortit quelques tournevis de sa poche. Elle ouvrit le boîtier d'accès fixé au mur et plaça une petite puce sur le circuit imprimé. La porte coulissa dans un chuintement discret, révélant une pièce aux dimensions impressionnantes. À l'intérieur, des dizaines de petits vaisseaux noirs marqués du même symbole vert que sur la porte du bâtiment mère, des centaines de caisses en bois et deux immenses canons d'un noir de jais. Le tout était fixé au sol par des lanières ultrarésistantes pour les maintenir en place en cas de mouvements brusques.
― Belle prise, siffla-t-elle.
Elle sortit un couteau de sa sacoche et entreprit de couper une à une toutes les lanières. Ceci fait, elle s'approcha de la porte cargo au fond de la pièce.
― J'ouvre, annonça-t-elle.
Elle appuya sur un bouton de sa combinaison noire et son casque hermétique se déploya, coupant totalement l'environnement intérieur de l'extérieur. Quand une petite lumière verte sur son col signala le verrouillage des systèmes de sécurité, elle posa une main sur la porte.
À l'instant exact où ses doigts gantés entrèrent en contact avec le métal froid, des bruits de pas la firent se retourner.
Dans l'embrasure de l'entrée se tenait une vingtaine de soldats braquant leurs armes sur elle. Ils s'immobilisèrent en voyant sa position et leurs yeux s'écarquillèrent d'effroi.
― Vous avez trois secondes pour mettre vos casques. Un, deux... Bye bye, ricana-t-elle.
Certains levèrent immédiatement la main pour fermer hermétiquement leur combinaison, d'autres firent volte-face et prirent leurs jambes à leur cou. Trop tard.
La porte cargo s'ouvrit sur l'immensité vide et mortelle de l'espace.
Une fois à bord de son propre vaisseau, Mina sauta au cou de l'homme brun aux yeux sombres qui l'attendait et décocha un baiser bruyant sur ses lèvres.
― Je persiste à dire qu'il serait moins risqué d'entrer directement par la porte cargo, soupira-t-il. Je sais que ça t'amuse de parcourir les bâtiments mère en dégommant tout le monde, mais la capture du butin passe en priorité, ajouta-t-il en posant un doigt sur ses lèvres quand elle voulut protester.
Mina fronça les sourcils en faisant la moue puis sembla oublier ce que l'homme venait de lui dire et se tourna vers leurs trouvailles.
― Regarde-moi un peu ça, Roy ! lança-t-elle en ouvrant les bras. Il doit y en avoir pour des millions !
Roy lui rabattit doucement les bras sur les hanches et l'enlaça, glissant son menton sur son épaule.
― Moui, dit-il tandis qu'elle posait ses mains sur les bras de son compagnon, à condition que ce soit moi qui négocie.
Elle se retourna et lui tira la langue.
― Alors, capitaine, cap sur Phizon ? demanda la jeune femme.
― Je confirme, capitaine, larguez les amarres ! répondit Roy.
Il leur fallut trois jours de navigation dans les filaments cosmiques, gigantesques autoroutes spatiales joignant les galaxies les unes aux autres, pour apercevoir enfin les premiers vaisseaux patrouilleurs de la flotte de Phizon.
― Phizon approche du Pirate Crow, bonjour, en direct sur Phizon depuis Gamma 67, 3 unités astronomiques, vitesse 1c, annonça Roy à la fréquence.
― Pirate Crow, bonjour, redressez dix degrés, réduisez vitesse 0,3c, répondit le contrôleur spatial.
― On redresse dix degrés, vitesse 0,3c, Pirate Crow.
Il entra les nouvelles données dans le pilote automatique et vérifia que le vaisseau levait bien le nez et ralentissait.
― Ils nous font ralentir et dévier de la directe... On s'est fait devancer, on dirait, grommela Mina. J'aime pas quand ils nous mettent en séquence derrière tout le monde...
― Ne t'en fais pas, vu ce qu'on leur ramène, on ne repartira pas bredouille, la rassura Roy. Surtout si tu me laisses négocier.
Mina croisa les bras et s'offusqua :
― Oh, ça va, j'ai quand même ramené cent milles terras la dernière fois...
― Pour un butin qui en valait dix fois plus, la taquina Roy.
La jeune femme n'ouvrit plus la bouche du reste du voyage, tournant résolument le dos à son compagnon.
Ils posèrent leur vaisseau au milieu de tous les autres, guidés par le système lumineux d'aide à l'atterrissage incrusté dans le sol. Une fois les moteurs coupés, des hommes en bleus de travail coururent vers l'arrière de l'appareil, prêts à décharger la cargaison. Roy appuya sur un bouton au-dessus de sa tête et un signal sonore lui indiqua que la porte cargo était en cours d'ouverture. Des bruits de pas se firent entendre derrière eux et la porte du poste de pilotage s'ouvrit sur un homme bedonnant d'une quarantaine d'années, cheveux grisonnants et bedaine proéminente. Il portait un gilet réfléchissant rouge, un casque anti-bruit autour du cou et une tablette à la main.
― Salut, les amoureux ! La pêche a été bonne ? rugit-il.
― On ne peut meilleure, Rick, annonça Roy d'une voix forte.
― Une balade de santé, ajouta Mina sur le même ton.
Roy prit le mince tube métallique posé sur le tableau de bord devant lui et le secoua comme pour ouvrir un éventail, faisant apparaître un écran transparent.
― Nous avons donc cinquante-cinq caisses de munitions, soixante caisses d'armes à feu, deux canons plasma terre-espace et cinq vaisseaux chasseurs, énuméra Roy tout en envoyant la liste sur la tablette de l'homme d'un geste du doigt.
― Pas mal ! constata Rick. C'était quel bâtiment mère ?
― Le Titan, déclara Roy.
― Tu parles d'un titan, pouffa Mina dans son coin.
― Hein ? demanda l'homme en tendant l'oreille dans sa direction.
― Non, non, rien, répondit la jeune femme d'une voix plus forte.
Rick resta silencieux un court instant, essayant de déterminer si ce qu'il avait manqué du fait de son audition défaillante était important pour la discussion. Il finit par laisser tomber et jeta un œil à sa tablette. Il la tendit ensuite au couple.
― Je vais avoir besoin d'un autographe...
Mina et Roy vérifièrent que rien ne manquait dans la liste puis signèrent. Ils suivirent ensuite Rick hors du vaisseau.
Pendant qu'ils discutaient, les ouvriers avaient déjà vidé le chargement et l'avaient entreposé dans un coin de l'immense hangar qui servait de marché aux pirates.
On y trouvait de tout, du livre illustré pour enfants au missile dernier cri en passant par la pierre précieuse récupérée sur un vaisseau de tourisme. Les clients potentiels défilaient dans les rangées peu ordonnées à la recherche de la perle rare.
Dans le cas de Mina et Roy, leur client était tout trouvé. Il les attendait d'ailleurs déjà devant leurs trouvailles.
― Mina ! Roy ! s'exclama-t-il en levant les bras et en s'avançant vers eux. Il faut qu'on parle !
L'homme avait la trentaine, il portait un blouson en cuir et un vieux jean troué. Derrière lui se tenaient deux hommes dont le style vestimentaire tout aussi décontracté contrastait avec l'attention décuplée qu'ils portaient à leur environnement.
― Bonjour, monsieur Hal, répondit Roy.
Mina ne pipa mot mais salua l'homme d'un signe de tête.
― Belle marchandise que vous avez là, poursuivit monsieur Hal, on ne voit pas de tels canons tous les jours ! Je vous les prends à deux cent mille terras pièce.
Roy ne se départit pas de son sourire et annonça :
― Ce sera cinq cent mille terras pièce, monsieur. Comme vous l'avez dit, ces canons sont difficiles à obtenir.
― « Difficiles à obtenir » ? Il vous a fallu quoi, quinze minutes ? J'ai bon ? se moqua l'homme en éclatant de rire. Il vous suffit d'attaquer le bon vaisseau et vous obtenez ce que vous voulez sans la moindre difficulté !
Roy ne répondit rien et attendit que l'homme se calme. Lorsque ce dernier eut essuyé sa dernière larme, il prit un air un peu plus sérieux.
― Sans rire, vous êtes vraiment exceptionnels, tous les deux. Depuis la purge des infinis, on voit rarement des types comme vous. Vous êtes vraiment sûrs que vous ne voulez pas rejoindre officiellement la résistance ?
Mina baissa furtivement les yeux sur son poignet gauche avant de les fixer à nouveau sur Hal.
― Sûrs, monsieur. On bosse mieux en indépendants, répondit-elle.
Il haussa les épaules.
― Comme vous voulez, mais c'est vraiment dommage...
Il se tourna à nouveau vers la marchandise.
― Je vous prends les canons trois cent mille terras pièce.
― Quatre cent cinquante mille, renchérit Roy.
― Trois cent cinquante.
― Quatre cent vingt-cinq. Dernier prix.
― Vendu.
Hal claqua sa main dans celle de Roy et la secoua vigoureusement. Il passa ensuite le bras autour de ses épaules et se pencha vers lui.
― Maintenant, parlons un peu de ces chasseurs...
Mina leva les yeux au ciel et s'éloigna.
Elle déambula entre les différents gadgets en vente, les pirates et les acheteurs, examinant discrètement tous les êtres vivants qu'elle croisait. Ils venaient des quatre coins de l'univers, aussi étaient-ils de formes et de couleurs variées... Un humain portant une queue-de-pie et un haut-de-forme, un être humanoïde à quatre jambes et trois yeux bleu, un voile de fumée qu'elle faillit écarter de la main avant de se rendre compte qu'il la regardait avec colère... Mina stoppa net son mouvement quand elle s'aperçut que la flaque gélatineuse rose qui se serait retrouvée sous peu sous son pied poussait des cris stridents.
Elle s'arrêta devant une petite table recouverte de bibelots en tous genres, de la tasse à thé cassée à l'horloge à coucou. Elle prit un petit miroir et contempla la jeune femme qui s'y reflétait. Cheveux blond platine, deux yeux noirs, un nez, une bouche... Quelqu'un de normal à ses yeux. Elle aimait se promener parmi cette foule aux origines multiples. Cela lui rappelait qu'ils étaient loin d'être seuls dans l'univers et que, malgré ce qu'on lui avait asséné depuis qu'elle était petite, Roy et elle étaient bel et bien humains.
Soudain, un petit éclair attira son attention. Sans réfléchir, elle tendit la main et attrapa une bille couleur de nuit montée sur un collier. Elle la regarda un instant sans que rien ne se passe... Puis tout à coup, un nouvel éclair bleu apparut dans l'obscurité du pendentif, suivi d'un vert. Son cerveau fut incapable de lui dire ce dont il s'agissait et cela la surprit au plus haut point.
Un grognement la ramena à la réalité. Le vendeur, deux mètres, poilu, doté d'une trompe et de six bras la regardait la tête penchée d'un côté.
Mina tapota sa montre et régla son oreillette en mode « traduction ».
― Excusez-moi, vous disiez ? s'enquit-elle.
― Mille terras le collier, répéta le vendeur.
― Euh... Je vous le prends pour... cinquante ? hésita-t-elle après avoir calculé ce qu'il lui restait sur sa carte.
Le vendeur poussa un nouveau grognement et lui arracha le collier des mains avec sa trompe. Elle regarda le bijou avec regret et une curiosité extrême. Elle le voulait. Elle le voulait terriblement. Une étincelle crépita au bout de ses doigts et elle s'empressa de fermer le poing. Le vendeur la fixait d'un œil méfiant.
Elle soupira, tourna les talons et repartit en direction de son propre stand.
Quand elle retrouva Roy, ce dernier était en train de signer le juteux contrat pour la vente de leur butin. La quasi-totalité de leurs bénéfices irait dans la maintenance du Crow, aussi savait-elle qu'elle n'en verrait pas grand-chose une fois qu'ils se seraient partagé ce qu'il restait.
― Roy ! Mille terras ! s'exclama-t-elle.
Le jeune homme leva la tête et la regarda sans comprendre.
― Mille terras, s'il te plaît, répéta-t-elle.
― Qu'est-ce que tu veux faire avec mille terras ? demanda-t-il.
― T'occupe ! Mille terras, s'il te plaît. On n'a qu'à dire que c'est une avance sur le partage de nos recettes du jour.
― Je ne suis pas sûr qu'il nous restera deux mille terras à partager...
― Pour mon anniversaire, alors !
Roy fronça les sourcils, visiblement pas décidé à céder si facilement.
― Pour tes dix prochains anniversaires, tu veux dire, grommela-t-il. Montre-moi, j'ai bien envie de voir ce qui fait tant briller tes yeux et qui n'est pas moi.
Alors que Mina ouvrait la bouche pour protester, il se tourna vers Hal et le salua. Ce dernier lui retourna le geste et ajouta avec un clin d'œil :
― N'oublie pas, pour la mission !
Roy prit Mina par les épaules et s'éloigna avec elle sans lui répondre.
Mina le conduisit droit vers le stand du vendeur et lui montra le collier. L'être poilu les fixa tour à tour avec méfiance.
Roy eut un sourire.
― Tu ne mets jamais de bijoux, qu'est-ce que tu veux faire de ça ? pouffa-t-il.
Mina le fixa d'un regard noir. C'est alors qu'elle aperçut sa surprise quand il vit les éclairs qui apparaissaient sporadiquement dans la bille.
― Bon sang, mais qu'est-ce que c'est que ça ? s'étrangla-t-il.
Il plaça le collier dans les mains tendues de Mina, sortit sa carte électronique et la montra au vendeur. Ce dernier sortit la sienne.
― C'est cinq mille terras, dit-il.
Mina faillit s'étrangler.
― Vous aviez dit mille ! s'exclama-t-elle.
― Maintenant, c'est cinq mille, répondit-il en haussant les épaules. Si ça ne vous convient pas, vous dégagez.
Il sortit un fusil de sous la table et le pointa vers eux à l'aide de trois de ses six bras. Roy soupira et sauta d'un bon léger sur la table, envoyant valser le bric-à-brac. Le vendeur ne s'y attendait visiblement pas et resta immobile. Roy saisit tranquillement l'arme et la pointa sans difficultés vers le plafond.
― Maintenant, c'est cinq cents terras, murmura-t-il.
― Mais...
― Cent.
Les yeux du vendeur quittèrent momentanément ceux de Roy et glissèrent sur le bras qui déviait son arme. Ils s'immobilisèrent sur le poignet. Ses yeux s'écarquillèrent et il lâcha le fusil comme s'il était brûlant, paniqué.
Il reprit sa carte, la fit tomber, la ramassa et accepta la transaction de cent terras initiée par Roy.
Le jeune homme descendit de la table et fut accueilli par un léger baiser de Mina. Ce ne fut qu'à cet instant qu'il se rendit compte du silence qui s'était installé autour d'eux. Les esclandres de ce genre étaient monnaies courantes ici, mais en général, personne ne s'en sortait indemne après avoir tenu tête à quelqu'un armé d'un fusil qui vous dépassait de plus de quatre têtes.
Roy glissa sa main gauche dans la poche de sa veste et entraîna Mina de la droite vers la sortie.
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